Cet article est issu du dossier

Le Mali face aux sanctions de la Cedeao

Voir tout le sommaire
Politique

Mali-Cedeao : pourquoi la Guinée prend fait et cause pour Bamako

Mamadi Doumbouya a décidé de ne pas appliquer les sanctions décidées par la Cedeao à l’encontre du Mali. Conakry maintient notamment ses frontières ouvertes à son voisin. Solidarité entre putschistes ou coup de poker ?

Réservé aux abonnés
Par - à Conakry
Mis à jour le 13 janvier 2022 à 09:18

Mamadi Doumbouya après une rencontre avec la délégation de la Cedeao à Conakry, vendredi 10 septembre 2021. © Sunday Alamba/AP/SIPA

« La Guinée et le Mali sont deux poumons d’un même corps » : si la formule, qui souligne la proximité géographique des deux voisins, date des règnes de Sékou Touré et Modibo Keita, elle n’a jamais été autant en vogue à Conakry. Même la télévision nationale, la RTG, s’est fendue d’un éditorial rappelant le passé commun des deux pays, appartenant autrefois à l’empire mandingue de Soundiata Keïta.

C’est le passé mais aussi le présent que Conakry a invoqué au lendemain du 4e Sommet extraordinaire de la Cedeao sur le Mali qui s’est tenu le 9 janvier à Accra pour justifier sa solidarité avec Bamako, lourdement sanctionnée. Les autorités guinéennes ont pris le contre-pied du reste de la sous-région, qui s’est accordée pour condamner la volonté malienne de prolonger  la transition de « six mois à cinq ans ». Des sanctions exemplaires – fermetures des frontières, gel des avoirs du Mali, suspension des échanges commerciaux – ont été prises.

À Lire Mali-Cedeao : qui paiera les salaires des militaires, la dette et le reste ?

Des décisions auxquelles la Guinée n’a pas été associée, rappelle un communiqué du Comité national de rassemblement pour le développement (CNRD), au pouvoir, publié le 10 janvier. Lui-même théâtre d’un putsch le 5 septembre dernier, le pays a été suspendu de l’organisation trois jours après le renversement d’Alpha Condé par Mamadi Doumbouya. « En conséquence, précise le texte signé du colonel Sadiba Koulibaly, le chef d’état-major général des armées, le CNRD réaffirme que les frontières aérienne, terrestre et maritime de la Guinée restent toujours ouvertes à tous les pays frères, conformément à sa vision panafricaniste. »

Solidarité entre putschistes

« Quand la case de ton voisin brûle, hâte-toi de l’aider à éteindre le feu de peur que celui-ci ne s’attaque à la tienne », dit l’adage. Faudrait-il ainsi voir dans la position de Conakry une solidarité entre des putschistes qui font face aux mêmes sanctions, au même isolement ? « Exactement ! La Guinée est dans une position inconfortable, analyse le politologue Kabinet Fofana. L’attitude du CNRD rejoint une espèce d’ambivalence dans son positionnement diplomatique : d’une part, il récuse l’envoi d’un émissaire de la Cedeao. De l’autre, le président de la transition reçoit les ambassadeurs des pays membres de la Cedeao (autour d’un dîner de fin d’année). Le CNRD semble anticiper des décisions qui seront prochainement prises contre lui ».

À Lire Assimi Goïta – Nana Akufo-Addo… Qui aura le dernier mot ?

La fermeté de la Cedeao à l’encontre du Mali sonne comme une mise en garde pour la Guinée. Et ne pas suivre les décisions de la sous-région pourrait lui coûter cher, pense Kabinet Fofana. « La Guinée est obligée de respecter les décisions de la Cedeao, conformément au principe de l’extraterritorialité. C’est-à-dire que même quand vous êtes suspendu des instances d’une organisation, il vous est exigible d’appliquer les décisions de celle-ci. Je pense même que la Guinée peut être sanctionnée par la Cedeao pour non-respect d’une résolution adoptée par elle. Ils font une erreur en considérant qu’ils ne sont pas obligés de respecter les décisions de la Cedeao. D’ailleurs, Mamadi Doumbouya n’a pas coupé tout lien avec celle-ci : il continue de discuter avec les ambassadeurs de l’organisation et avait même envoyé des émissaires au sommet de décembre ».

Conquérir les cœurs

Alors pourquoi une telle prise de risque? Il y a l’amitié affichée entre Assimi Goïta et Mamadi Doumbouya, la proximité géographique entre la Guinée et le Mali, l’opportunisme politique, la similarité des situations, un réalisme économique. En matière de transactions commerciales, Conakry est un des « ports naturels » de son voisin, sans accès à la mer. Même si ces derniers temps, l’état de la route nationale numéro un, en chantier, a ralenti le trafic des gros porteurs maliens.

À Lire Guinée : Mamadi Doumbouya, un colosse aux pieds d’argile ?

Mais Mamadi Doumbouya qui rêvait « de faire l’amour à la Guinée » en arrivant au pouvoir, espère peut-être aussi conquérir les cœurs avec sa position hétérodoxe. Au sein de l’opinion guinéenne, comme dans le reste de la sous-région, de plus en plus de voix critiquent la décision de la Cedeao, et saluent le bras-de-fer engagé par Assimi Goïta.