Politique

Burkina : « L’Europe demande la libération immédiate du président Kaboré »

Comment l’UE réagit-elle au coup d’État au Burkina ? Va-t-elle emboîter le pas à la Cedeao et sanctionner le Mali ? Entretien avec Emanuela Claudia Del Re, représentante de l’UE pour le Sahel, à la veille d’un sommet entre la diplomatie européenne et les pays du G5 Sahel.

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Mis à jour le 26 janvier 2022 à 21:43

Un manifestant à Ouagadougou, mardi 25 janvier 2022, brandit des portrait du lieutenant-colonel burkinabè Damiba et du colonel malien Goïta. © Sophie Garcia/AP/SIPA

C’est une réunion cruciale qui doit se tenir ce mercredi 26 janvier sous l’égide de Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les affaires étrangères et la politique de sécurité]. Les chefs de la diplomatie européenne rencontrent leurs homologues des pays du G5 Sahel dans un contexte particulièrement tendu en Afrique de l’Ouest. Le coup d’État mené par les hommes du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui a débouché sur la chute du désormais ex-président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, sera au coeur des discussions. Tout comme la situation politique au Mali voisin, et les tensions diplomatiques croissantes entre Bamako et ses alliés occidentaux, sur fond de suspicions de plus en plus fortes autour d’un déploiement de mercenaires de la société russe Wagner.

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À la veille du sommet, l’Italienne Emanuela Claudia Del Re, représentante de l’UE pour le Sahel, affirme d’ores et déjà que l’Europe soutient les sanctions prises par la Cedeao à l’encontre de Bamako et laisse entendre qu’elle emboîtera le pas de l’organisation ouest-africaine. Évoquant la situation au Burkina Faso, où elle dit avoir observé des « signes préoccupants » depuis plusieurs mois, elle appelle à la remise en liberté du président déchu et enjoint au respect de l’ordre constitutionnel.

Les ministres de l’UE vont décider d’éventuelles sanctions à l’encontre d’individus maliens

Jeune Afrique : Comment analysez-vous le coup d’État du 23 janvier au Burkina Faso ?

Emanuela Claudia Del Re : L’UE condamne toutes les formes de violence, rappelle son attachement au respect des institutions républicaines et de l’ordre constitutionnel, et appelle à la remise en liberté immédiate du président Kaboré et des membres des institutions de l’État.

Lors de ma visite officielle dans le pays, j’avais déjà perçu des signes préoccupants. Ces derniers mois, la situation sécuritaire s’est détériorée, avec plusieurs attaques contre l’armée et des civils. Au second semestre, il y a eu une cristallisation des problèmes : peur croissante des populations liée à la succession des attentats, mécontentement au sein des Forces armées et de sécurité (FDS) et des Volontaires pour la défense (VDP). Enfin, la corruption et l’inflation ont conduit à une augmentation drastique des prix, dans un pays où 40,1 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

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Le putsch du 23 janvier est le cinquième coup d’État – réussi ou manqué – dans un pays de la Cedeao, après ceux d’août 2020 et de mai 2021 au Mali en 2020, celui de septembre 2021 en Guinée et la tentative menée fin mars dernier au Niger, peu avant l’investiture du président Mohamed Bazoum. C’est de cette instabilité récurrente que se nourrissent les groupes armés pour saper encore plus les fondements des principes, valeurs et institutions des États du Sahel.

Emanuela Claudia Del Re, représentante de l'UE pour le Sahel, à Rome, en décembre 2021 © Gloria Imbrogno/LiveMedia/Shutterstock/SIPA

Emanuela Claudia Del Re, représentante de l'UE pour le Sahel, à Rome, en décembre 2021 © Gloria Imbrogno/LiveMedia/Shutterstock/SIPA

Qu’attendez-vous du sommet entre l’UE et les pays du G5 Sahel, le 26 janvier ?

