Art contemporain africain : cinq galeries à visiter en avril

À quelques jours de l’ouverture de la foire d’art 1-54 à Paris, déambulation dans les galeries qui font vibrer la création contemporaine africaine.

« We Work shit out », Matthew Eguavoen. © Galerie Afikaris.

ProfilAuteur_NicolasMichel

Publié le 30 mars 2022 Lecture : 6 minutes.

Alors que la seconde édition parisienne de la foire d’art contemporain africain 1-54 se profile (du 7 au 10 avril 2022, chez Christie’s), avec la présence sur place de 23 galeries internationales, la capitale française peut s’enorgueillir d’ouvrir ses portes, et son marché de l’art, à de nombreux plasticiens africains, d’origine africaine ou influencés par le continent.

Dresser un panorama exhaustif d’une présence toujours plus vibrante serait fastidieux, mais il reste possible de se balader d’un quartier à l’autre, le nez au vent, et de partir à la découverte de (très) grands artistes. En général, l’entrée est gratuite, acheter n’est pas une obligation (mais c’est possible) et les galeristes ne mordent pas (pas toujours). Mieux : ils sont en général tout disposés à vous raconter tout ce qu’ils savent sur les artistes qu’ils (re)présentent. Sélection de cinq adresses qui ne vous décevront pas.

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Magnin-A, 118 boulevard Richard Lenoir, XIe arrondissement

Seyni Awa Camara & Estevão Mucavele : Les restes du bruit, jusqu’au 14 mai 2022

Camara / Mucavele © Galerie Magnin-A.

Camara / Mucavele © Galerie Magnin-A.

Vous ne verrez pas Seyni Awa Camara dans les dîners mondains du milieu de l’art contemporain, pas plus que vous ne la croiserez dans tel ou tel vernissage, vantant à qui veut l’entendre la qualité de son travail : Seyni Awa Camara, née vers 1945, ne quitte pas son village de Bignona, en Basse Casamance (Sénégal), où elle produit des œuvres de terre ocre à nulles autres pareilles. Il est rare de pouvoir en contempler plusieurs ensemble, ce que le vaste espace de la galerie d’André Magnin permet aujourd’hui. Il faut en profiter. Fragiles, cuites de manière approximative, séduisantes d’étrangeté, les grandes figures de terre de Camara « auxquelles s’accrochent tantôt des visages d’enfants, de caméléons ou encore d’oiseaux » sont « chargées d’un symbolisme quasi hiératique ». Elles ouvrent en tout cas la porte à diverses interprétations plus ou moins magiques se rejoignant souvent autour du rapport à l’enfantement, à la nature, à la féminité.

Encore moins connu en France, le travail d’Estevão Mucavele (né en 1941 à Manjacaze, au Mozambique) est essentiellement composé de paysages désertiques et quasi abstraits. Des paysages « qui habitent ses rêves : les mines, la mer, inspirés de ses voyages entre le Mozambique et l’Afrique du Sud ». On y retrouve les formes propres au désert du Karoo ou aux montagnes du Cap. Mineur à l’âge de 16 ans, nettoyeur dans une galerie d’art de Johannesburg, concierge, Mucavele serait habité par une expérience personnelle intense : la traversée du désert de pierre, à pied, lors d’un voyage retour de l’Afrique du Sud vers le Mozambique. Présentées à côté de celles, riches de présence, de Seyni Awa Camara, les œuvres de Mucavele disent l’effrayant « silence éternel des espaces infinis ».

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(Œuvres vendues entre 6 000 et 45 000 euros)

Galerie Art-Z, 27 rue Keller, XIe arrondissement

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L’Afrique secrète de Françoise Huguier, photographies et archives de Françoise Huguier, Malick Sidibé et Seydou Keïta, jusqu’au 23 avril

« Le pêcheur bozo », Françoise Huguier. © Galerie Art-Z

« Le pêcheur bozo », Françoise Huguier. © Galerie Art-Z

Entre deux cigarettes, Françoise Huguier (née en 1942) se confie d’une voix rauque, mêlant les anecdotes à propos de cette série – essentiellement des portraits de femmes – réalisées en 1996 et 1997. « Comment je faisais pour photographier ces femmes dans leur espace ? C’est simple, je vais vous dire. J’arrive dans un village, je demande à voir le chef. J’apporte le thé et le sucre. Vous connaissez la cérémonie des trois thés ? Un chef de village vous juge tout de suite. Vous venez pour quoi ? Pour la chambre des femmes… Alors il m’accompagne, avec trois cents gamins derrière moi qui veulent voir. »

Sens de la lumière et du cadre, intérêt pour l’architecture des lieux, confiance des personnes photographiées : les images d’Huguier disent un Mali en paix, riche de ses cultures. « Françoise Huguier tisse des relations sincères avec ses modèles, des femmes rencontrées au Burkina et au Mali, ainsi qu’avec les photographes locaux, écrit Olivier Sultan, qui dirige la galerie Art-Z. À travers ses portraits de femmes dans leur intimité, elle les dévoile au public, tout comme elle sortira de l’ombre d’immenses talents tels que Seydou Keïta et Malick Sidibé, en créant la Biennale de photographie de Bamako en 1994, qui fera entrer ces deux grands artistes dans l’histoire de la photographie. » De son côté, la photographe française de l’agence Vu rappelle qu’elle se rendit au Mali parce qu’on lui avait affirmé qu’il y existait, comme au Japon, « une langue des femmes et une langue des hommes ». Ses 50 années de travail seront exposées lors du festival Visa pour l’Image, à Perpignan, à partir du 27 août 2022.

