Ce 23 janvier, Seydina Issa Laye Sambe a réalisé deux exploits. Le premier, et non des moindres : avoir gagné à Yoff, dans le fief du maire sortant, Abdoulaye Diouf Sarr. Battu à Dakar par l’opposant Barthélémy Dias, le candidat de Macky Sall n’a donc même pas pu sauver l’honneur en conservant sa mairie d’arrondissement. Le second : avoir arraché à seulement 34 ans une commune importante de la capitale, dans un milieu politique peu disposé à laisser la place aux jeunes.
De quoi faire du maire fraîchement élu la nouvelle coqueluche des réseaux sociaux, qui ne manquent pas de faire remarquer son physique de jeune premier. Dans le salon familial du quartier Yoff-Layène où il reçoit la presse, son « équipe de choc » s’affaire autour de « Seydi ». Chaussures de ville et chemises parfaitement repassées, la bande de jeunes hommes bien mis savoure la victoire.
« Vers la fin de la campagne, nous avons senti une dynamique, et nous avons réalisé que Abdoulaye Diouf Sarr perdait du terrain. Cette victoire était un vrai soulagement », glisse Abib Gaye, l’un des proches de Sambe, qui travaille depuis des mois sur son plan de communication. L’ensemble de l’équipe, embarquée dans la campagne électorale sans trop savoir vers quoi elle se dirigeait, décrit une « aventure » un peu folle.
Effet domino
Le nouveau maire de Yoff, à n’en pas douter, veut incarner cette mouvance d’hommes politiques dans laquelle s’inscrivent les leaders de l’opposition comme Ousmane Sonko, tout juste élu à Ziguinchor (Casamance, Sud), ou Barthélémy Dias. Une nouvelle génération qui entend rompre avec la politique classique, incarner le changement, et qui maîtrise parfaitement les codes de la communication numérique. Sambe veut voir dans son élection l’effet domino de l’éveil de la jeunesse.
« Ces dernières années, les jeunes ont été peu associés à la gestion du pouvoir. Mais ils sont de plus en plus informés et éveillés, avides de changement. Cela commence à se faire sentir, d’où l’importance d’associer cette jeunesse-là à la gouvernance locale et nationale. »
Dès la fin des élections, nous avions projeté de présenter un candidat jeune, capable de faire la différence et de prendre la relève
Jeune certes, le Yoffois n’a rien d’un novice. Formé dans la finance et la gestion, ce chargé du service comptabilité à la mairie de Dakar – un poste qu’il n’est pas sûr de conserver – est entré en politique en 2007. Il fait ses armes au sein des jeunesses socialistes, sous la houlette de l’ancien ministre Mamadou Diop. Dans l’opposition au début des années 2000 après des décennies au pouvoir, le Parti socialiste d’Ousmane Tanor Dieng traverse une crise profonde. Sous la direction de son leader, le PS lance alors une grande campagne de remobilisation, intégrant de nouveaux jeunes dans ses rangs.
Parmi eux, plusieurs candidats victorieux de ces élections locales de 2022 au sein de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW). Barthélémy Dias bien sûr, devenu en 2009 le plus jeune maire du pays en gagnant à Mermoz-Sacré-Cœur. Babacar Diop également, désormais leader des Forces démocratiques du Sénégal (FDS), qui vient de remporter la mairie de Thiès.
Seydina Issa Laye Sambe, lui, apprend le métier à Yoff et dans la capitale. En 2014, il est nommé secrétaire général des jeunes du département de Dakar. Abdoulaye Diouf Sarr vient d’être élu à Yoff, et le jeune socialiste prépare déjà la suite. « Dès la fin des élections, nous avions projeté de présenter un candidat jeune, capable de faire la différence et de prendre la relève. Mais la lutte a été rude : il nous a fallu batailler ferme et être très stratèges », confie-t-il au lendemain de sa victoire.
Un mandat pour se préparer
« Il a commencé très tôt à s’impliquer à la base, se remémore Moussa Taye, conseiller politique de Khalifa Sall. Dès 2014, il a saisi qu’il pouvait devenir le prétendant du PS à Yoff, où le parti manquait de leadership. Il a su s’y faire une place et fédérer l’opposition autour de lui. Cette victoire, c’est le couronnement d’un long combat. »
Au sein de la coalition Yewwi Askan Wi, à laquelle il appartient, le maire aura su convaincre de sa légitimité. Car le Yoffois ne vient pas de nulle part. Ce fils d’un administrateur civil est aussi, par sa mère, dignitaire religieuse, le descendant de Seydina Limamou Laye, le fondateur de la confrérie layène à qui il doit son prénom. Il n’a donc rien à envier à son concurrent, dont il est d’ailleurs le parent.
Pour déboulonner Diouf Sarr, il fallait de l’audace et de la ténacité
Bien sûr, certains ont essayé de le dissuader de se présenter, lui ont suggéré de s’allier avec le maire sortant, « l’indétrônable » ministre de la Santé et membre fondateur du parti présidentiel. « Pour déboulonner Diouf Sarr, il fallait de l’audace et de la ténacité », loue aujourd’hui Moussa Taye, qui souligne l’humilité d’un jeune homme « éduqué dans les valeurs islamiques ».
La politique est parfois d’une ironie cruelle. Le ministre Abdoulaye Diouf Sarr, que Jeune Afrique avait rencontré à la veille du scrutin, semblait sûr de pouvoir rempiler dans sa commune. « Pour me battre à Yoff, il faut se lever de bonne heure », avait assuré, un peu vite sans doute, l’édile sortant. Peut-être avait-il sous-estimé l’énergie de la jeunesse. Seydina Issa Laye Sambe, ancien adepte des courses de vitesse, n’est pas du genre à faire la grasse matinée.