Nous allons consolider le partenariat déjà très important entre l’UE et les pays du G5 Sahel. Notre nouvelle stratégie, définie en avril 2021, nous a permis d’étendre notre coopération à de nouveaux domaines et de mettre en commun nos forces pour obtenir des résultats concrets. L’objectif sera de renforcer le dialogue avec l’UE, mais aussi entre les pays membres du G5, qui ont créé cette organisation afin de mieux analyser les problèmes et se les répartir.

Ce sera également l’opportunité d’aborder plusieurs questions relatives à la situation au Mali, qui est prioritaire, sans oublier qu’une transition est en cours au Tchad, et que le Niger fait face à d’autres défis. Chaque pays a son propre parcours.

Quelle est la position de l’UE vis-à-vis des sanctions décidées par la Cedeao à l’égard du Mali ? Bruxelles va-t-elle en prendre à son tour ? 

La situation est en constante évolution et l’UE se doit de faire preuve de cohérence. Pour cela, l’Europe doit soutenir la position de la Cedeao, qui a décidé d’appliquer des sanctions au Mali sur la base de deux motifs principaux : la proposition de transition de cinq ans, qui n’est pas acceptable, ainsi que l’arrivée sur son sol du groupe Wagner.

Le sommet des ministres de l’UE prévu aujourd’hui va permettre aux 27 pays membres de délibérer autour de la position à adopter et de prendre des décisions dans des domaines spécifiques, comme sur d’éventuelles sanctions à l’encontre d’individus maliens.

J’ai dit à Assimi Goïta que la présence de Wagner au Mali constituait une ligne rouge

Ces sanctions ne risquent-elles pas d’affecter davantage la population malienne que ses dirigeants ?

Ces risques sont réels et ils ont été pris en considération. Mais la situation était devenue très tendue, le message envoyé se devait donc d’être clair : fermeté sans fermeture. Nous restons fermes sur les principes fondamentaux – la durée de la transition et la présence de Wagner – mais nous sommes conscients qu’il faut favoriser le dialogue et ne pas isoler le Mali. Cela représenterait un risque pour la population, qui reste notre préoccupation principale. Le peuple malien doit pouvoir vivre dans un cadre de sécurité et de citoyenneté.

Disposez-vous d’éléments précis quant à la présence du groupe Wagner au Mali ? Si cette présence est avérée, que comptez-vous faire ?

Josep Borrell [le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité] et moi-même affirmons depuis longtemps que la présence du groupe Wagner constituerait une ligne rouge. Je l’ai dit à Assimi Goïta.

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Comment évaluez-vous la situation sécuritaire globale dans la région ?

La situation est grave. La question sécuritaire domine tout et masque les avancées que nous faisons dans d’autres domaines, comme le développement ou le patrimoine. L’UE adopte des stratégies qui ne reposent pas uniquement sur une approche militaire mais qui prennent aussi en compte la gouvernance, qui est la réponse la plus importante et la synthèse de ce que nécessitent les populations locales.

Des groupes armés contrôlent de grands territoires et se comportent comme des États alternatifs.

Aujourd’hui, des groupes terroristes et armés contrôlent de grands territoires et se comportent comme des États alternatifs. Ils sont en mesure de subvenir à certains besoins des populations, de prélever des taxes, et parviennent à rallier à leur cause des jeunes en quête d’opportunités. La seule réponse que nous pouvons apporter est celle du rétablissement d’un système démocratique, d’un État de droit qui peut assurer sa propre sécurité, doté de structures permettant de rétablir le contrat social entre la population et ses institutions.

Dans le bras de fer entre la junte militaire malienne au pouvoir et la France, l’Union européenne est-elle solidaire de Paris ?

Pour des raisons historiques, la France occupe une position spéciale au Sahel et au Mali en particulier, qui a rendu possible une coopération et une compréhension mutuelle et qui bénéficie toujours aux deux parties. Mais il y a actuellement un problème de compréhension entre elles.

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Il nous faut trouver une stratégie permettant de rétablir la confiance, pour éviter que les pressions ne s’intensifient. L’UE prend en compte les intérêts de l’Union tout entière et aussi bien les questions de sécurité que de développement.