Politique

Émirats arabes unis : Mohammed Ben Zayed, à la croisée des voisins

Le nouvel émir d’Abou Dhabi a fait des Émirats arabes unis une puissance influente du Golfe. Mais il devra opérer un délicat virage géopolitique s’il veut conserver son autonomie vis-à-vis de l’Arabie saoudite de Mohammed Ben Salman.

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Mis à jour le 25 mai 2022 à 10:43

Mohammed Ben Zayed, le nouveau président des Émirats arabes unis et émir d’Abou Dhabi. © TAYFUN SALCI/Anadolu Agency via AFP

Il l’était de fait, il l’est désormais de droit. Mohammed Ben Zayed Al Nahyane (dit MBZ), émir d’Abou Dhabi et homme fort du pays, est devenu le président des Émirats arabes unis (EAU) le 14 mai. Il succède à son demi-frère, Khalifa Ben Zayed Al Nahyane, décédé la veille, qui lui avait laissé les rênes du pouvoir après son accident vasculaire cérébral de 2014.

Le chef de l’État français, Emmanuel Macron, a été le premier dirigeant occidental à se rendre à Abou Dhabi pour lui présenter ses condoléances et le féliciter de son accession à la présidence, après son élection par le Conseil suprême des Émirats arabes unis – une formalité rapidement expédiée.

Appétit pantagruélique

« Les Émirats arabes unis sont un partenaire stratégique de la France », a déclaré Emmanuel Macron, qui s’était déjà rendu aux EAU en décembre 2021. C’est que, à 61 ans, MBZ prend la tête d’un État désormais bien identifié sur la carte de la géopolitique mondiale.

L’appétit pantagruélique des Émirats en avions de chasse – 80 Rafale commandés à la France en 2021 – témoigne d’ailleurs de l’évolution de ce pays relativement marginal au début du siècle, devenu depuis une puissance militaire non négligeable. Une réputation qui lui vaut parfois le surnom de « petite Sparte ».

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Qu’on en juge : sitôt arrivé au pouvoir, MBZ lance une campagne militaire au Yémen, soutient à bout de bras le maréchal Khalifa Haftar en Libye, et apporte un appui aussi bien politique que financier au régime militaire égyptien d’Abdelfattah al-Sissi. Last but not least, il normalise les relations de son pays avec Israël en 2020. Ces initiatives ne seront pas toutes couronnées de succès – certaines seront même des échecs patents –, mais MBZ offre alors indéniablement une autonomie stratégique et diplomatique à son pays, tout en veillant à ne pas froisser l’imposant voisin saoudien.

Crise avec le Qatar

Mieux : il s’impose en faiseur de rois à Riyad, s’employant, après la mort du roi Abdallah, en 2015, à écarter le prince Mohammed Ben Nayef de l’ordre de succession au profit de Mohammed Ben Salman. Il active ses réseaux, particulièrement influents à Washington, et laisse courir des bruits sur l’homosexualité supposée du premier, trait rédhibitoire pour diriger le « royaume des deux lieux saints ». Lorsque MBS est nommé prince héritier, en 2017, chacun s’accorde donc à voir en MBZ son véritable mentor.

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Et, de fait, l’Émirati entraîne son voisin dans un blocus contre le Qatar, provoquant la plus grave crise diplomatique entre États du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Abou Dhabi, devenu la capitale des contre-révolutionnaires de tous poils du monde arabe, accuse Doha d’avoir encouragé les Printemps arabes et les Frères musulmans, bête noire de MBZ.

Quatre années durant, le Qatar et ses voisins se livrent à une guerre par procuration, tant sur le terrain militaire (en Libye) que diplomatique (en Afrique) et médiatique (en Occident). Chaque fois selon la même configuration, que ce soit en Libye, au Soudan ou en Égypte : Doha finance les courants révolutionnaires proches des islamistes quand Abou Dhabi appuie des régimes militaires autoritaires.

Mais de l’ambition à l’hybris, il n’y a qu’un pas, et il semble que MBZ l’ait franchi. Loin d’être un simple affidé de ce dernier, Mohammed Ben Salman se révèle capable de mener sa propre réflexion stratégique. Au début de 2021, le prince héritier saoudien, qui n’y a gagné qu’une mauvaise publicité, notamment durant l’affaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, juge que la crise avec le Qatar n’a que trop duré.

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Nouvelles alliances

Contre l’avis de MBZ, il décide de mettre en scène une réconciliation en grande pompe à Al-Ula, en Arabie saoudite, à laquelle sont conviés tous les responsables des États ayant pris part au blocus contre le Qatar. Vexé de se voir ainsi forcer la main, MBZ envoie Mohammed Ben Rachid Al Maktoum, le vice-président des Émirats arabes unis et émir de Dubaï, apposer sa signature sur le document qui prévoit la reprise des relations avec Doha. Service minimum.

Alors que l’Arabie saoudite et le Qatar annoncent à qui veut l’entendre qu’ils sont (re)devenus les meilleurs amis du monde, MBZ est quelque peu tenu à l’écart de cette fête des voisins. Sur le plan économique, le royaume s’emploie depuis 2021 à saper les fondements de la puissance émiratie.

En juillet, Riyad a par exemple annoncé que les biens produits dans les zones franches de la péninsule ou liés à Israël ne bénéficieraient plus de l’accord sur la tarification douanière entre les pays du CCG. Des restrictions qui s’étendent aux entreprises dont moins de 25 % de la main-d’œuvre est locale.

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MBZ en a pris son parti et décidé d’opérer une spectaculaire volte-face vis-à-vis de la Turquie, en recevant avec tous les honneurs le président turc, Recep Tayyip Erdogan, en février. Les officiels des deux pays ont même signé une lettre d’intention portant sur la coopération de défense. Une alerte rouge pour l’Arabie saoudite, qui entend être le seul parrain sécuritaire régional des petits États du Golfe.

Ces nouvelles alliances internationales, notamment avec l’État hébreu, permettront-elles à MBZ de se passer du parapluie saoudien et de continuer à mener sa barque de façon autonome ? Prince héritier, MBZ a montré un caractère de fonceur. Président, il devra se faire funambule.