Économie

Mali : le bilan économique des années IBK

« Ce qui est à retenir, c’est que nous avons réussi à avancer », scandait Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), en 2018, quelques temps avant sa réélection à la présidence du Mali. Mais, en sept ans, qu’a-t-il accompli sur le plan économique ? Qu’a-t-il laissé derrière lui ? Quelles lacunes subsistent ?

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Mis à jour le 24 janvier 2022 à 17:27

Ibrahim Boubacar Keïta, lors d’une interview à Jeune Afrique au palais de Koulouba, à Bamako, le 17 juin 2019. © Vincent FOURNIER/JA

Le défunt Ibrahim Boubacar Keïta, décédé le 16 janvier 2022, aura présidé le Mali un peu moins de sept ans. Son mandat a commencé sous de sévères auspices, notamment avec la montée en puissance du terrorisme, et aura pris fin de façon inopinée à la suite d’un coup d’État en août 2020. Au delà du récit politique de ces années marquées par les défaillances sécuritaires, l’économie du pays a pourtant évolué. Retour sur les indicateurs les plus parlants.

IBK a hérité d’un pays rongé par une crise politique, sociale, institutionnelle, sécuritaire et économique sans précédent

Des « efforts importants »

Ibrahim Boubacar Keïta a hérité d’un pays rongé par une crise « politique, sociale, institutionnelle, sécuritaire et économique sans précédent », comme indiqué dans le Plan pour la relance durable du Mali 2013-2014 (Pred). Celui que ses partisans surnommaient « Kankeletigui » (l’homme qui n’a qu’une parole, en bambara) a pourtant relevé le défi de la relance économique, du moins au début de son mandat.

En 2014, soit deux ans après le coup d’État de 2012, le Mali affichait un taux de croissance très élevé de 7,2 % contre 1,7 % en 2013. La performance du Mali, moins de vingt-quatre mois après l’ascension à la présidence d’IBK, est l’une des plus importantes sur le continent à l’époque, et près d’une fois et demie plus que la moyenne au Sahel (+4,9 %), et même plus que le Tchad (+6,9 %) qui connaissait alors un rebond dans sa production de pétrole.

Croissance réelle du PIB au Mali. © Croissance réelle du PIB – Mali. Source : Banque mondiale et OCDE.

Croissance réelle du PIB au Mali. © Croissance réelle du PIB – Mali. Source : Banque mondiale et OCDE.

Le Fonds monétaire international saluait alors les « progrès accomplis par le Mali après une grave crise politique et sécuritaire ». Selon le rapport des Nations unies pour la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), cette croissance s’explique par le retour des partenaires techniques et financiers (PTF), les bons résultats de la campagne agricole de 2014, la forte progression de l’activité des industries manufacturières, agroalimentaires et des textiles et, enfin, par la reprise des investissements privés et publics.

Grâce à la croissance du PIB, à la fin de la présidence d’IBK, le taux de pauvreté de la population a connu une diminution de 5,5 points par rapport au début de son investiture.

Ratio de la population pauvre en fonction du seuil de pauvreté national, au Mali (en % de la population). © Source : Banque mondiale

Ratio de la population pauvre en fonction du seuil de pauvreté national, au Mali (en % de la population). © Source : Banque mondiale

Le taux d’endettement du pays en 2018 s’élevait quant à lui à hauteur de 35 % du PIB, selon la note d’information du Mali de l’Agence Umoa-Titres. Ce qui équivalait au plus faible niveau d’endettement dans l’espace Uemoa, dont la moyenne était de 52,1 %. Le taux d’extrême pauvreté, oscillant autour des 47 % en moyenne entre 2011 et 2015, est quant à lui descendu à 42,3 % en 2019. Toutefois, selon les estimations de la Banque mondiale, 45 % des Maliens à cette période vivaient avec moins de 2 dollars par jour. L’indice de développement humain (IDH) a peu évolué sous IBK, et est resté parmi les plus faibles du monde, classant le Mali 184e sur 187 pays.

Indice de développement humain (IDH) au Mali. © Source : Banque Mondiale.

Indice de développement humain (IDH) au Mali. © Source : Banque Mondiale.

