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Locales au Sénégal : les enjeux du scrutin
C’est un répit bienvenu, une bouffée d’oxygène dans un environnement morose. Depuis le soir du 6 février, Macky Sall profite allègrement de la liesse née de la victoire de l’équipe sénégalaise à la Coupe d’Afrique des nations. Deux jours plus tard, les Lions de la Teranga ont été reçus au palais présidentiel avec honneurs et félicitations, après avoir été accueillis en héros dans la capitale. De quoi faire oublier, pour un moment du moins, certains échecs cuisants.
Car si la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) a remporté pas moins de 438 communes sur 553 lors des scrutins locaux du 23 janvier, elle a échoué à s’imposer dans certaines des villes les plus importantes, tant pour leur valeur électorale que symbolique. Dakar, Thiès, Kaolack, Diourbel ou encore Ziguinchor ont ainsi résisté au pouvoir, en dépit des efforts colossaux déployés par la majorité et de l’implication personnelle du chef de l’État.
Au lendemain de l’élection, la coalition reconnaissait avoir laissé échapper, avec Dakar et Ziguinchor, un « double objectif de conquête » – deux villes respectivement remportées par les opposants Barthélémy Dias et Ousmane Sonko. « Nous n’avons pas perdu ces deux mairies pour la bonne et simple raison que BBY ne les gérait pas, tempérait néanmoins BBY dans un communiqué. On ne perd que ce que l’on détient ! Toute autre considération relève de la désinformation et d’une tentative d’intoxication de l’opinion publique. »
L’opposition favorisée par les jeunes
Macky Sall tient lui aussi à imposer sa lecture des résultats des locales. Le 2 février, il a convoqué son parti pour saluer une « victoire à la fois nette et écrasante ». « Les chiffres apportent un éclairage heureux, a assuré le président devant ses partisans. Nous pouvons dire fermement que notre parti et ses alliés ont maintenu intacte notre majorité. » Il a toutefois concédé que le « meilleur » des bilans devait se baser sur la « critique et l’autocritique [pour] repartir sur de nouvelles bases ».
Dans certaines communes, on ne peut pas parler d’échec, mais d’un naufrage. Un vrai Titanic électoral
Une communication officielle qui peut difficilement édulcorer la débâcle de la majorité dans des villes cruciales. « Dans certaines communes, on ne peut pas parler d’échec, mais d’un naufrage. Un vrai Titanic électoral », lâche un cadre de l’Alliance pour la République (APR, parti présidentiel). Un naufrage qui s’explique en grande partie par l’échec du pouvoir à se réconcilier avec la jeunesse urbaine, qui a massivement voté à l’occasion de ce scrutin. Le taux de participation frise en effet les 60 % ; il n’était que de 37 % lors du scrutin de 2014.
C’est donc bien la mobilisation des jeunes, dans un pays où plus de 70 % de la population a moins de 35 ans, qui semble avoir favorisé la principale coalition de l’opposition, Yewwi Askan Wi (YAW). « Lors de ce scrutin, on n’a pas voté pour, on a élu contre, analyse le cadre APR cité plus haut. Nous n’avons pas su comprendre les humiliations qui affectent notre population. » L’analyse fait écho à celle proposée par Seydina Issa Laye Sambe, qui a forcé le candidat de la majorité pour Dakar, le ministre Abdoulaye Diouf Sarr, à rendre les clés de sa propre mairie à Yoff. « Les jeunes ont été peu associés à la gestion du pouvoir. Mais ils sont de plus en plus informés et éveillés, avides de changement », confiait-il à JA au lendemain de sa victoire.
Si des leçons devaient être tirées des émeutes de mars 2021, liées à l’arrestation d’Ousmane Sonko mais sur fond de revendications fondamentalement socio-économiques, elles ne l’ont donc pas été. En vérité, les prémices de cette colère auraient pu être observées avant même mars 2021, lors de l’établissement du couvre-feu pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Comme dans d’autres pays du continent, ces mesures coercitives avaient suscité la colère des travailleurs précaires, qui s’étaient retrouvés asphyxiés économiquement. Des débordements, principalement en banlieue dakaroise, avaient éclaté courant 2020, sévèrement réprimés par les forces de l’ordre. C’est dans ces zones que BBY a essuyé ses revers les plus cinglants.
« Il nous faut redéfinir le peuple. Le peuple, c’est le nombre et le nombre, c’est la jeunesse, observe un conseiller présidentiel. Il nous faut comprendre que les électeurs ne sont plus du bétail politique mais des citoyens éclairés qui portent des revendications. » Un constat lucide, quoique tardif. Les 6 milliards de francs CFA (environ 9,1 millions d’euros) déversés par la machine présidentielle lors de la campagne n’auront donc pas suffit.
« Une faillite dans la préparation du scrutin »
Quel impact ces échecs pourraient-ils avoir sur la majorité ? Dans la perspective de la nomination d’un nouveau Premier ministre – ce qui pourrait arriver rapidement –, les résultats des locales sont scrutés avec attention. Parmi la trentaine de ministres impliqués dans le scrutin, sept ont échoué à remporter leurs propres communes. Un nombre important de directeurs d’agence ont également été envoyés au tapis. Pourraient-ils être mis sur le côté ?
« Laissons-leur un peu de temps, observe un conseiller présidentiel. Si on les chasse maintenant, les conséquences pourraient être néfastes pour l’électorat. S’en séparer enverrait en outre un mauvais signal, comme si les ministres n’étaient pas sélectionnés pour leurs compétences, mais sur des bases exclusivement politiques. » Certains barons de la majorité, à l’instar du ministre de l’Économie, Amadou Hott, pressenti pour diriger le gouvernement avant sa débâcle dans la commune dakaroise de Yeumbeul Sud, pourraient être écartés de la course.
La multiplication des listes parallèles a également mis à jour les divisions du clan présidentiel et révèle « une faillite dans la préparation du scrutin », selon notre interlocuteur, qui regrette qu’il n’y ait pas eu d’arbitrage dans le choix des investitures. Charge désormais à Macky Sall de resserrer les rangs et d’opérer les changements nécessaires pour redresser la barre.
Remobiliser les troupes
D’autant que le camp d’en face, ragaillardi par les résultats du scrutin, commence déjà à fourbir ses armes pour les législatives de juillet et entend bien couper l’herbe sous le pied de Macky Sall, qui laisse planer le doute sur un éventuel troisième mandat. « Nous travaillons à la consolidation de notre coalition pour le prochain scrutin, affirme le député d’opposition Déthié Fall, membre de la coalition YAW. Nous n’allons pas tomber dans le piège du décompte du nombre de communes gagnées : nos communes font l’essentiel et la majorité de l’électorat. À présent, il nous faut parachever la victoire et imposer [au président] une cohabitation. »
À présent, il nous faut parachever la victoire et imposer une cohabitation
Pour l’heure, le pays tout entier, encore à la fête, a délaissé la politique pour savourer la victoire de ses Lions. Mais une fois l’enthousiasme retombé, il faudra que chacun se remette au travail. Dans la majorité, on assure avoir « compris le message de la jeunesse ». L’entourage de Macky Sall promet toute une panoplie de mesures : redéfinition d’une politique de l’emploi, augmentation du pouvoir d’achat et des salaires. Cela suffira-t-il à sauver la majorité dans les urnes ? Un cadre de BBY prévient : « C’est la survie du régime qui est en jeu. »