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Jusque-là discrète, la guerre de succession à la tête du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel, ex-parti au pouvoir) a gagné en intensité depuis le début du mois de mars. Un rebondissement consécutif à la désignation controversée de l’ex-Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, à la présidence d’un conseil exécutif provisoire.
S’appuyant sur un document manuscrit qu’aurait expédié Alpha Condé depuis Abou Dhabi, l’ancien Premier ministre s’est présenté, le 10 mars, au siège du parti comme le nouveau patron du RPG. Il a exprimé sa « gratitude » au bureau politique national et au comité central, qui, « avec la bénédiction de [leur] cher président-fondateur, le prof Alpha Condé », lui ont confié « cette importante mission ». Et il entend déjà mettre le parti « en ordre de bataille » pour les prochains scrutins.
Critères ethniques
Avec ses partisans, Kassory plaide pour une alternance ethnico-régionale à la direction du parti. Alpha Condé, qui le présidait jusqu’à présent, est Malinké. Ou du moins se réclame-t-il comme tel car il parle peu la langue – contrairement au soussou, qu’il maîtrise – et a grandi entre Conakry et Paris. Originaire de Forécariah en Basse-Guinée, Kassory Fofana, lui, est Soussou.
Pourquoi pas un Soussou de Kindia ou un Peul, s’interroge un cadre du parti
Mais ses rivaux au sein du RPG estiment que sa fidélité à Alpha Condé a déjà été largement récompensée : il a été ministre d’État à la présidence chargé des Investissements (2016-2018), puis plus de trois ans à la primature, sans compter que ses proches se sont vu attribuer des postes à responsabilités.
Quant aux critères ethniques, ces mêmes rivaux rappellent que la Basse-Guinée et les Soussous ne se résument pas au Moriah – partie de Forécariah d’où sont également originaires les deux autres Premiers ministres de l’ère Alpha Condé : Mohamed Saïd Fofana et Mamady Youla. « Alors pourquoi pas un Soussou de Kindia ou un Peul ? » s’interroge un cadre du RPG.
Les détracteurs de Kassory contestent la validité du document diffusé. Y sont cités des noms d’alliés politiques tels que Bah Ousmane, Papa Koly Kourouma et Alhousseiny Makanéra, ce qui laisse à penser que cet écrit a été rédigé lors de la campagne présidentielle d’octobre 2020 – soupçon renforcé par le refus des proches de l’ancien Premier ministre d’en communiquer la date de réception.
Dans un enregistrement audio daté du 4 mars et que Jeune Afrique a pu écouter, on entend Alpha Condé suggérer la mise en place d’un « collège provisoire ». Trois noms reviennent à deux reprises au moins : celui de Khalil, de Kassory et de Damaro, sans qu’un leader soit désigné. « Je n’ai été le dauphin de personne. Si quelqu’un pense qu’il est mon dauphin, c’est son problème. Nous ne sommes pas en monarchie », déclarait d’ailleurs Alpha Condé dans une interview à Jeune Afrique, en mars 2021.
Dernier mot
Dans la course à la succession du président déchu figure aussi Amadou Damaro Camara (69 ans). Militant historique, issu de la minorité konianké de Guinée forestière, il a été de tous les combats menés par le RPG ces dix dernières années, en particulier à la tête de son groupe parlementaire lors de la législature 2014-2019, puis à la présidence de l’Assemblée à l’issue des législatives controversées de mars 2020 (elles avaient été couplées au référendum constitutionnel). Son ambition d’assurer l’intérim du chef de l’État en cas de vacance du pouvoir a été contrariée par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), qui a abrogé la Constitution.
Troisième des principaux prétendants à la succession d’Alpha Condé à la tête du RPG, son ancien chef de la diplomatie, Ibrahima Khalil Kaba (48 ans), apparaît moins clivant et plus discret que ses deux aînés. Réputé populaire auprès des jeunes et des femmes du parti, celui que ses proches surnomment « Lilou » se mêle peu des polémiques politico-ethniques. Une qualité qui a son revers : « Il reste peu connu du grand public », note Souleymane Camara, jeune cadre du RPG, qui souligne néanmoins d’autres atouts. « Il passe pour intègre, travailleur et particulièrement rigoureux. Il a su étoffer son réseau grâce au carnet d’adresses de son ancien patron. Au point d’être perçu, depuis 2016, comme un dauphin potentiel, même s’il s’en est défendu. »
Ibrahima Khalil Kaba, ancien chef puis directeur de cabinet à la présidence (2012 à 2021) et ex-ministre des Affaires étrangères (2021). © Youri Lenquette pour JA
Le dernier mot reviendra aux militants et à Alpha Condé. La justice aura également son mot à dire dans ce qui est a priori une affaire interne au RPG. Il n’est en effet pas exclu qu’elle « rattrape » d’ex-membres du gouvernement déchu, à propos desquels la gendarmerie enquête sur instruction du parquet près la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief). Ce que le parti interprète comme « une chasse aux sorcières ».