Tunisie – Malek Zahi : « Nous entamons la construction d’un État social »

Six mois après son entrée au gouvernement, le ministre des Affaires sociales de Kaïs Saïed fait le point sur ses premiers chantiers. Objectif affiché : réduire les fractures sociales et, surtout, rétablir la confiance.

Prestation de serment de Malek Zahi, ministre tunisien des Affaires sociales, au palais présidentiel de Carthage, le 11 octobre 2021 © Tunisian Presidency/Anadolu Agency via AFP

Publié le 20 mai 2022 Lecture : 4 minutes.

Aux manettes du portefeuille des Affaires sociales depuis octobre 2021, Malek Zahi est un homme heureux d’avoir initié une réforme où il n’est plus question d’entretenir la pauvreté par des aides mais de créer les conditions propices au développement des démunis. Expert en assurances, ce descendant d’une famille de militants a mis à profit sa profession pour être au contact d’une population en quête d’écoute. Depuis, le social est à la fois devenu son cœur de métier et son centre d’intérêt.

Proche du président Kaïs Saïed, avec qui il partage, depuis de nombreuses années, une communauté d’idées et de valeurs, le discret Malek Zahi a été coordinateur de la campagne électorale dans la circonscription de la Manouba et a assuré la liaison entre Carthage, la société civile et le gouvernement avant d’être nommé au ministère des Affaires sociales. Premier membre du gouvernement de Najla Bouden à accorder un entretien à un média étranger, il a ouvert ses portes à Jeune Afrique.

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Jeune Afrique : Quelles sont, selon vous, les principales fractures sociales qui divisent la Tunisie ?

Malek Zahi : Avant d’être en poste, notamment lors de la campagne électorale, j’ai effectué plusieurs visites qui m’ont été utiles pour dresser un bilan précis de la situation et établir une stratégie. Il s’est avéré que mes prédécesseurs disposaient de chiffres alarmants, mais qu’ils n’avaient ni vision stratégique ni programme de réformes.

Chaque année, 100 000 élèves abandonne les bancs de l’école, essentiellement des filles

Cependant, identifier les fractures est insuffisant si on ne diagnostique pas ce qui les a provoquées ou ce qui empêche de les résorber. L’un des constats est que rien n’a été fait pour combattre l’illettrisme, qui concerne aujourd’hui 2 millions de personnes. Chaque année, 100 000 élèves abandonne les bancs de l’école, essentiellement des filles. C’est terrible quand on connaît la valeur et la reconnaissance internationale dont bénéficiaient nos diplômes.

En 2010, on recensait 310 000 familles démunies ou disposant de revenus réduits, aujourd’hui elles sont 964 000. Sur une population de près de 12 millions d’habitants, nous avons 4 millions de pauvres.

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Comment résorber ces problèmes ?

Jusqu’alors, les Affaires sociales distribuaient une aide fixe de 180 dinars à 276 000 familles dans le besoin. Malgré nos difficultés en matière de finances publiques, nous avons porté ce montant à 280 dinars et nous avons augmenté les allocations familiales, en tenant compte des tranches d’âge des enfants et en incluant les handicapés et les enfants à charge. Par ailleurs, ces familles reçoivent 50 dinars pour chaque écolier et 120 dinars pour chaque étudiant. Nous envisageons d’intégrer 50 000 autres familles parmi les bénéficiaires d’ici à la fin de l’année 2022. Et pour lutter contre l’illettrisme, nous avons créé un centre national de l’apprentissage à vie qui délivrera des diplômes.

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Nous nous préparons également à des réformes structurelles profondes mais nous veillons à mettre en place des mesures d’accompagnement pour que ces familles ne souffrent pas au cours de cette transition et puissent affronter les augmentations de prix actuelles.

L’objectif est que plus personne ne soit laissé sur le bas-côté de la route du développement

Des interventions « à fonds perdus » seront-elles suffisantes ?

La situation est telle que nous avons paré au plus pressé. Mais, évidemment, nous mettons en place des programmes dont l’objectif est de créer de la richesse. L’idée est d’octroyer des aides, et non des crédits, allant jusqu’à 50 000 dinars pour que les personnes défavorisées puissent créer leur projet et s’inscrire dans le développement d’une manière pérenne.

Le démarrage de cette initiative est prometteur mais l’étape la plus importante est la création du Conseil supérieur du développement social qui, sous l’égide de la cheffe du gouvernement et avec pour maître d’œuvre le ministère des Affaires sociales, tracera les politiques sociales de l’État après consultation des représentants des ministères concernés et de la société civile.

Caisses sociales, revendications salariales, coût de la vie… Comment répondre au mécontentement ?

Nous devons être efficaces pour répondre aux problèmes, mais surtout être transparents. Mon ministère n’est pas un tuteur mais une sorte de pépinière dont l’objectif est que plus personne ne soit laissé sur le bas-côté de la route du développement. Nous accompagnons les projets, simplifions les procédures, pour que leurs promoteurs puissent être indépendants.

Nous savons ce que le peuple, mais nous ne promettons pas le paradis

Le nouveau système politique va-t-il changer la donne ?

Il ne s’agit pas d’un saut dans l’inconnu. Nous entamons la construction d’un État social où chaque citoyen a des droits. Les slogans ne suffisent pas. Nous les avons beaucoup entendus sans que les gouvernements n’aient réalisé de profondes avancées sociales.

Y a-t-il un fossé entre ce que réclame le peuple et ce que peut faire le gouvernement ?

Ce sont justement les difficultés et les vicissitudes vécues par le peuple qui nous ont amenées au pouvoir. Étant issus de ce peuple, dont nous avons partagé les souffrances, nous savons ce qu’il veut et ce qu’il ambitionne mais, évidemment, nous ne promettons pas le paradis. D’autant que l’État, dans le contexte actuel, n’a pas de moyens financiers.

Je suis convaincu que la crise en Tunisie est à la fois une crise de valeurs, de confiance et de communication. Nous tentons donc de rétablir la confiance, notamment avec la communauté tunisienne à l’étranger. Une fois cette base consolidée, tout le reste – projets, investissements, etc. – viendra.

Lorsque vous organisiez les mouvements sociaux de la Kasbah 1 et Kasbah 2, en 2011, envisagiez-vous d’être un jour au gouvernement ?

Notre projet a été élaboré et enrichi au fil des années et des rencontres, entre autres grâce à celle, devenue depuis un compagnonnage, avec le président de la République. Nous avons ainsi pu échanger avec lui, connaître sa pensée. Depuis, nous sommes au diapason. Pour rectifier la trajectoire impulsée par le système ces dernières années, il faut des réformes en profondeur, menées de l’intérieur.

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