Des infrastructures toujours mal en point

Alors que les gouvernements dirigés tour à tour par Moussa Marra (2014-2015), Modibo Keïta (2015- 2017) et Soumeylou Boubèye Maïga (2017-2019) avaient indiqué que l’amélioration de l’état des infrastructures de transports figurait parmi les priorités, le travail fourni paraît insuffisant. La réhabilitation ou la construction des routes bitumées a, par exemple, été de 75 km en 2013, 140 km en 2014, 0 km en 2015 et 338 km en 2020, contre 150 km en 2010 et 294 km en 2011, d’après les informations récoltées auprès du ministère de l’Équipement et du Désenclavement du Mali. Selon les données officielles recensées en 2018, sur les 21 681 km de routes du pays seulement 7 156 km étaient goudronnées.

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L’accès à l’eau s’est cependant amélioré sous IBK. En 2018, le ministère de l’Énergie et de l’Eau a indiqué des taux d’accès à l’eau potable de 65,3 % en milieu rural, 74,7 % en milieu urbain et 68 % à l’échelle nationale. En 2019, selon la Société malienne de gestion de l’eau potable (Somagep), le taux d’accès à l’eau potable était « proche de 100 % dans la capitale Bamako en 2016, contre environ 60 % en 2014 et 70 % en 2015 ». Pourtant, en 2019, au moins 32 % des espaces ruraux n’avaient toujours pas d’accès direct à l’eau potable.

Accès à l’électricité au Mali (en % de la population). © Source : Banque mondiale (base de données : Sustainable Energy for All).

Accès à l’électricité au Mali (en % de la population). © Source : Banque mondiale (base de données : Sustainable Energy for All).

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En l’espace de six ans (2013-2019), la part de la population ayant accès à l’électricité a augmenté de 18 points, contre une augmentation de 0,6 points lors des six années pré-IBK. Il faut cependant noter que cette progression s’est réalisée dans un contexte d’exaspération de l’endettement de la compagnie nationale d’électricité au Mali. En moyenne, entre 2010 et 2017, l’évolution des taux de l’accès à l’électricité du Mali était plus forte que celle des pays du Sahel, mais moins forte que celle de la Mauritanie, jusqu’en 2017.

Évolution de l'accès à l'électricité au Sahel (en % de la population). © Source : Banque Mondiale

Évolution de l'accès à l'électricité au Sahel (en % de la population). © Source : Banque Mondiale

Toutefois, l’accès à l’électricité en milieu rural n’a augmenté que de deux points entre 2012 et 2016.

Indicateurs du secteur de l'énergie au Mali. © Source : Ministère de l’énergie et de l’eau (Mali).

Indicateurs du secteur de l'énergie au Mali. © Source : Ministère de l’énergie et de l’eau (Mali).

Des conditions de vie délétères en milieu rural

Face au retard de développement palpable dans les zones rurales, le gouvernement avait mené des projets d’appui aux collectivités locales urbaines avec le soutien de la Banque mondiale. Cette dernière avait investi 56,7 millions d’euros pour doter plusieurs municipalités en infrastructures clé (marchés, routes, réseaux d’assainissement, réseaux d’éclairage publics…).

Le manque de formation au sein de la population active, et le taux de chômage élevé (environ 7 % sur une période de 10 ans) particulièrement chez les jeunes (12 % en moyenne) ont progressé durant cette période.

Taux de chômage au Mali. © Source : Banque mondiale

Taux de chômage au Mali. © Source : Banque mondiale

Le président avait d’ailleurs promis lors de sa campagne électorale la création de 200 000 emplois. Un engagement qui n’a pas été tenu. Le taux de scolarisation a parallèlement connu des évolutions en dents de scie.

Taux de scolarisation au Mali. © Source : Institut de statistique de l’Unesco.

Taux de scolarisation au Mali. © Source : Institut de statistique de l’Unesco.

Santé

En dix ans, l’espérance de vie a augmenté de 11,25 % en passant de 53,3 ans en 2008 à 59,3 ans en 2018.

Un niveau pourtant toujours très faible compte tenu de la moyenne mondiale qui est de 72,7 ans, mais supérieure à celle de la région Sahel qui était de 53 ans en 2019.

Espérance de vie à la naissance au Mali. © Source : United Nations World Population Prospects

Espérance de vie à la naissance au Mali. © Source : United Nations World Population Prospects

Le ratio du budget dédié à la santé a presque doublé entre 2012 et 2017, passant respectivement de 2,62 % du budget national à 5,79 %.

