À peine la crise diplomatique entre Paris et Alger était-elle surmontée, en janvier 2022, qu’une autre éclatait entre Alger et Madrid. Une brouille encore plus grave que la précédente, avec des conséquences dont on ne peut, pour l’heure, déterminer ni la teneur ni l’ampleur.
Ce vendredi 18 mars restera en revanche marqué d’une pierre blanche dans les relations entre Rabat et Madrid. Pour la première fois depuis le début du conflit entre le Maroc et le Polisario, en 1975, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a annoncé le soutien de son pays au plan d’autonomie pour le Sahara occidental proposé en 2007 par le Maroc. Au grand dam de l’Algérie. « L’Espagne considère l’initiative marocaine d’autonomie, présentée en 2007, comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend », écrit-il dans la lettre qu’il a adressée à Mohammed VI.
En s’alignant sur Rabat, Madrid met ainsi un terme à un cycle de tensions entre les deux pays. La dernière crise diplomatique en date avait été provoquée par l’accueil en Espagne, en avril 2021, de Brahim Ghali, le chef du Polisario. Ce dernier s’était alors fait soigner du Covid dans un hôpital de Logroño, dans le nord de l’Espagne, sous une fausse identité algérienne.
« Service après-vente »
L’Espagne espère aussi que ce revirement permettra de mettre un terme au bras de fer engagé avec les Marocains sur la gestion du flux migratoire, un dossier qui empoisonne les relations entre les deux pays depuis des années. Sans oublier le statut des présides de Ceuta et Melilla, sur lesquels Madrid ne veut rien lâcher et que le Maroc continue de revendiquer.
Le ministre espagnol a déclaré que « la position de l’Espagne était similaire à celle de la France et de l’Allemagne »
Cette volte-face a été l’objet de longues et âpres négociations au plus haut niveau. Les discussions ont duré plusieurs semaines entre Mohammed VI et son ministre des Affaires étrangères Nasser Bourrita, côté marocain, et le roi Felipe VI, le Premier ministre Pedro Sanchez et son ministre des Affaires étrangères José Manuel Albares, côté espagnol.
Ce dernier, en première ligne, a cependant dû assurer le « service après vente ». Annoncée sans consultations – pas plus avec l’Algérie qu’avec les alliés politiques de Pedro Sanchez –, la décision a provoqué des remous au sein de la coalition gouvernementale espagnole.
Podemos, le parti de la gauche radicale qui siège avec les socialistes dans l’exécutif, est ainsi monté au créneau. « Toute solution au conflit doit passer par le dialogue et le respect de la volonté démocratique du peuple sahraoui », a ainsi écrit Yolanda Diaz, ministre du Travail et vice-présidente de Podemos, qui défend le plan d’autodétermination du Sahara occidental.
Un tollé qui a poussé José Manuel Albares à s’expliquer devant le Sénat. Le ministre espagnol des Affaires étrangères a notamment déclaré que « la position de l’Espagne était similaire à celle de la France et de l’Allemagne ».
« Il y a deux possibilités. Parler ou contribuer à résoudre un conflit qui dure depuis 46 ans, et c’est ce que veut faire le gouvernement espagnol », a-t-il également martelé. Des arguments repris mot pour mot par Isabel Rodriguez, porte-parole du gouvernement, qui a défendu un accord qui doit « mettre fin à une crise politique entre les deux pays », et qui constitue, selon ses mots « une bonne nouvelle » pour l’Espagne.
Aussitôt annoncée, la décision de Madrid a déclenché l’ire d’Alger, où l’on n’hésite pas à dénoncer une « trahison », un « coup de poignard dans le dos » et un « lâchage de la cause sahraouie ». Une colère d’autant plus noire que Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères, qui entretenait pourtant de bonnes relations avec son homologue espagnol, a appris la nouvelle alors qu’il était en visite en Chine.