(Œuvres vendues entre 750 et 6 000 euros.)

Galerie Cécile Fakhoury, 29 avenue Matignon, VIIIe arrondissement

Mody, celui qui vient des deux mondes : Elladj Lincy Deloumeaux, jusqu’au 16 avril.

Elladj Lincy Deloumeaux. © Grégory COPITET/Galerie Cécile Fakhoury.

Elladj Lincy Deloumeaux. © Grégory COPITET/Galerie Cécile Fakhoury.

Un corps noir drapé de dentelle : les œuvres de l’artiste guadeloupéen Elladj Lincy Deloumeaux se déclinent en noir et blanc – avec quelques touches de couleur apparaissant de-ci de-là. Deloumeaux, né en 1995 à la Guadeloupe, peint un unique et même modèle, Mody, « dont le nom imagé signifie en wolof “celui qui vient des deux mondes” ». Dans diverses positions, le corps de Mody affronte la dentelle blanche ou s’y love, question d’interprétation. « On ne peut s’empêcher de se demander si faire corps avec ce tissu est réellement pour le sujet une expérience consolatrice, écrit Louise Thurin. La dentelle légère l’étouffe-t-il ? Est-il pris au filet ? Par quel rétiaire ? Selon l’artiste, Mody aux prises avec la pluralité de son identité, oscille entre l’envie et le rejet de faire tomber le voile sur l’orage de son intériorité. Draper est une action duale qui dans un même mouvement le recouvre, le dissimule et le dévoile, le rend visible en épousant sa forme. » Travail du drapé, de la suggestion, ajout de matière sableuse, inachevé volontaire de la touche, bichromie étudiée font des peintures d’Elladj Lincy Deloumeaux des icônes d’un nouveau genre où le masculin et le féminin ne se distinguent plus, où le modèle semble naître à lui-même en même temps que l’artiste qui le peint.

(Œuvres vendues entre 5 000 et 20 000 euros.)

Galerie Afikaris, 38 rue Quincampoix, IVe arrondissement

Egué Okpá, de Matthew Eguavoen, du 2 avril au 3 mai 2022

« We Work shit out », Matthew Eguavoen. © Galerie Afikaris.

« We Work shit out », Matthew Eguavoen. © Galerie Afikaris.

Egué Okpá signifie « une famille », en langue edo. C’est le titre de la première exposition personnelle du jeune artiste nigérian Matthew Eguavoen (né en 1988), dans cette galerie très dynamique fondée en 2018 par Florian Azzopardi. Ses peintures ? Des portraits à l’acrylique et à l’huile, réalistes, frontaux, aux couleurs tranchées. Pour les galeristes qui présentent son travail, « Matthew Eguavoen aborde le sujet de la parentalité en projetant dans ses toiles sa propre expérience en tant que jeune père. La narration a été élaborée en écho à la naissance de son premier enfant. Matthew Eguavoen expose une vision franche et personnelle de la paternité. Ses portraits aux expressions neutres et aux regards perçants laissent place à l’interprétation. S’ils sont teintés de tendresse, ils témoignent parfois d’un certain baby blues où la parentalité s’accompagne de son lot de questionnements et de doutes. »

Les titres de ses œuvres expriment avec une certaine poésie l’importance des liens familiaux, le rôle essentiel des femmes : Yaniwura (Mother is as precious as gold), I was my parent’s flower girl. Membre du mouvement « Black Vanguard », il s’inspire parfois de clichés de mode dont il modifie le contexte et donne à ses modèles une présence forte et une intense dignité.

(Œuvres vendues entre 6 800 et 9 400 euros.)

Galerie Mariane Ibrahim, 18 avenue de Matignon, VIIIe arrondissement

In the realm of love, Florine Démosthène, jusqu’au 16 avril 2022

« In the realm of love », Florine Démosthène. © Galerie Mariane Ibrahim.

« In the realm of love », Florine Démosthène. © Galerie Mariane Ibrahim.

Née aux États-Unis, élevée entre Port-au-Prince et New York, Florine Démosthène pratique essentiellement le collage à partir de mylar (film polyester) découpé, d’encre et de paillettes, mélangeant les jaunes, les bleus, les verts, les ocres pour obtenir des couleurs liquides. Loin de la dictature des corps formatés par et pour la publicité, elle propose dans son Royaume de l’Amour des silhouettes massives, translucides, flottant dans un espace indéterminé, parfois survolées par des espèces de chérubins nommés « gardiens des nénuphars ».

Selon les galeristes, Florine Démosthène « s’intéresse à la façon dont le concept africain de l’amour se manifeste et se demande s’il existe dans les limites de ce qu’est ce sentiment aujourd’hui. L’œuvre est issue de réflexions de l’artiste sur des conversations qu’elle a eues lorsqu’elle vivait et travaillait au Ghana ». À son corpus de collages oniriques s’ajoutent quelques sculptures « en référence aux objets des sanctuaires des Fon (Bénin) et des Aŋlɔ Eʋeawó (Ghana) ». « Puisque la plupart des aspects de la spiritualité et de la science sacrée africaine se manifestent autour d’autels, Florine Démosthène étudie le conflit entre les conceptions de l’amour, qu’elles soient traditionnelles, éthérées, occidentales ou contemporaines », nous dit-on encore.

(Œuvres vendues entre 11 000 et 25 000 euros.)

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