Politique

RDC : l’ascension brisée de Jean-Marc Kabund, l’incontournable devenu paria

Le patron par intérim du parti de Félix Tshisekedi, l’UDPS, s’était bâti une place de choix au cœur du pouvoir. Personnage aussi stratégique qu’encombrant, il vient d’en être radié. Une disgrâce éclair dont Jeune Afrique vous fait le récit.

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Mis à jour le 31 janvier 2022 à 11:57

Jean-Marc Kabund, secrétaire général de l’UDPS, principal parti d’opposition en République démocratique du Congo, pose dans son bureau de Kinshasa, le 15 septembre 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA.

De tous les sièges de partis politiques installés aux abords du boulevard Lumumba, à Kinshasa, celui de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) est le plus reconnaissable. L’automobiliste qui s’y présente est d’abord accueilli par un grand panneau rappelant la devise du parti, « le peuple d’abord ». Il est ensuite intercepté par un dispositif de sécurité bien particulier. Car devant la grande grille d’entrée, ce ne sont ni des militaires ni des policiers qui assurent la sécurité et filtrent les véhicules, mais des militants et militantes, casquettes sur la tête et talkie-walkie à la main.

Ici, au bouillonnant QG du parti présidentiel, l’atmosphère s’est considérablement tendue ces derniers jours. Le 22 janvier, une très longue réunion animée par le secrétaire général, Augustin Kabuya, a été consacrée au dossier du moment, celui de la démission de Jean-Marc Kabund de son poste de premier vice-président de l’Assemblée nationale, annoncée huit jours plus tôt. Au terme d’un huis clos houleux dont aucun autre détail n’a filtré, la sanction est finalement tombée une semaine plus tard : pilier de la majorité depuis l’élection de Félix Tshisekedi, Kabund a été démis de ses fonctions de président par intérim et radié de l’UDPS, le 29 janvier. En à peine vingt jours, l’incontournable est devenu paria.

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Tout s’est accéléré le 14 janvier. Ce jour-là, Jean-Marc Kabund annonce sur les réseaux sociaux sa démission du bureau de l’Assemblée nationale. Une déclaration surprise qui fait immédiatement l’objet de diverses interprétations. S’agit-il d’une simple menace en réaction à l’intervention de la Garde républicaine, deux jours plus tôt à son domicile ? Ou au contraire d’un acte calculé traduisant un mécontentement plus large ? N’avait-il pas confié, à certains de ses visiteurs, son inquiétude et ses désaccords vis-à-vis de la stratégie politique adoptée au sommet de l’État ? « J’ai pris cette décision dans votre intérêt, sachez que je ne vous trahirai jamais », promet alors Kabund.

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Il n’entreprend aucune démarche à l’Assemblée pour concrétiser cette démission, mais la machine s’emballe. Une à une, les sections de l’UDPS le désavouent, de même que les groupes parlementaires qui constituent l’Union sacrée. Contacté par Jeune Afrique, l’entourage du chef de l’État assure qu’il a fini par trancher et que décision a été prise de mettre Kabund à l’écart, « en douceur ». Les proches du patron de l’UDPS ont beau temporiser et affirmer que Kabund ne quittera véritablement le bureau de l’Assemblée nationale « que s’il y est poussé », il est trop tard.

Contrepoids face à Mabunda

La chute est aussi rapide que surprenante. Nommé le 23 janvier 2019 à la veille de l’investiture de Félix Tshisekedi, dont il doit assurer l’intérim à la tête de l’UDPS, Kabund joue tout de suite les premiers rôles. Dans une Chambre basse acquise à Joseph Kabila, Kabund est choisi pour faire contrepoids face à Jeanine Mabunda, une proche de l’ancien président qui s’est vue confier le perchoir. Nommé à la tête du comité chargé de négocier les postes au gouvernement, il s’active en coulisses pour en obtenir le plus possibles pour le chef de l’État et devient une courroie de transmission essentielle. « Il n’était pas à proprement parler un proche de Tshisekedi, explique un membre de l’entourage du président. Mais nous étions dans une logique de combat car nous n’avions pas la majorité. »

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À l’époque déjà, Kabund apparaît comme un personnage clivant. Au sein de son propre parti, certains lui reprochent des méthodes « autoritaires » et souhaitent mettre un terme à son intérim. Il est aussi en délicatesse avec le puissant directeur de cabinet de Tshisekedi, Vital Kamerhe, qu’il juge trop influent. Mais les critiques les plus frontales viennent du camp Kabila. Sa cohabitation avec Jeanine Mabunda tourne à l’affrontement permanent, chacun accusant l’autre d’agir en militant de son propre camp. Et puis il y a ce SMS, qui n’était pas destiné au raïs mais qui lui a été transmis, dans lequel il Kabund l’accuse de faire de l’ombre à son successeur. Kabila ne le lui pardonne pas.

