Il faut bien le reconnaître, cela avait mal commencé avec Augustin Matata Ponyo. On ne savait pas tout à fait s’il avait le ton d’un instituteur ou l’allure d’un commissaire de police, s’il faisait la morale à la manière d’un curé, mais c’était un drôle de ring sur lequel il nous avait – bien malgré nous – propulsé.
Lorsqu’on l’a rencontré dans ses bureaux kinois situés dans les hauteurs de la tour Kiyo Ya Sita, fin mars, l’ancien Premier ministre s’était immédiatement mis à dénigrer, à menacer, à asséner ses vérités avec véhémence et autorité. Coup pour coup, à peine les civilités passées, on avait failli partir. Mais pareil amateur de boxe intrigue. Nous sommes donc resté, pour découvrir que nous nous étions un peu trompé : si l’homme ne prend pas de gants, c’est qu’à la boxe, il préfère de loin la course à pied.
Je suis comme Luther King, comme Lumumba, comme Mandela, moi aussi j’ai un rêve
Deux mois après notre rencontre, ce 3 mai, c’est à petites foulées qu’il a commencé sa journée. Baskets, short, tee-shirt et tapis de cours e « 60 minutes à 6,5 km/h en moyenne », récite-t-il. Comme chaque jour ou presque.
Si longue attente
Ce n’est pourtant pas un mardi tout à fait comme les autres. Après des mois de spéculations, Matata se lance dans la bataille présidentielle censée se conclure, si les délais constitutionnels sont tenus, en décembre 2023. Sur la scène du Showbuzz, à Kinshasa, l’homme aux fines lunettes et à l’éternelle cravate rouge prend la tête du parti qu’il vient tout juste de créer, Leadership et gouvernance pour le développement (LGD). Et annonce qu’il se lance dans la course à la magistrature suprême.
« Je suis comme Luther King, comme Lumumba, comme Mandela, moi aussi j’ai un rêve, explique-t-il. Je rêve d’un Congo fort et grand. » Il ne craint pas les comparaisons. Si, pour certains, évoquer les hommes illustres pourrait sembler écrasant, Matata semble estimer qu’il s’agit là d’une juste hauteur.
Cela fait des années que l’ancien Premier ministre ronge son frein. Déjà, on évoquait son nom comme celui d’un potentiel dauphin de Joseph Kabila pour la présidentielle de 2018. Emmanuel Ramazani Shadary lui fut finalement préféré. Puis les ennuis judiciaires se sont accumulés. « Ne revenez pas là-dessus, cela ne sert à rien d’en parler à nouveau, intime-t-il. Tout cela n’a été monté que pour m’empêcher d’être candidat. »
Empêtré dans les affaires
Tout de même, difficile de l’oublier. Ces derniers temps, il a vu sa route obstruée par deux grosses affaires judiciaires. D’une part, celle du parc agro-industriel Bukanga Lonzo, un lieu « salué par toutes les institutions internationales », s’exclamait-il juste après avoir quitté la primature, en 2016, dans une interview à Jeune Afrique.
À 200 kilomètres de Kinshasa, 80 000 m2 qui devaient être la vitrine du Plan national d’investissement agricole (PNIA) et montrer la voie vers l’agriculture extensive. Pour finir en un modèle de gâchis. Terrains à l’abandon, matériel abîmé… Le projet novateur est resté chimère. Sur les 285 millions de dollars mobilisés, 205 millions ont été détournés, selon un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) daté de novembre 2020.
Puis, il y a le dossier de l’indemnisation de 300 victimes de la zaïrianisation, mettant à nouveau en cause l’ancien chef du gouvernement pour détournements de fonds. Son immunité de sénateur finalement levée. Assigné à résidence, Matata Ponyo s’est retrouvé accusé devant la Cour constitutionnelle en novembre dernier. Mais, rapidement, celle-ci s’est déclarée incompétente.
« Acharnement »
Cette « cabale », cet « acharnement », Matata Ponyo les impute au président. Il en veut pour preuve un courrier, daté du 2 février, de Victor Mumba Mukomo, le procureur près la Cour de cassation, adressé à Félix Tshisekedi. Le représentant du Parquet y reconnaît qu’aucune juridiction n’est plus compétente pour juger Matata Ponyo. Un document qui signe, selon l’ancien chef de gouvernement, l’immixtion du politique dans les affaires judiciaires.
« Je ne dois ces persécutions qu’au fait que je veux être candidat et que je refuse de rejoindre leur camp », tranche Matata Ponyo, qui affirme avoir été plusieurs fois approché pour rallier l’Union sacrée, la coalition qui s’est formée autour du chef de l’État. « Tout comme Moïse Katumbi, on veut me mettre hors d’état de nuire. »
Aujourd’hui encore, il se dit « prisonnier politique ». Bien que blanchi, il ne peut quitter Kinshasa. S’il a un temps travaillé à un plan de relance post-Covid 19, il assure n’avoir plus aucun lien avec le pouvoir en place. D’autant que l’arrestation de François Beya, l’ancien conseiller sécurité de Félix Tshisekedi, en février, a fait disparaître le principal émissaire entre les deux camps.
