Ariel Sharon : du sang, de la sueur et des armes

Décédé au bout de huit ans de coma, l’ancien Premier ministre aura joué un rôle clé – et pour le moins controversé – dans l’histoire récente de l’État hébreu.

Avec Moshe Dayan (à g.) durant la guerre du Kippour, en octobre 1973. © AFP Photo/IDF-HO

Avec Moshe Dayan (à g.) durant la guerre du Kippour, en octobre 1973. © AFP Photo/IDF-HO

perez

Publié le 21 janvier 2014 Lecture : 5 minutes.

Il a perdu sa dernière bataille, inerte, sur un lit d’hôpital. Après une énième dégradation de l’état de santé de leur père, les fils d’Ariel Sharon se sont laissés convaincre de renoncer à un acharnement thérapeutique bien coûteux. Foudroyé par une attaque cérébrale le 6 janvier 2006, à l’aube d’élections législatives anticipées qui devaient le sacrer Premier ministre pour la troisième fois, l’ancien ténor de la droite israélienne aura eu droit aux honneurs de la nation. Il a été inhumé, selon ses voeux, dans le ranch familial des Sycomores, en plein Néguev, au côté de son épouse Lilly. Si l’ensemble de la classe politique israélienne était présente aux obsèques, peu de personnalités étrangères ont fait le déplacement, à l’exception notable de Tony Blair et du vice-président américain, Joe Biden.

Pour nombre de ses compatriotes, sa mort lui rend – à titre posthume – la gloire dont il fut privé jusqu’ici. Voilà qui pose légitimement la question de son héritage politique. Bête noire des Palestiniens, "Arik" était aussi devenue celle des colons israéliens. "Nous respectons le soldat, mais ce qu’il a fait à Gaza suscite chez nous une grande colère", résume Naftali Bennett, ministre de l’Économie et chef de file du parti ultranationaliste le Foyer juif. Le retrait de l’enclave palestinienne, en juillet 2005, restera comme le dernier acte politique de Sharon. Une volte-face idéologique qui entraînera l’évacuation forcée de quelque 8 000 Israéliens dont longtemps, ironie de l’histoire, il encouragea l’installation.

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"Il savait prendre des décisions historiques et s’y tenir"

Très vite, la bande de Gaza tombera sous la férule des islamistes du Hamas. Les colons ne pardonneront pas à "Arik" de l’avoir transformée en base arrière du "terrorisme", d’où furent tirées des milliers de roquettes vers le sud de l’État hébreu. Dans le même registre, les Palestiniens lui reprochent un geste unilatéral, sans négociation, témoignant d’un mépris à leur égard. Le président Mahmoud Abbas perçoit le retrait de Gaza comme une "erreur qui a semé le chaos et la tempête", allusion au blocus et aux multiples opérations de l’armée israélienne dont le territoire côtier fut la cible, notamment en 2009 et 2012. Son organisation, le Fatah, y reste aussi toujours indésirable aux yeux du Hamas. Malgré tout, la plupart des commentateurs saluent l’homme d’action, tant sur le champ de bataille que dans l’arène politique. "C’est l’anti-Bibi, il savait prendre des décisions historiques et s’y tenir", écrit Ari Shavit dans le quotidien Haaretz, tenté par la comparaison avec Benyamin Netanyahou, l’actuel Premier ministre, dont Sharon disait : "Il cède rapidement à la panique. Diriger un pays comme Israël nécessite d’avoir du discernement et des nerfs d’acier, deux traits qu’il ne possède pas."