Le 25 mai 2020, Kabund encaisse son premier revers : il est destitué de son poste de premier vice-président de l’Assemblée à l’issue d’une séance chaotique à laquelle il refuse d’assister.

Incontournable et omniprésent

Pour le patron de l’UDPS, ce tour de force du Front commun pour le Congo (FCC) s’avère être un mal pour un bien. Car cette mise à l’écart ne change rien à la mauvaise entente entre le camp de Joseph Kabila et celui de Félix Tshisekedi. Qu’il s’agisse de la réforme judiciaire entreprise par le FCC ou des ordonnances promulguées par Tshisekedi portant remaniement dans l’armée et la magistrature, la rupture est inévitable.

Fin octobre 2020, Tshisekedi annonce le lancement de consultations nationales. Dans l’ombre, Jean-Marc Kabund reprend du service. « Après sa destitution, il a demandé des moyens pour pouvoir se battre. Il est revenu dans le costume qui lui convient le mieux : celui de militant », résume un proche du chef de l’État.

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Il devient alors l’un des grands artisans du débauchage des membres du FCC. C’est aussi lui qui, en coulisses, mobilise pour la signature d’une pétition, visant cette fois le bureau de Jeanine Mabunda, dont il avait été évincé six mois plus tôt. Le 10 décembre, Mabunda est destituée et, pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi récupère la majorité. Le 3 février 2021, Kabund retrouve son poste de premier vice-président de l’Assemblée.

Au sein de cette Union sacrée désormais acquise à Tshisekedi, le patron de l’UDPS joue les meneurs de troupes. Il participe aux discussions entre Tshisekedi et ses différents alliés, dont Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, s’entoure d’une poignée de députés et planche sur les nominations à venir. Il rassure même les députés qui craignent s’essuyer des représailles pour avoir lâché Kabila et changé de camp. “Je l’ai dit au chef de l’État, les intérêts du FCC au sein de l’Union sacrée, c’est moi”, lance-t-il lors d’une réunion avec eux. Et quand la composition du gouvernement provoque des remous, c’est encore lui qui promet des compensations.

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Désormais incontournable, Kabund se sent pousser des ailes. Il recadre publiquement le patron de la police, interpelle les ministres sur le train de vie de l’État, critique François Beya, le conseiller sécurité du chef de l’État, lorsque celui-ci tient des propos qu’il désapprouve. Sur les routes de Kinshasa, on le voit donner des ordres aux policiers affectés à la circulation routière. Il va jusqu’à s’opposer à certains membres de la famille présidentielle.

Rapidement, son omniprésence agace. Au sein de l’Union sacrée, certains lui reprochent de trop privilégier ses alliés du FCC, d’autres de favoriser l’UDPS, d’autres encore de bloquer la mise en place d’une structure de coordination pour garder la main sur la gestion des députés. Au sein de son parti, les rivalités mises en suspens le temps de la formation de la nouvelle majorité réapparaissent.

Accès direct au président, mais peu de soutiens

Jean-Marc Kabund, secrétaire général de l'UDPS, lors d'un point presse à Kinshasa le 7 janvier 2019 (archives). © Jerome Delay/AP/SIPA

Jean-Marc Kabund, secrétaire général de l'UDPS, lors d'un point presse à Kinshasa le 7 janvier 2019 (archives). © Jerome Delay/AP/SIPA

« Quand ils sont à court d’arguments, les gens veulent faire croire que rien ne va à l’UDPS. C’est faux », défendait Augustin Kabuya quand Jeune Afrique l’interrogeait, fin novembre 2021, sur ces dissensions internes. Le secrétaire général reprochait aux détracteurs de Kabund d’être guidé par la « frustration ». « Au jour d’aujourd’hui les gens doivent jeter des fleurs aux gestionnaires du parti », ajoutait-il.

