Encore un dossier brûlant pour la diplomatie africaine. Entre deux discussions sur la gestion de la crise sanitaire, la multiplication des coups d’État en Afrique de l’Ouest ou la préparation du très prochain sommet avec l’Union européenne, les chefs d’État et de gouvernements africains, réunis à Addis-Abeba les 5 et 6 février pour la 35e session ordinaire de l’Union africaine (UA), vont devoir se prononcer sur la demande d’Israël d’obtenir le statut d’observateur auprès de l’organisation panafricaine.
Accordée par le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, en juillet dernier, cette accréditation a été ensuite dénoncée début septembre par une vingtaine de pays du continent, contrariés d’avoir été mis devant le fait accompli. Moussa Faki Mahamat n’a donc pas eu d’autres choix que de revenir sur sa décision pour laisser les ministres des Affaires étrangères des 55 pays membres tenter de dégager un consensus sur ce sujet « ô combien sensible pour l’organisation », comme le qualifie un observateur au sein de l’UA. Sans succès. Faute d’accord, la question a été inscrite à l’ordre du jour de cette session de l’Assemblée générale.
« Aberration historique » ?
Côté israélien, on veut croire que l’UA mettra fin à ce que le ministre des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, qualifiait « d’aberration historique » dans les colonnes de Jeune Afrique fin 2021. Disposant aujourd’hui de relations officielles avec 46 pays du continent, Tel-Aviv ne semble pas avoir compté autant d’amis depuis longtemps en Afrique : « Il faut remonter aux années cinquante, quand Israël avait une trentaine d’ambassades à travers le continent », rappelle le chercheur Emmanuel Navon. L’État hébreu jouissait alors du statut d’observateur auprès de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), créée en 1963. Il en a été dépossédé au moment de la transformation de l’OUA en UA, en 2002.
Vingt ans après ce départ obligé, les plus ardents adversaires à son retour n’ont pas changé. Ils sont juste moins nombreux que par le passé, les relations s’étant normalisés avec plusieurs États après les accords d’Oslo de 1993.
Farouches opposants
En total déliquescence, la Libye n’est plus en mesure d’exercer une influence comparable qu’au temps de Mouammar Kadhafi. C’est donc l’Algérie qui la première au Nord s’est insurgée contre « l’évidence » de la décision prise par la Commission. Elle a rapidement agrégé autour d’elle la majorité des pays musulmans du continent, de la Mauritanie aux Comores, en passant par la Tunisie et Djibouti.
Le Maroc et le Soudan, en phase de rapprochement avec Tel-Aviv, manquent à l’appel. Tout comme le Tchad, qui a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël en 2018 suite à la visite historique du président Idriss Deby Itno à Jérusalem. « D’autres pourraient leur emboîter le pas, alors que les pays arabes du Moyen-Orient eux-mêmes multiplient les initiatives avec Israël », constate un conseiller auprès de la Commission de l’UA.
Au Sud du continent, de farouches opposants au retour d’Israël se font également entendre. Figure de proue de cette ligne, l’Afrique du Sud, championne de la cause palestinienne sur le continent depuis l’arrivée du Congrès national africain (ANC) au pouvoir en 1994, réunit autour d’elle le Botswana, le Zimbabwe, la Namibie ou encore le Lesotho. Dès juillet, Naledi Pandor, la cheffe de la diplomatie sud-africaine qualifiait la décision de Moussa Faki Mahamat « d’inexplicable ». Pour elle comme pour les autres tenants du camp du refus, « la situation en Palestine n’ayant pas changé, il n’y a pas de raison que le statut d’Israël change ». Le même argument avait suffi pour repousser les demandes israéliennes en 2013 puis en 2016. Peut-il en être autrement cette fois ?
Des surprises
Pour Paul Kagamé, si « chaque pays a le droit d’avoir sa propre opinion sur la question », l’octroi du statut d’observateurs à l’UA « ne devrait pas poser de problème ». Le président rwandais a également précisé il y a quelques semaines dans Jeune Afrique que « la décision prise par le président de la Commission était correcte du point de vue de la procédure ». Une réponse aux accusations formulées par les Sud-Africains et les Algériens ces derniers mois. Le Rwanda, avec le Maroc donc, mais aussi la Côte d’Ivoire, le Kenya ou la RD Congo figurent parmi les principaux soutiens d’Israël au sein de l’UA.
Ils pourraient compter à leur côté la grande majorité des pays francophones subsahariens, en fonction du mode de prise de décision suivi par l’organisation. « Le débat doit à nouveau avoir lieu samedi au niveau de la Commission et des ambassadeurs. Et si aucun consensus n’est obtenu, alors la décision sera renvoyée aux chefs d’État et de gouvernement, qui s’exprimeront lors de la séance plénière de dimanche », explique notre proche conseiller.
Un vote pourra être éventuellement organisé, la majorité des deux tiers sera à ce moment requise pour qu’Israël obtienne le statut qu’elle convoite tant. S’il est organisé à bulletin secret, des surprises sont alors possible, tant l’UA « semble encore très divisée sur la question », selon un think tank sud-africain. En cas de succès, l’État hébreu mettrait fin à deux décennies d’absence pour reprendre sa place parmi les 90 pays, organisations régionales et organismes internationaux aujourd’hui accrédités auprès de l’UA.