Politique

RDC : Jeanine Mabunda ou la résurrection d’une très proche de Kabila

Destituée de la présidence de l’Assemblée nationale il y a près d’un an et demi, la députée du PPRD vient de faire son grand retour au Palais du peuple. Ébranlée par la violence du jeu politique, elle reste néanmoins décidée à faire entendre sa voix. Pourrait-elle à nouveau jouer les premiers rôles au sein du camp Kabila ?

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Par - à Kinshasa
Mis à jour le 6 avril 2022 à 17:51

Jeanine Mabunda, ancienne présidente de l’Assemblée nationale congolaise (RDC). © Bruno LEVY pour JA

Il lui aura fallu seize mois pour entrer à nouveau dans l’enceinte du Palais du peuple. Le 15 mars dernier, lors de l’ouverture de la nouvelle session parlementaire, Jeanine Mabunda Lioko s’est assise parmi ses collègues. Discrète, comme la simple députée qu’elle est redevenue. Que le perchoir semblait loin depuis son siège.

La dernière fois qu’elle a occupé le fauteuil de présidente de l’Assemblée nationale, c’était le 10 décembre 2020. La séance avait été électrique et épique, comme souvent en ces temps de guerre ouverte entre le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila – auquel elle appartient –, et la coalition du président Félix Tshisekedi, Cap pour le changement (Cach). Par 281 voix sur 483, les députés avaient voté sa destitution.

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La séparation est souvent le temps le plus douloureux d’une relation, et la chute de Jeanine Mabunda avait sonné l’heure du divorce. L’alliance contre-nature scellée entre Kabila et Tshisekedi lors de la présidentielle de 2018 n’y a pas survécu. À grand renfort de jeeps, les députés de l’ancien président ont été achetés et la majorité renversée dans l’un de ces scénarios hallucinants que sait réserver la politique congolaise. Les dénonciations de « coup d’État institutionnel » n’y ont rien fait.

Menaces et harcèlement

Lorsque nous l’avions rencontrée, en novembre dernier, tout juste un an après son départ du perchoir, Jeanine Mabunda semblait encore sonnée par cette « sortie à la hussarde ». Elle avait raconté la « violence » de la politique, les « menaces » dont elle avait été victime. Elle se souvenait des sifflements à son passage dans la Chambre basse.

Aujourd’hui encore, Jeanine Mabunda reste persuadée qu’on a voulu l’assassiner, le 20 novembre 2020, lorsque son 4X4 noir a été percuté par un véhicule roulant à toute allure sur le boulevard Tshatshi. « Depuis, les médecins m’ont recommandé du repos. »

Le début de la dégringolade, elle le situe en juillet 2020. Elle cite d’abord la nomination – jamais entérinée – de Ronsard Malonda à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Un passage en force alors que les puissants catholiques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et les protestants de l’Église du Christ au Congo (ECC) étaient contre et que le chef de l’État n’avait pas été prévenu. Le vote n’était pas inscrit à l’ordre du jour, Félix Tshisekedi avait appris la nouvelle en sortant d’un tête-à-tête avec Joseph Kabila. Il y a eu ensuite la bataille autour des nouveaux juges de la Cour Constitutionnelle… « Toute une série de malentendus », estime Jeanine Mabunda.

Duel contre Kabund

De toute façon, tout cela semble loin. « Ce n’est pas avec les gens de l’UDPS [Union pour la démocratie et le progrès social] que je vais aller boire un café », reconnaît-elle, mais Jeanine Mabunda dit pardonner. Pardonner à tous, sauf à un homme : Jean-Marc Kabund-a-Kabund.

Pendant des mois, le duel entre la présidente de l’Assemblée et son premier vice-président a fait la une des journaux. En mai 2020, le FCC de Mabunda était même parvenu à destituer Kabund du bureau de la Chambre basse… En guise de vengeance, l’homme a orchestré un peu plus tard la chute de son ennemie.

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Surtout, Mabunda voit la main de Kabund derrière une vidéo aux relents racistes qui avait circulé à l’époque sur les réseaux sociaux. « Mme Jeanine doit nous prouver qu’elle est réellement de la province de l’Équateur. Peut-on s’en déclarer ressortissante et être mince et élancée comme la sœur de Paul Kagame ? » y déclarait un homme devant le siège de l’UDPS.

Une femme présidente de l’Assemblée, « c’était peut-être trop tôt pour la RDC », soupire l’intéressée, qui reste persuadée que les attaques dont elle a été victime étaient plus violentes que celles qu’aurait subies un homme. Elle est là sur un terrain qu’elle connaît bien : de 2012 à 2018, elle était la conseillère spéciale de Joseph Kabila sur la lutte contre les violences sexuelles.