Ariel Scheinermann – de son vrai nom – avait la trempe d’un guerrier. Né en 1928 dans le village de Kfar Malal, dans la Palestine mandataire, il abandonne très vite les terres agricoles de ses parents pour rejoindre les rangs de la Haganah, embryon de la future armée israélienne. Il est grièvement blessé au combat lors de la célèbre bataille de Latroun, en 1948, face à la Légion arabe. Israël gagne son indépendance et Sharon monte en grade. Il prend le commandement de l’unité 101, qui opère derrière les lignes ennemies. Véritable tête brûlée, le jeune officier monte des actions de représailles sans en avertir ses supérieurs. Le 14 octobre 1953, après plusieurs incursions de fedayin, il ordonne de raser le village de Qibya, situé en territoire jordanien : 69 civils sont tués dans le dynamitage de leurs maisons. Au fil des guerres israélo-arabes, Sharon acquiert du prestige auprès de ses soldats et de l’opinion israélienne. En octobre 1973, à la tête d’une division de chars, le général évite une débâcle militaire à son pays en encerclant la troisième armée égyptienne. Le commandement reconnaît en lui un grand stratège mais n’apprécie guère son indiscipline. Comme lors de l’opération Paix en Galilée, en 1982, qui visait à chasser l’OLP du Liban. Faisant fi des plans initialement prévus, celui qui est alors ministre de la Défense pousse ses troupes jusqu’à Beyrouth.

Plus d’un millier de civils, femmes et enfants, sont massacrés

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Le 16 septembre 1982, Tsahal encercle plusieurs centaines de combattants palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila. Les phalangistes chrétiens, complices de l’État hébreu, y pénètrent sans opposition : plus d’un millier de civils, femmes et enfants, sont massacrés. Tandis que 100 000 Israéliens manifestent à Tel-Aviv pour dénoncer ce crime de guerre, Sharon est poussé à la démission par la commission Kahan, dont le rapport d’enquête détermine sa "responsabilité indirecte". Au grand dam des Palestiniens, il ne sera jamais inquiété par la Cour pénale internationale (CPI). Jusqu’à sa mort, sa caricature d’ogre sanguinaire illustrera abondamment les colonnes de la presse arabe. Lors de ce premier conflit israélo-libanais, Sharon se débarrasse de son vieil ennemi Yasser Arafat, forcé de s’exiler à Tunis avec ses lieutenants. Il constate, impuissant, son retour triomphal à Ramallah en 1994, quelques mois après la signature des accords d’Oslo, dont il est un farouche adversaire. Sharon est alors une figure dominante du Likoud et un artisan inébranlable de la colonisation. Rejetant toute division de Jérusalem, il entreprend une visite symbolique sur l’esplanade des Mosquées, le 28 septembre 2000. En plein processus de paix, cette provocation est jugée inacceptable par les Palestiniens, qui déclenchent la seconde Intifada. D’attentats en actes de représailles, cette révolte aboutit à l’invasion de la Cisjordanie par les forces israéliennes. Sharon, alors Premier ministre, ordonne le siège de la Mouqataa, où se terre Arafat.

En juin 2002, la Knesset approuve son plan de construction d’un mur de séparation avec les territoires palestiniens. Pas un acte d’apartheid pour lui, mais le renoncement à son rêve du Grand Israël. "Vous pouvez ne pas aimer ce mot, mais ce qui se déroule est une occupation. Contrôler 3,5 millions de Palestiniens, c’est quelque chose de terrible pour nous et les Palestiniens", déclare-t-il, à la stupeur du Likoud. Le "bulldozer" est désormais un pragmatique. Il achève sa reconversion politique en créant, en 2005, le parti centriste Kadima, dont l’objectif inachevé devait conduire au retrait de la Cisjordanie. Comme à Gaza…

Condoléances lapidaires

Les messages de condoléances ont fleuri, le 11 janvier, sur les sites des chefs d’État et de gouvernement occidentaux. Lapidaires. Insistant sur une sécurité d’Israël que Sharon n’aura jamais su obtenir et sur une paix qu’il n’a jamais pu construire. Paris retient que le "faucon" a, "après une longue carrière militaire et politique, […] fait le choix de se tourner vers le dialogue avec les Palestiniens". La Maison Blanche souligne que "nous continuons à faire tout notre possible pour garantir une paix durable et la sécurité d’Israël, notamment par notre engagement à accomplir l’objectif de deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité". Un rappel utile à l’heure où le secrétaire d’État John Kerry se démène pour obtenir un accord de paix. Le locataire du 10 Downing Street indique, lui, que le trépassé a "pris des décisions courageuses et controversées à la recherche de la paix". Des hommages mi-figue mi-raisin qui laissent imaginer les précautions extrêmes dont se sont entourés les Occidentaux pour évoquer la mémoire du "bulldozer".

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