Appliquer dans le sud du pays la stratégie d’exploitation partagée des infrastructures minières déjà dans le Nord-Ouest. Telle est l’ambition de la convention de concession pour le financement, l’aménagement, l’exploitation et la maintenance des infrastructures du corridor sud qui doit être signée prochainement entre les autorités guinéennes et Marine Contracting & Infrastructure (MCI), filiale guinéenne du constructeur émirati Ghantoot Group.
Le texte, qui doit ensuite être ratifié par le Conseil national de transition (CNT, l’organe législatif provisoire), prévoit la construction d’un ensemble d’infrastructures – port, chemin de fer et route – afin de créer un corridor dans le sud-ouest et le centre du pays, entre la zone côtière de Forécariah et, en particulier, entre les villes de Kindia et Mamou. Ce projet représente un investissement de plus de 2 milliards de dollars (1,76 milliard d’euros) sur sept ans. Il reste cependant menacé par un différend juridique entre certaines parties prenantes (lire encadré).
Désengorger le port de Conakry
Aujourd’hui, en l’absence de route bitumée ou de chemin de fer pour rallier Mamou ou Kindia à Forécariah, il n’y a pas d’autre choix que de pousser jusqu’à Coyah, aux portes de Conakry, avant de reprendre la route nationale 4 (RN4) Coyah-Pamelap vers la frontière avec la Sierra Leone. « L’ensemble des mines de la région se situent entre 150 et 350 km de la côte, soit trois à cinq fois plus éloignées de l’océan que celles du corridor nord, explique Ghassen Knani, le directeur général de MCI. L’exportation minière se faisant exclusivement par voie maritime, les coûts de transport sont actuellement trop élevés pour que l’exploitation de ces mines soit viable. » Un problème auquel le corridor sud devrait remédier.
Dans le détail, la concession comprend trois composantes. La première porte sur la rénovation et l’extension du port de Konta (dans la zone de Forécariah), propriété de l’État guinéen jusque-là exploitée par l’Indien Ashapura pour évacuer le minerai de fer venant de la mine de Yomboyéli, relancée en 2019. Outre la rénovation, MCI s’engage aussi à construire des quais de produits miniers et agricoles, un terminal pétrolier avec des capacités de stockage et un quai de service pour le fret et le matériel roulant. Un dispositif évoqué de longue date mais jamais réalisé, qui doit désengorger le port de Conakry.
On utilise les mines pour développer d’autres secteurs
La deuxième composante du projet est la construction d’une route de 160 km, dont 120 km reliant le port de Konta et la RN4 à la RN1 Kindia-Mamou, au niveau de Bokaria. La troisième et dernière composante est un chemin de fer long de 420 km (et réalisé en deux phases) devant relier le port de Konta aux plateaux bauxitiques des régions de Kindia et Mamou. L’utilisation des infrastructures par les sociétés minières se fait contre le paiement d’une redevance en faveur de MCI et de l’État.
Plusieurs milliers d’emplois créés
Selon les prévisions de MCI, 70 millions de tonnes de produits devraient être évacuées en dix ans et, pour chaque tonne, la Guinée percevrait 1,7 dollar de redevance. Au total, le projet rapporterait à l’État quelque sept milliards de dollars durant la durée de la concession, fixée pour l’heure à trente ans. Le projet devrait générer 4 500 emplois directs pendant la construction et 2 500 durant la phase d’exploitation. À terme, ces infrastructures réalisées dans le cadre d’un BOT (build, operate, transfer ; construire, opérer, transférer) reviendront à l’État.
Le corridor a l’avantage d’encourager les projets qui sont dans la zone tout en créant un nouveau pôle de développement
« Le besoin de construire un port multimodal dans la zone de Konta a toujours existé, commente un bon connaisseur du secteur. Généralement, les miniers développent des quais portuaires et non un complexe comme ici. Le corridor a l’avantage d’encourager les projets qui sont dans la zone tout en créant un nouveau pôle de développement. » Même son de cloche du côté de MCI. « On utilise les mines pour développer d’autres secteurs. C’est un projet structurant », résume Ghassen Knani. Une quinzaine de sociétés minières, dont Ashapura, la Société de bauxite Dabola-Tougué (SBDT), la Société des bauxites de Guinée (SBG), Elite Mining ou encore Belzone Mining, auraient déjà manifesté leur intérêt à investir.
« La difficulté est de réunir autour du projet tous les intervenants, alors que ce sont des entreprises aux compétences et cultures différentes, souligne Amadou Bah, président de l’ONG Actions mines Guinée. Les questions du financement, de la coordination, du respect des normes environnementales et de l’exploitation des infrastructures seront cruciales. »
Bras de fer judiciaire
« Ce n’est pas la qualité du projet qui est en cause mais la réunion de toutes les conditions d’investissement. Or, parmi elles, il y a l’absence de litige… » C’est ainsi qu’un bon connaisseur du secteur minier guinéen résume le contexte autour du projet de corridor sud. Présente en Guinée depuis 2014, MCI n’en est pas à son premier projet. Mais, un bras-de-fer judiciaire l’oppose depuis presque un an à quatre filiales de l’un de ses partenaires, Monaco Resources Group (MRG), présent à Forécariah à travers sa filiale Société des bauxites de Guinée (SBG).MCI accuse MRG et certains de ses responsables de « faux, escroquerie, abus de confiance, blanchiment de capitaux, association de malfaiteurs et complicité » pour un préjudice estimé à 16 millions d’euros, dommages et intérêts compris. Dans une ordonnance du 26 novembre 2021, un juge d’instruction du tribunal de Kaloum a interdit de sortie du territoire guinéen les huit mis en cause et ordonné une saisie de leurs biens comme mesures conservatoires. Une décision annulée le 4 janvier 2022 par la première chambre de contrôle de l’instruction de la cour d’appel de Conakry, saisie par MRG.
Les deux parties s’opposent sur la nature de l’affaire née d’un contrat entre les deux sociétés pour la réalisation d’une route de 200 km (reliant la RN4 à la RN1) et d’un port à Konta (Forécariah), MCI devant effectuer les travaux pour MRG. « Alors que les travaux sont exécutés à 44 %, contre toute attente, MCI porte plainte pour le paiement d’une facture hors convention », explique une note transmise à Jeune Afrique par SBG (dont la maison-mère est MRG) qui, depuis, ne souhaite plus commenter le dossier. La plainte de MCI est interprétée par SBG comme une « violation d’obligations contractuelles » ayant pour conséquence l’annulation du contrat.
Une « résiliation unilatérale », dénonce pour sa part MCI, qui assure avoir effectué 60 % des travaux de construction de la route et livré le port. « Ce n’est pas seulement un conflit civil, on estime qu’il y a eu des infractions pénales. On laisse la justice travailler sereinement et en toute indépendance », explique la conseillère juridique de MCI, Sophie Hacker-Waels, qui ne souhaite pas commenter davantage la procédure.
MCI, qui assure que le conflit n’a pas d’impact sur le développement du projet de corridor sud, souhaite « une solution légale et acceptable par tous ». « Dans l’intérêt général, nous nous emploierons à lever les verrous qui empêchent la reprise de la production », assure encore le groupe. Reste à savoir s’il n’est pas déjà trop tard.