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« La politique au Maroc ? Elle est morte », constate le fondateur d’un mouvement politique pour les jeunes. La victoire du Rassemblement national des indépendants (RNI) lors des élections législatives du 8 septembre et la formation d’une coalition gouvernementale rassemblant les trois partis dits « d’administration » arrivés en tête – RNI, Parti Authenticité et Modernité (PAM) et Istiqlal (PI) – ont en tout cas consacré le retour du « tout technocratique » et réduit « l’opposition politique institutionnelle à néant », selon un élu de gauche.
La coalition RNI-PAM-PI dispose d’une majorité confortable : 270 députés sur 395 à la Chambre des représentants, soit 68,35 % des sièges, contre 125 pour l’opposition. Sans compter que les 28 élus du Mouvement populaire (MP) et les 5 du Mouvement démocratique et social (MDS), « des alliés historiques du RNI, maugrée un député du Parti de la justice et du développement (PJD), se seraient retrouvés dans l’opposition pour permettre au “parti des indépendants” de former une coalition forte. Ce ne sont donc pas des opposants. » Constat identique concernant les 18 sièges remportés par l’Union constitutionnelle (UC), qui s’est déjà alliée par le passé avec le RNI et avec lequel elle partage la même sociologie – plutôt des technocrates et des notables.
Après dix ans à la tête du gouvernement, le « parti de la lampe » n’a quant à lui pu grappiller que 13 sièges, soit 112 de moins que lors de la précédente législature. Pas même de quoi constituer un groupe parlementaire. Le Parti socialiste unifié (PSU) et l’Alliance de la fédération de gauche (AFG) n’ont remporté qu’un siège chacun. Au milieu de ce marasme, l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et le Parti du progrès et du socialisme (PPS) tirent leur épingle du jeu, avec respectivement 34 et 22 élus, mais ce sont des formations politiques usées par des décennies de politique politicienne et dont les secrétaires généraux sont contestés en interne.
Le 19 janvier, à l’occasion des cent jours de son gouvernement, Aziz Akhannouch a donné une interview télévisée, la toute première depuis sa nomination. Interrogé sur la faiblesse de l’opposition, le chef du gouvernement s’est contenté de répondre : « Le peuple en a décidé ainsi. »
Grosse audience sur les réseaux sociaux
Si arithmétiquement, l’opposition institutionnelle s’est réduite comme peau de chagrin au sein du Parlement, elle conserve une audience dans les médias et sur les réseaux sociaux. Abdelilah Benkirane, leader historique du PJD, comptabilise des dizaines de milliers de vues à chacun de ses « live Facebook », tous plus véhéments les uns que les autres à l’égard du gouvernement et de Aziz Akhannouch, même s’ils se font plus rares depuis qu’il a repris la tête de son parti, fin octobre 2021.
Du côté de la gauche, Nabila Mounib (PSU) et Nabil Benabdellah (PPS) montent régulièrement au créneau et ne mâchent pas leurs mots à l’endroit du gouvernement. Mais sur le plan politique, leur capacité d’action semble insignifiante. « Les défis sont énormes. Sur le terrain, le PJD suscite un fort rejet des citoyens, c’est un parti qui a été usé par le pouvoir et s’est consumé, analyse un élu de Rabat. Benkirane veut ressouder sa formation, mais les “islamistes” doivent se réinventer. Or ils sont en proie à de profondes luttes intestines. A priori, leur affaiblissement pourrait durer au moins cinq ou dix ans. Quant à la gauche, elle doit s’unifier. C’est un énorme chantier qui passera d’abord par un gros travail au niveau local. »
Pour cet élu, la situation est « dangereuse. Il y a une colère latente dans le pays. Il existe des foyers de contestation dans le Rif, à Jerrada, à Zagora et même plus récemment à Marrakech, avec la crise du tourisme. Parfois, les mouvements sont très coordonnés, mais totalement coupés des partis politiques ou des syndicats. L’opposition est dans la rue mais n’a pas de représentants capables de défendre ses revendications. L’État, en ligne directe avec les citoyens, s’appuie sur l’appareil sécuritaire pour garder le contrôle. Quant aux forces plus extrémistes, comme Al Adl Wal Ihsane, elles sont moins visibles, mais bel et bien présentes. »
Cohésion de la coalition gouvernementale
À demi-mot, une partie de l’opposition table sur la contestation sociale pour tenter de se refaire une santé. Seulement voilà, en face, dès le moindre départ de flammes, l’État fait preuve d’une grande réactivité pour apporter des solutions ou endiguer la contestation.
Pour ce faire, l’actuelle coalition gouvernementale, dont les trois partis partagent le même socle idéologique, mise aussi sur la cohérence et l’articulation de son action sur l’ensemble du territoire. Le RNI, le PAM et l’Istiqlal ont obtenu environ 70 % des sièges dans les conseils communaux et conseils régionaux, ce qui permet au gouvernement de disposer d’une capacité de gestion territoriale extrêmement forte. De quoi maintenir le dialogue en permanence et mettre en œuvre une partie de son programme. Une cohésion inédite comparée aux majorités gouvernementales qui se sont succédé depuis 1998, jusqu’ici très hétérogènes. En 2017, par exemple, le PJD s’était allié avec le RNI, c’est dire…
Le débat politique n’intéresse pas grand monde. Les gens veulent du concret
Depuis l’arrivée à la tête du gouvernement de Aziz Akhannouch, de nombreux médias et personnalités politiques de premier plan dénoncent le mutisme de ce dernier et de son parti, le RNI. Certains vont même jusqu’à parler de « disparition ». Mais c’est beaucoup moins vrai à l’échelle locale, où les acteurs territoriaux communiquent énormément à travers leurs réseaux sociaux et les médias locaux. Le gouvernement privilégie la communication à destination de ses électeurs : ceux du terroir, des communes rurales et des villes moyennes. « Mais le débat politique, ou même idéologique, n’intéresse pas grand monde. Les gens veulent du concret. Il y a quelques mois, dans une ville au sud de Casablanca, j’avais proposé à nos adhérents une série de débats sur la Constitution : on m’a demandé si, à la place, je ne pouvais pas faire des conférences sur les subventions accordées aux autoentrepreneurs ! » raconte, désabusé, Zakaria Garti, le fondateur du mouvement politique Maan.
Le gouvernement est également très attentif à ce qui se dit dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Après avoir sévi quelques semaines en novembre contre les manifestants opposés au pass sanitaire, les autorités ont finalement abandonné – officieusement – ce dernier. Après le déclenchement du « Me Too université » début janvier, lorsque des dizaines d’étudiantes ont dénoncé des actes de harcèlement de la part de certains professeurs, le ministère de l’Enseignement supérieur a immédiatement dépêché des commissions d’enquête et suspendu des membres du corps professoral mis en cause.
L’autre élément qui joue en faveur de la coalition gouvernementale, c’est la mise en œuvre de grandes réformes sociales et institutionnelles qui font consensus, notamment la généralisation de la protection sociale. La méthode utilisée peut être sujette à débat, mais le contexte (crise sanitaire et économique, déficit budgétaire et commercial, inflation mondiale…) limite de toute façon les marges de manœuvre des autorités. On le sait, ces réformes seront longues et laborieuses. Et si, au cours de ce quinquennat, une contestation massive et généralisée devait émerger, le gouvernement, tout comme l’opposition, feraient face à de grandes difficultés.