Djibouti : « La Femme du fossoyeur », un éloge de la vie sur grand écran

Reparti du Fespaco 2021 avec un Étalon d’or, le film « La Femme du fossoyeur » a été entièrement tourné à Djibouti par un cinéaste somalien, Khadar Ayderus Ahmed. Une superbe histoire d’amour.

« La Femme du fossoyeur », de Khadar Ayderus Ahmed, doit sortir sur les écrans français le 27 avril. © Bufo 2021

Renaud de Rochebrune

Publié le 28 avril 2022 Lecture : 4 minutes.

Alors qu’il vient d’atteindre la quarantaine, tout en paraissant bien plus jeune, Khadar Ayderus Ahmed propose aujourd’hui son tout premier long métrage, La Femme du fossoyeur.  Une première : jamais sans doute un film d’une telle envergure n’avait été entièrement tourné à Djibouti. Et il s’agit sans doute du tout premier film issu de la Corne de l’Afrique présenté au festival de Cannes, lors de la Semaine de la critique, en mai 2021. Il avait obtenu, quelques mois plus tard, le prestigieux Étalon d’or au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco, au Burkina Faso).

Pelle à la main

Le réalisateur, pourtant, n’est ni originaire ni résident du pays qu’il a choisi pour tourner. N’ayant guère la possibilité de filmer pendant plus de trois semaines au regard de son budget, il pouvait trouver là, en un seul lieu, tous les éléments de décor nécessaires pour déployer son scénario. Né à Mogadiscio, Khadar Ahmed a dû fuir avec sa famille la guerre civile qui a éclaté en Somalie alors qu’il était enfant et il a vécu l’essentiel de sa jeunesse réfugié en Éthiopie, patrie d’origine de sa mère. Avant de suivre ses parents jusqu’en Finlande où il habite désormais. Même s’il réside provisoirement en France pour préparer son futur second long métrage qui, contrairement au premier, sera une comédie, qu’il tournera peut-être au Sénégal ou en Afrique du Sud.

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La Femme ne participe assurément pas de ce genre. Le principal héros du film, Guled, exerce le métier de fossoyeur : il creuse les tombes. Mais, étant indépendant, il doit traquer les occasions de travailler, non sans difficulté, d’autant qu’il doit affronter, pelle à la main, une rude concurrence à chaque fois qu’une famille emporte un mort à la sortie de l’hôpital.

Ce qui nous vaut l’une des rares scènes comiques – ou, plus exactement, tragicomique – du film. Quand se présente, un jour où « personne ne voulait mourir », un véhicule supposé contenir un mort, on assiste à une véritable course, une sorte de lutte physique sans merci, entre Guled et un grand nombre de fossoyeurs…

Course contre la montre

Le sort de l’héroïne du film, la superbe Nasra, épouse de Guled, est encore pire que celui de son mari : atteinte d’une grave infection touchant l’un de ses reins, elle doit être opérée au plus vite afin d’avoir des chances de survivre. Mais il faudrait pour cela qu’elle et son époux parviennent à réunir les 5 000 dollars – un an de revenus du couple – qu’elle coûtera. D’où une course contre la montre qui va durer pendant l’essentiel du film.

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Guled accepte des petits travaux qu’il n’avait jamais entrepris jusqu’alors, comme laver des voitures, mais ses gains sont insignifiants. Il fait le tour de toutes ses connaissances, seulement, elles sont aussi pauvres que lui. Il devra donc se résoudre à retourner dans son village dont il est parti depuis longtemps pour tenter de récupérer, par tous les moyens, un troupeau de chèvres qui lui a appartenu et qu’il pourrait vendre. Une tentative désespérée qui échouera d’une façon dramatique, au point de mettre sa vie en danger.

Il faut vivre comme si l’on pouvait mourir à tout moment

Dans le film, on l’a compris, et presque jusqu’à son épilogue, la mort rôde partout. Une obsession pour le réalisateur ? Il s’en défend. Certes, l’idée du scénario lui est venue après un événement tragique vécu il y a une dizaine d’années : la mort d’un enfant de son frère, dont il a organisé les funérailles en Finlande. L’occasion de s’apercevoir à quel point on traite différemment les morts en Europe et en Afrique et de se rappeler la difficile existence des fossoyeurs qu’il avait pu voir attendre l’occasion de travailler à la sortie de l’hôpital, sur le chemin de son école, en Éthiopie. Il fait surtout sienne cette maxime de l’islam selon laquelle « il faut vivre comme si l’on pouvait mourir à tout moment ; travailler et agir comme si l’on devait vivre éternellement ». Il insiste : « On est trop vieux pour entreprendre seulement quand on meurt. » Aucune raison, donc, de sombrer dans le pessimisme.

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De fait, et Kadhar Ahmed tient à le faire savoir, il a réalisé un drame aux accents de mélodrame certes, mais aussi, et surtout, avec la complicité de magnifiques acteurs – qui jouaient pour la première fois – une belle histoire d’amour. Le récit d’un lien indéfectible entre deux êtres qui apprécient les petits plaisirs que la vie peut leur réserver et qui refusent de s’abandonner au désespoir. Un film qui, par là même, célèbre davantage les forces de vie que celles de mort, d’autant que jamais le cinéaste ne tombe, malgré son propos souvent sombre, dans un quelconque pathos. À la fois européen et africain, il peut en effet, assure-t-il, prendre un certain recul face aux aléas de la vie. Une double culture qui ne l’empêche pas de se sentir voué à tourner tous ses films en Afrique, « où il y a une infinité d’histoires, qui ne peuvent se dérouler que là ».

« La Femme du fossoyeur », de Khadar Ayderus Ahmed, sort sur les écrans français le 27 avril.

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