Il est clair que l’Algérie va revoir tous les accords avec l’Espagne, dans tous les domaines »
« Les autorités algériennes, surprises par ce brusque revirement de position de l’ex-puissance administrante du Sahara occidental, ont décidé le rappel de leur ambassadeur à Madrid pour consultations avec effet immédiat », a annoncé le chef de la diplomatie algérienne, dès le lendemain de l’annonce du soutien espagnol au plan marocain.
Les intérêts de l’Algérie à Madrid devraient désormais être supervisés par un chargé d’affaires. Ce rappel du représentant diplomatique, une première dans les relations entre les deux pays, est le prélude à d’autres mesures de rétorsion. Lundi 28 mars, c’était au tour de Chakib Kaid, secrétaire général du ministère algérien des Affaires étrangères, de préciser les contours de la réponse d’Alger à Madrid.
Alternative italienne
« Il est clair que l’Algérie va revoir tous les accords avec l’Espagne, dans tous les domaines », a déclaré Kaid au quotidien espagnol El Correo. Bien que le gouvernement algérien assure ne pas envisager pour le moment de couper les livraisons de gaz à l’Espagne – dont l’Algérie fournit 40 % de la consommation –, la révision des accords est à l’étude au niveau des services d’Abdelmadjid Tebboune, à la présidence, et au sein d’une cellule de crise mise en place par Ramtane Lamamra.
Le PDG de Sonatrach, Toufik Hakkar, n’a pas fait mystère de l’hypothèse actuellement envisagée de réviser les prix du gaz livré à l’Espagne. « Depuis le début de la crise en Ukraine, les prix du gaz et du pétrole explosent. L’Algérie a décidé de maintenir, pour l’ensemble de ses clients, des prix contractuels relativement corrects. Cependant, il n’est pas exclu de procéder à un « recalcul » des prix avec notre client espagnol », a-t-il précisé à l’APS, l’agence de presse officielle algérienne.
Quelles autres actions l’Algérie pourrait-elle entreprendre pour « punir » un partenaire qu’elle a toujours considéré comme un allié dans sa campagne en faveur du referendum sous l’égide de l’ONU ?
Le gel des liaisons aériennes et maritimes avec l’Espagne n’est pas pour le moment envisagé, contrairement à ce qui a pu être annoncé. Pas plus que le refus de reprendre les centaines de harragas – migrants clandestins algériens – qui arrivent mois après mois sur les rives espagnoles ou se trouvent actuellement dans des centres de rétention dans plusieurs villes d’Espagne.
Ce n’est pas l’extradition, le 24 mars, de l’ancien militaire Mohamed Benhalima qui sera de nature à apaiser l’irritation algérienne
Dans sa croisade contre Madrid, Alger tente aussi de jouer des dissensions entre ses partenaires européens. Des « sources officielles algériennes », citées par la presse espagnole, ont ainsi évoqué la possibilité de se tourner désormais vers l’Italie, le Portugal, voire la Turquie.
Contacts rompus
Il semble bien loin aujourd’hui le temps où Ramtane Lamamra et José Manuel Albares posaient fièrement côte à côte pour la photo, comme fin septembre 2021. Le ministre algérien était alors en visite de travail à Madrid, accompagné notamment de Mohamed Arkab, le ministre de l’Énergie et des Mines, et avait longuement échangé avec son homologue espagnol sur « les différents aspects des relations » entre les deux pays.
En écho, José Manuel Albares avait salué cette première visite officielle de son collègue algérien comme « importante », tant elle incarnait, affirmait-il alors, « l’intérêt qu’accorde le gouvernement espagnol à la relation stratégique privilégiée avec l’Algérie ».
Las ! Il faudra que les deux hommes – ou leurs successeurs – déploient des trésors de diplomatie pour renouer le fil des relations entre les deux capitales. Et ce n’est pas l’extradition, le 24 mars, de l’ancien militaire Mohamed Benhalima, recherché par le tribunal militaire de Blida, qui sera de nature à apaiser l’irritation algérienne.