Dépenses publiques dans la santé au Mali. © Source : Country economy

Dépenses publiques dans la santé au Mali. © Source : Country economy

Cependant, une importante iniquité de répartition entre le centre économique et politique du Mali (situé autour de la capitale Bamako) et les zones périphériques est restée de mise. Cette inégalité a entrainé des problèmes d’accès au soin pour la faction de la population la plus démunie.

Agriculture

Le Mali dispose du potentiel pour être l’un des piliers agricoles de l’Afrique de l’Ouest. Le pays utilise en moyenne 15 % de son budget pour le développement de ce secteur. En 2014, selon la Banque mondiale, environ 175 000 agriculteurs ont pu améliorer leur productivité de 30 % et leur revenus de 34 %. Les productions végétales (mil, sorgho, maïs, riz) et des cultures de rente (arachide, coton) ont été satisfaisantes sous les mandats d’IBK, avec une augmentation de 22 % des rendements, selon un rapport du ministère du Développement rural.

La filière du coton qui génère 40 % des revenus de la population rurale a connu de belles évolutions entre 2014 et 2019. Dés 2015, sa production a augmenté de 25 % par rapport à l’année passée, notamment grâce aux subventions aux intrants, et à la baisse du prix des engrais encouragée par le gouvernement. En 2017 et 2018, le Mali a produit 645 000 tonnes, soit une hausse de 25,7 % en un an. Une production qui est restée au beau fixe avec un record de 700 000 tonnes (+6,6 % ) en 2019 et 2020.

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Climat des affaires

En 2013-2014, le Mali se situait à la 155e place sur 189 pays dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale mesurant la facilité de faire des affaires. Pour rappel, cet indice met en relation différents aspects économiques propres au climat des affaires. Parmi lesquelles le raccordement à l’électricité, le paiement des taxes et impôts, l’exécution des contrats… En 2018, le pays s’est hissé à la 143e du classement, avec une économie néanmoins très vulnérable aux risques externes (précipitations, prix de l’or et du coton, appuis budgétaire), car fortement dépendante du secteur primaire (36 % du PIB).

Entre 2013-2014 et 2018-2019, le Mali a gagné dix places dans le classement, indiquant un environnement économique plus favorable qu’auparavant sous IBK. Pourtant, comme il s’agit d’une donnée comparative, tout dépend également de l’évolution des autres pays en lice. Selon les dernières données en date, le pays enclavé est actuellement le 148e de la liste, avec un très faible taux d’exécution des contrats (159e pays sur 188) et de raccordement à l’électricité.

Rapport Doing Business © Source : Banque mondiale

Rapport Doing Business © Source : Banque mondiale

Corruption

La présidence d’IBK fut aussi marquée par des scandales de corruption et de malversations, nommément dans l’achat de matériel militaire qui a représenté la dépense la plus importante des mandats successifs, et dans l’acquisition du fameux avion présidentiel. Le défunt homme d’État avait dénié toute implication dans ces malversations.

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D’après le classement 2020 de Transparency international, en 2019-2020, le Mali était classé 129e sur un effectif de 180 pays, derrière ses voisins comme le Burkina Faso (86/180), le Niger (123/180), mais devant la Guinée (137/180) ou le Cameroun (149/180).

Un bilan mitigé…

Le bilan est positif dans le domaine de l’agriculture tout au long de son mandat, et plus généralement dans la relance de l’activité post-2012. Mais il reste très mitigé concernant les promesses non tenues, notamment au sujet du développement des infrastructures, du développement en zone rurale où se trouvent toujours 90 % des personnes les plus pauvres du pays, et de l’amélioration des conditions de vie – comme en témoigne un IDH qui stagne depuis des années.

L’année 2020 marque le coup d’État commandité par les forces armées maliennes, mais aussi le début de la pandémie internationale. Avec la conjugaison de ces deux crises, l’économie du Mali est rapidement passée d’une forte croissance de 5,1 % du PIB réel en 2019 à une récession estimée à -1,6% en 2020, selon les données de la Banque africaine de développement (BAD). Le plan de riposte pour contenir la crise du Covid-19 a engendré une hausse des dépenses budgétaires de 2020, ce qui a fait passer le déficit public à -5,4% du PIB.

Une reprise timide a été amorcée au début de 2021, notamment dans le secteur de l’agriculture. La dette publique est passée à 44,8 % du PIB en 2020, contre 35 % au début du mandat d’IBK. De fait, en 2022, avec les sanctions imposées par la Cedeao, le Mali se retrouve dans une situation économique encore plus délicate que celle dans laquelle le président IBK l’a laissé.