La dernière fois que l’Algérie a accueilli le sommet de la Ligue arabe, c’était en mars 2005. Fort de sa réputation d’homme de paix, le président Abdelaziz Bouteflika plastronnait au milieu des dirigeants et monarques arabes. De retour sur la scène internationale après une décennie de guerre civile, l’Algérie ambitionnait alors de jouer un rôle clé, aussi bien dans le monde arabe qu’en Afrique.
À l’époque, le temps était aussi à la réconciliation avec le Maroc, au point que Bouteflika avait fait miroiter à Mohammed VI la possibilité d’un règlement de la question du Sahara occidental et d’une réouverture des frontières, fermées depuis août 1994. Après trois jours à Alger, le roi du Maroc était rentré chez lui bredouille. Vingt-huit ans plus tard, le monde arabe est en proie à des conflits et à des bouleversements politiques majeurs.
L’Algérie et le Maroc sont au bord d’une confrontation militaire après la rupture de leurs relations diplomatiques
Présents à Alger en 2005, Ben Ali, Moubarak et Kadhafi ont disparu. La Libye, la Syrie et le Yémen ont sombré dans le chaos, le Soudan a connu la partition en 2011, tandis que l’Algérie et le Maroc sont au bord d’une confrontation militaire après la rupture de leurs relations diplomatiques. C’est donc dans un contexte politique extrêmement tendu que se déroulera le prochain sommet de la Ligue arabe.
Crise sanitaire
Mais encore faudrait-il qu’il se tienne, car les choses sont bien mal engagées. Et c’est là le premier challenge que doivent relever les autorités algériennes. Les sommets de 2020 et 2021 avaient été différés en raison de la crise sanitaire mondiale, le prochain l’est aussi.
Mais même en cas d’accord sur une date précise, l’autre défi pour Alger sera de convaincre dirigeants et dignitaires arabes de participer au sommet. Telle est la mission qui a été confiée au ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra. Une tâche pour le moins ardue. Pour le moment, seul le Koweït a confirmé sa participation.
Un sommet de la Ligue arabe avec la participation d’un maximum de dirigeants arabes serait une réussite pour le président Tebboune
« Il sera le premier pays à participer au Sommet arabe d’Alger et le dernier à le quitter », a déclaré Ahmed Nasser al-Mohammed Al Sabah, chef de la diplomatie koweïtienne. Un sommet de la Ligue arabe avec la participation d’un maximum de dirigeants arabes de haut rang serait une grande réussite pour le président Tebboune. Mais Riyad et Abou Dhabi ont réservé leur réponse. Ce qui n’augure rien de bon.
L’absence de puissances comme l’Arabie saoudite, les Émirats ou le Qatar serait un échec diplomatique pour le chef de l’État algérien. Même symbolique, l’enjeu est important pour le président Tebboune. Mal élu en 2019, un peu isolé pour cause de maladie et de pandémie, un sommet de la Ligue en Algérie contribuerait à lui conférer une stature internationale. Exactement comme ce fut le cas pour son prédécesseur, qui avait capitalisé sur le 35e sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) de juillet 1999 pour soigner son image.
Ping-pong diplomatique
L’enjeu politique est tout aussi important. Alger entend profiter de ce sommet pour ancrer davantage son retour sur la scène africaine et dans le monde arabe après une éclipse qui aura duré une dizaine d’années pour cause de paralysie de son appareil diplomatique. Asseoir une sorte de leadership au Maghreb, jouer un rôle dans le règlement des conflits en Libye et au Sahel, et tenter de peser au Proche-Orient sont les priorités de la diplomatie algérienne.
La visite, en décembre 2021, de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, s’inscrit dans cet agenda politique. Elle se voulait d’abord comme une réponse à la visite au Maroc du ministre israélien des Affaires étrangères, Yair Lapid, en août dernier.
La normalisation entre plusieurs pays arabes et Israël aura un impact considérable sur le déroulement du sommet
Le Maroc normalise ses relations avec Israël ? L’Algérie reste plus que jamais solidaire avec les Palestiniens. Rabat abandonne la Palestine et pactise avec « l’ennemi sioniste » ? Alger lui octroie une aide de 100 millions de dollars. Au-delà de cette visite et de cette aide, l’Algérie entend jouer un rôle dans ce dossier à l’occasion de ce sommet.
Les Accords d’Abraham, qui ont débouché sur la normalisation des relations entre Israël et quatre pays arabes – Émirats, Bahreïn, Soudan, Maroc, lesquels sont venus s’ajouter à l’Égypte et à la Jordanie – ont profondément modifié la donne politique, aussi bien au Moyen-Orient qu’au Maghreb.
La question de la Palestine, qui semble être l’une des priorités de la diplomatie algérienne, n’en est plus une pour ces pays qui ont décidé de nouer des relations politiques et économiques avec Tel-Aviv. Cette normalisation aura un impact considérable sur le déroulement du sommet d’Alger.
Sahara occidental, le sujet qui fâche
Mais il n’y pas que ce volet qui éloigne l’Algérie de certains pays arabes. La question du Sahara occidental, autre priorité de la diplomatie algérienne, est un dossier encore plus délicat.
Alors que l’Algérie s’en tient au plan d’autonomie sous l’égide de l’ONU, des pays comme Bahreïn, les Émirats et le Soudan ont déjà ouvert des consulats à Dakhla et Laâyoune, dans le sud du Maroc. Et l’Arabie saoudite, allié traditionnel du Maroc, reconnaît la souveraineté du royaume chérifien sur le Sahara occidental.
Dans le contexte de guerre froide entre Alger et Rabat, l’alignement de certains membres de la Ligue arabe sur les positions marocaines ne fait pas les affaires de l’Algérie. Si le nombre de participants n’est pas encore connu, pas plus que la date du sommet n’a été définitivement arrêtée, on sait en tout cas que le Maroc en sera le grand absent.