Lorsque le président intérimaire du parti du chef de l’État se croit plus important que tout le monde, sa place n’est plus parmi nous

Kabund dispose encore d’un accès direct au président, mais ne compte que peu de soutiens au sein de son cabinet. Ses relations avec le puissant François Beya sont pour le moins tendues. Celles avec la Première dame, Denise Nyakeru, sont courtoises, mais pas plus, et une rivalité l’oppose au directeur de cabinet, Guylain Nyembo.

Plus problématique, plusieurs membres de l’entourage de Félix Tshisekedi l’accusent de se comporter comme un « vice-président », voire de lorgner la succession de Tshisekedi. « Lorsque le président intérimaire du parti du chef de l’État se croit plus important que tout le monde, sa place n’est plus parmi nous, tance aujourd’hui un intime du président. Nous avons tous été à l’école de l’humilité avec le Sphinx (Étienne Tshisekedi, décédé en 2017, NDLR), mais certains faisaient l’école buissonnière. » Contacté par le biais de ses équipes, Jean-Marc Kabund n’a jamais souhaité réagir à ces accusations.

Proximité avec la base du parti

A-t-il pêché par ambition ? Nommé secrétaire général de l’UDPS en août 2016, en remplacement de Bruno Mavungu, jugé trop conciliant avec le camp Kabila, Kabund s’était rapidement affirmé comme un homme de terrain au discours radical. « Il a été la dernière autorité intronisée par Étienne Tshisekedi et en a tiré beaucoup de sa légitimité », explique un collaborateur de Tshisekedi père. Il mise beaucoup sur sa proximité avec la base du parti, « les combattants », au risque que certains de ses collègues du parti voient en lui un « militant » plus qu’un politique.

Auprès d’un diplomate, Kabund se vante de son influence sur le président

Lorsqu’à l’issue de la réunion de Genève, en novembre 2018, Martin Fayulu est désigné comme le candidat de l’opposition, le sang de Kabund ne fait qu’un tour. Il agite la menace d’une destitution de Tshisekedi de la présidence de l’UDPS si ce derenier ne revient pas sur l’engagement pris en Suisse. L’épisode a fortement marqué le parti, au point d’être commémoré en novembre dernier lors d’une « journée de la base ». « C’est resté un vrai fait d’armes pour lui », résume un diplomate auprès de qui Kabund s’est vanté de son influence sur le président.

Visait-il plus haut ? Cette question s’est posée dans l’entourage de Tshisekedi. Personne n’ignore qu’il disposait, au sein de l’UDPS, de sa propre structure, baptisée « Décision finale », et travaillait à la mise en place d’autres formations pour soutenir le chef de l’État, selon un proche de ce dernier.

L’UDPS affaiblie ?

Gérer l’après-Kabund ne sera pour autant pas une mince affaire. “Certains ont recommandé au chef de l’État de se méfier et de lui confier un autre poste en guise de compensation”, affirme un conseiller de Félix Tshisekedi.

Augustin Kabuya devient de fait le nouvel homme fort du parti

Alors que les rumeurs de remaniement se multiplient à Kinshasa et que le chef de l’État doit aussi procéder aux nominations dans les entreprises publiques, plusieurs députés, notamment parmi les transfuges du FCC, craignent de perdre, avec la mise à l’écart de Kabund, leur porte-voix. L’UDPS, qui a connu de nombreuses dissidences dans le passé, pourrait également en sortir affaiblie.

« Je suis le secrétaire général de ceux qui m’aiment et de ceux qui ne m’aiment pas. Je ne veux pas voir les combattants se quereller entre eux. Nous devons nous aimer tous », a lancé Augustin Kabuya, devenu, de fait, le nouvel homme fort du parti.

Ces derniers jours, les cadres de l’UDPS se sont activés pour préparer la suite, notamment autour de l’incontournable mère du chef de l’État, Marthe Kasalu Tshisekedi, très sollicitée. Car comme il est de coutume dans le quartier de Limete, c’est à la famille de feu Étienne Tshisekedi, dont le gigantesque portrait trône toujours dans la cour intérieure, qu’est revenu le dernier mot.