Intelligente et sophistiquée

Une femme au perchoir ? Il faut reconnaître que cela en avait surpris plus d’un. « Nous pensions à des hommes, jamais à une femme », reconnaît aujourd’hui un diplomate. Mabunda elle-même avait été prise de court. « J’étais chez le coiffeur quand une amie du PPRD [Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie] m’a appelée. Elle m’a dit : “Le secrétaire permanent du parti veut te voir en urgence.” Je lui ai répondu que c’était impossible, je l’avais vu le matin même, et puis j’avais d’autres choses à faire : j’avais presque des bigoudis sur la tête ! J’y suis tout de même allée et Emmanuel Ramazani Shadary m’a annoncé que c’était moi que le parti avait choisie comme candidate au perchoir. »

Il ne faut pas s’y tromper, elle fait partie des faucons du PPRD

Cette femme intelligente et sophistiquée a pour elle d’être plus présentable que certains caciques du régime. Elle parle de nombreuses langues, dont le néerlandais, ce qui n’est pas inutile dans l’ancienne colonie belge. Elle a fait une partie de ses études à Louvain, où elle a obtenu une licence de droit, et à Bruxelles, où elle a été diplômée de l’Institut des hautes études commerciales (Ichec).

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Si elle est parvenue au cœur du PPRD, ce n’est pas par son militantisme. Elle fait d’abord carrière au sein de la City Bank Zaïre avant d’entrer à la Banque centrale Congo en 1997. Augustin Katumba Mwanke, l’une des éminences grises de Joseph Kabila, la repère et la présente au chef. L’ancien président en fera sa ministre du Portefeuille de l’État en 2007, un poste où elle conduit une série de privatisations.

Appréciée par les chancelleries à Kinshasa, Jeanine Mabunda a aussi un atout vis-à-vis de l’UDPS : son mari, Odon Mudiayi, connaît bien Félix Tshisekedi. Lui aussi originaire du Kasaï, il a fréquenté le chef de l’État lors de leurs années communes en Belgique. « C’est une femme très courtoise, mais il ne faut pas s’y tromper, elle fait partie des faucons du PPRD », prévient un observateur. Reste qu’en étant choisie, Mabunda fait des déçus au sein de son propre camp. Ils le lui feront payer : lors de sa chute, elle est peu soutenue en interne. « Même Kabila n’a pas levé le petit doigt », poursuit l’observateur.

L’expérience de la solitude

« Je ne vais pas pleurnicher », poursuit Mabunda. Mais cette histoire est une nouvelle fois l’expérience de la solitude en politique. Celle que Mabunda décrit, lors de ses épopées en moto à travers la brousse durant ses campagnes électorales en 2011 et 2018. Par deux fois, dans une Assemblée où le taux de réélection des députés est faible, elle gagne un siège. Elle est depuis l’un des rares ancrages du parti de Kabila dans cette province tenue depuis des décennies par la famille Bemba.

On voit les femmes politiques comme des pom-pom girls, mais nous aussi savons gagner

« Est-ce que toutes ces batailles en valent la peine ? » lâche-t-elle lors de notre rencontre. Ces derniers temps, cette ancienne du conseil d’administration du minier canadien opérant en RDC, Barrick Gold – dont elle a gardé des actions –, s’était éloignée de la politique. Elle s’occupait de ses affaires et travaillait pour la Brookings Institution, un think tank américain. Elle assurait vouloir laisser la place à une nouvelle génération au sein du PPRD. Alors que le parti de Kabila, en déshérence depuis qu’il a perdu la majorité parlementaire, vient d’annoncer un congrès pour mai, Jeanine Mabunda va-t-elle continuer à s’effacer ? Son nom est cité parmi ceux des personnalités qui pourraient jouer les premiers rôles.

Son retour à l’Assemblée nationale pourrait être le premier acte de ce retour potentiel. Ces prochains jours, elle y retrouvera son meilleur ennemi, tout juste revenu de convalescence au Royaume-Uni. Hier tout-puissant, Jean-Marc Kabund-a-Kabund a aujourd’hui été mis à l’écart de son parti. Contraint d’en quitter la présidence intérimaire, il a aussi été poussé à démissionner de son poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale. Bilan : 1 partout. Le match reste à jouer. « On voit les femmes politiques comme des pom-pom girls, mais nous aussi savons gagner », prévient-elle. La voici à nouveau sur le terrain.