Côte d’Ivoire : Abobo à l’heure de l’art pour tous

Unique en son genre dans le pays, le Musée des cultures contemporaines Adama Toungara, MuCAT, met en lumière les artistes ivoiriens. Et réussit son pari : les habitants de la commune abidjanaise se le sont approprié.

« Cercles de vies », de l’artiste Jems Robert Koko Bi, est la première acquisition du musée. © Issam Zejly pour JA

Aïssatou Diallo.

Publié le 25 juin 2022 Lecture : 4 minutes.

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La cohue du rond-point de la Mairie-d’Abobo, l’une des communes les plus peuplées du district d’Abidjan, a fait place depuis la mi-janvier à un énorme chantier. Des ouvriers s’activent à construire un échangeur, qui fait partie du Plan d’urgence pour la commune d’Abobo (Puca), engagé en 2017 par l’ancien Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Depuis, plusieurs projets d’infrastructures, d’aménagement et de sécurisation ont été programmés pour redynamiser la commune et redorer son image.

Autour du même rond-point, en face de la mairie, un bâtiment gris foncé tranche avec les lieux. Sur sa façade, une inscription en lettres blanches : Musée des cultures contemporaines Adama-Toungara (MuCAT). Bâti sur une superficie de 3 500 m2 et imaginé par l’architecte ivoirien Issa Diabaté, le MuCAT porte bien la marque de fabrique de son concepteur : un intérieur épuré, une lumière et une aération naturelles – grâce à des ouvertures et de grandes surfaces vitrées –, et de la verdure.

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Tordre le cou aux préjugés

Dès le hall d’entrée, le visiteur est accueilli par l’imposante sculpture Les Trois Âges de la Côte d’Ivoire, créée en 1972 par le plasticien Christian Lattier. C’est tout un symbole. Après avoir été retirée de l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny en 2001, au moment de ses travaux de rénovation, cette œuvre ne sera installée au MuCAT qu’en 2021, après sa restauration, à laquelle a contribué la fondation Toungara pour l’art et la culture.

Ouvert en mars 2020, le Mucat est un établissement privé, membre du Conseil international des musées. C’est aussi le premier établissement entièrement consacré à l’art contemporain en Côte d’Ivoire. Son fondateur, Adama Toungara, est un collectionneur d’art et un poids lourd de la scène politique. Conseiller spécial de Félix Houphouët-Boigny entre 1981 et 1993, il a également avisé Alassane Ouattara. Premier patron de Petroci et de la Société ivoirienne de raffinage, puis ministre du Pétrole et de l’Énergie (2011-2017), il est le médiateur de la République depuis avril 2018. Surtout, il a été le maire de la commune d’Abobo pendant plus de quinze ans, de 2001 à 2017, et dit avoir créé le MuCAT pour permettre à la population de la commune d’accéder à la culture et pour tordre le cou aux préjugés. Pour donner une meilleure image d’Abobo.

« Quand les gens n’y sont pas entrés, ils s’interrogent sur l’utilité d’un musée à Abobo et se demandent s’il ne fallait pas plutôt mettre en place une activité industrielle, raconte Fodé Sylla, le directeur adjoint des services culturels et artistiques du MuCAT. Mais dès qu’ils franchissent la barrière, ils se rendent compte de l’importance d’avoir ce bâtiment dans la commune, car, en plus du musée, il y a une bibliothèque, une médiathèque et une salle de conférence, qui accueille des formations et des assemblées générales d’associations. »

La sculpture "Ethiopian", de Carine Mansan, est exposée dans le cadre de "Memoria : récits d’une autre histoire". © Issam Zejly pour JA

La sculpture "Ethiopian", de Carine Mansan, est exposée dans le cadre de "Memoria : récits d’une autre histoire". © Issam Zejly pour JA

Depuis son ouverture, avec l’exposition itinérante panafricaine « Prête-moi ton rêve », le MuCAT a fait des Abobolais sa cible de prédilection en mettant en place des activités autour des expositions (théâtre, lectures de contes, performances d’artistes…) avec des établissements scolaires et les associations locales. « L’idée est de faciliter la compréhension de l’art contemporain par le grand public et d’essayer de lui transmettre certains codes », poursuit Fodé Sylla. Résultat : 60 % des visiteurs sont des habitants de la commune, et les riverains se sont, eux aussi, appropriés le musée – leur association a organisé une activité au cours de laquelle ils ont nettoyé le bâtiment et ses alentours.

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18 000 visiteurs en 2021

S’il a dû fermer quelques jours après son inauguration à cause de la pandémie de Covid-19, depuis sa réouverture, en août 2020, le Mucat propose des expositions variées. Du 10 juillet au 5 septembre 2021, il a organisé l’exposition « Abidjan Street Act, de la rue au MuCAT », qui mettait en lumière une quinzaine de graffeurs, peintres et plasticiens abidjanais. On pouvait y voir notamment des œuvres de l’artiste Obou Gbais, dont certaines fresques ornent des façades de bâtiments d’Abobo dans le cadre de l’opération Abobo ê zo (« Abobo est beau »), lancée en juillet 2020 par Hamed Bakayoko, alors maire de la commune. En 2021, le musée a accueilli près de 18 000 visiteurs.

Depuis le début d’avril et jusqu’au 21 août prochain, les visiteurs peuvent voir gratuitement « Memoria : récits d’une autre Histoire » dans la grande salle d’exposition du musée. Initialement présentée à Bordeaux de février à novembre 2021, l’exposition faisait partie du « focus femmes » de la saison culturelle Africa2020. Au MuCAT, elle s’est enrichie du travail de six artistes ivoiriennes : Joana Choumali, Lafalaise Dion, Carine Mansan, Marie-Claire Messouma Manlanbien, Rachel Marsil et Valérie Oka. Elles s’expriment à travers des performances vidéo, sculptures, peintures, broderies, dessins, etc.

La médiathèque du MuCAT, en mai 2022. © Issam Zejly pour JA.

La médiathèque du MuCAT, en mai 2022. © Issam Zejly pour JA.

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Pour l’heure, le musée n’a pas de collection permanente. Mais il vient de faire sa première acquisition : un ensemble de sculptures de l’artiste gouro Jems Robert Koko Bi a été installé dans l’un des jardins. Également placé dans la cour, en face de la cafétéria, un gbaka (« minibus ») sert de lieux d’expression pour les graffeurs, régulièrement invités pour des performances.

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