En quatre ans et sept mois de primature, je n’ai pas détourné un dollar
Matata Ponyo est désormais un poil à gratter. Fin mars, il rend public le dernier arrangement en cours au Sénat. Il refuse la Hyundai flambant neuve offerte aux élus. « C’est une honte, rendez-vous compte. En ville, un véhicule pareil vaut 75 000 dollars. Pour un groupe, il a dû atteindre au moins 40 000 dollars, et multiplié par le nombre de membres… Avec cet argent nous pourrions acheter un avion, construire des écoles ! » Alors que, l’année dernière, 500 jeeps ont été distribuées aux députés acceptant de rallier l’Union sacrée, la révélation de cette nouvelle affaire fait mauvais genre. « C’est de la corruption pure et simple ! » assène-t-il.
Hier encore accusé de détournements, le voici devenu exemplaire. « En quatre ans et sept mois de primature, je n’ai pas détourné un dollar », assure-t-il. Matata Ponyo ne manque pas une occasion de rappeler qu’il détient le record de longévité à la tête d’un gouvernement congolais – entre 2012 et 2016 – et ne trouve rien à redire sur son action à la tête de l’État.
Soif de revanche
Directeur général du bureau central de coordination de 2003 à 2010 avant de devenir ministre des Finances puis Premier ministre, il est fier de son parcours. « Avant moi, rien de ce que j’ai fait n’avait été fait. Et après moi, rien de ce que j’ai fait n’a été fait. Depuis l’indépendance, personne n’a fait aussi bien que moi », lance-t-il.
Christine Lagarde m’a dit : “Mais comment fais-tu pour si bien réussir ?”
John Kerry, l’ancien secrétaire d’État américain, Christine Lagarde, alors patronne du FMI… À l’entendre, les plus puissants de ce monde ne tarissaient pas d’éloges à son égard. « Christine m’a dit : “Mais comment fais-tu pour si bien réussir ?” », rapporte-t-il sans rougir. Des compliments impossibles à vérifier.
Est-ce le signe d’une inextinguible ambition ? Peut-être est-ce la soif de reconnaissance qui fait courir ce fils d’un tireur de vin de palme de Kindu, dans la province du Maniema (Est). Celui qui vivait dans une maison de paille et de brique, « quasiment nu avec aux pieds des babouches abîmées pour souliers ». « Je suis comme un rêve américain ! » clame-t-il.
Suffisant, Matata ? « C’est de la foutaise ! Je suis invisible, je ne fréquente pas les bars et les restaurants de Kinshasa, je me fais discret », répond-il. Tout de même, jusqu’au sein de son ancienne famille politique, l’homme agace. « Il est autocentré et n’a pas le caractère d’un démocrate, lâche un cadre du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de Joseph Kabila. Lorsqu’il était Premier ministre, il s’immisçait dans toutes les affaires et ne respectait pas la séparation des pouvoirs. » Les relations étaient devenues si délétères, en 2021, qu’il a fini par quitter le PPRD et la coalition du Front commun pour le Congo (FCC), où il se disait mal-aimé.
Il a tout de même gardé de bons rapports avec l’ancien chef de l’État, qu’il a pris soin d’informer de sa candidature à la présidentielle, et peut compter sur les liens solides qui l’unissent à certains membres de sa famille, notamment sa sœur, Jaynet. D’aucuns rappellent aussi que cet homme ambitieux conserve tout de même quelques soutiens dans le marigot politique : en 2021, les sénateurs n’ont pas immédiatement accepté de lever son immunité.
Destin à la Macron
Ni chez Kabila ni chez Tshisekedi, l’homme semble néanmoins bien seul. C’est entouré de l’équipe de Congo Challenge – son cabinet de conseil avec lequel il a notamment travaillé pour le Guinéen Alpha Condé et pour le président togolais Faure Essozimna Gnassingbé – et d’anciens collaborateurs de la primature qu’il se lance dans l’aventure présidentielle.
Qu’importe, l’homme dit rêver d’un destin à la Macron – une comparaison soufflée par un communicant. « Les Congolais gardent un très bon souvenir de ses années de gestion, veut nous persuader le professionnel en question. Il y a un trou de souris dans lequel il peut se glisser. »
Par-delà les clivages, Matata Ponyo espère surprendre en 2023. Foi de CIA : « En 2018, l’agence américaine de renseignements avait réalisé un sondage qui assurait que je gagnerais face à n’importe quel opposant », déclare-t-il.
Il n’en a pas fini avec les noms illustres. Citant Machiavel, il dit détester les médiocres qui habituellement gouvernent et vouloir ouvrir l’ère des « meilleurs d’entre tous ». Décidément, rien ne semble arrêter Matata Ponyo. À 6,5 km/h, chaque jour, il avance résolument. Il lui faudra simplement veiller à ne pas se prendre les pieds dans le tapis.