Soudan : les États-Unis durcissent le ton et n’excluent pas des sanctions

La communauté internationale, Washington en tête, envisage d’adopter une ligne plus dure à l’égard des militaires soudanais maintenant que le Premier ministre, Abdallah Hamdok, a démissionné. Certains plaident même pour un soutien ouvert aux manifestants.

Manifestants pro-démocratie dans la ville d’Omdurman, le 4 janvier 2022. © Photo AFP

Manifestants pro-démocratie dans la ville d’Omdurman, le 4 janvier 2022. © Photo AFP

Publié le 6 janvier 2022 Lecture : 5 minutes.

L’administration Biden va-t-elle affermir sa position à l’égard du Soudan ? Le sujet, qui fait l’objet d’une réflexion depuis le coup d’État du 25 octobre 2021, pourrait être tranché à la faveur des développements de ces derniers jours. Le 2 janvier en effet, prenant acte de son incapacité à faire évoluer les choses dans le bon sens, le Premier ministre, Abdallah Hamdok, a démissionné. Les jours suivants, bravant la répression qui a déjà fait près de 60 morts en moins de trois mois, des milliers de Soudanais sont redescendus dans les rues de Khartoum pour demander une nouvelle fois la démission du Conseil souverain, que dirige le général Abdel Fattah al-Burhan. 

Dès le 4 janvier, les États-Unis ont, dans une déclaration également signée par la Norvège, le Royaume-Uni et l’Union européenne, déclaré que le meurtre de dizaines de manifestants était « inacceptable ». Ils ont aussi réitéré leurs appels à l’ouverture d’enquêtes indépendantes et demandé la tenue rapide d’élections libres et équitables pour remettre la transition sur les rails. « En l’absence de progrès, préviennent-ils, nous accentuerons la pression sur les acteurs qui entravent le processus démocratique. »

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À la pointe de la contestation

À Washington, plusieurs voix s’élèvent pour plaider en faveur d’un soutien résolu aux comités de résistance. En première ligne lors des manifestations qui ont chassé Omar el-Béchir du pouvoir, en 2019, ils sont de nouveau à la pointe de la contestation. Et même si l’agenda du Congrès américain a été trop chargé à la fin de l’année 2021 pour que l’affaire soit tranchée, des sanctions ne sont pas à exclure.

La démission de Hamdok révèle au grand jour que les militaires veulent s’accrocher au pouvoir

« Le Premier ministre Hamdok a travaillé à la réalisation des objectifs de la révolution et à la construction d’un pays libre, en paix et prospère, explique le sénateur Chris Coons, parrain de la législation instituant des sanctions contre le Soudan. Sa démission vient parachever le coup d’État du 25 octobre et révèle au grand jour que les militaires veulent s’accrocher au pouvoir et saboter la transition démocratique. »

Le 29 novembre, un mois après que l’armée a placé Hamdok en résidence surveillée, Chris Coons a présenté un projet de loi similaire à celui qui a depuis été adopté par la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants. Les deux textes demandent notamment au président des États-Unis d’imposer des sanctions financières et des interdictions de visa à toute personne qui entraverait le processus de transition, menacerait la paix et la sécurité du Soudan ou violerait les droits de l’homme. Les militaires doivent céder immédiatement la direction du Conseil souverain à des civils et mettre fin à la « répression brutale des manifestants » sous peine d’être sanctionnés, résume Chris Coons.

« J’ai bataillé au Congrès pour faire lever les sanctions qui paralysaient le Soudan depuis des années et pour mobiliser plus de 1 milliard de dollars en faveur de la transition, explique-t-il à The Africa Report. Mes collègues et moi continuerons à être aux côtés du peuple soudanais pendant cette période difficile et à œuvrer pour que ceux qui menacent le progrès démocratique soient punis. »

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Répression

Ancien chef de cabinet de l’envoyé spécial des États-Unis pour le Soudan, Cameron Hudson travaille désormais pour Atlantic Council, un influent think tank américain. À l’en croire, plusieurs personnalités pourraient faire l’objet de sanctions ciblées. Parmi elles, Yasser Mohamed Osman, le directeur des renseignements militaires, Jamal Abdelmajid, celui des services de renseignements généraux, et Abderrahim Daglo, un haut gradé des Forces de soutien rapide (FSR).

La transition démocratique, c’est terminé, même si la révolution vit encore dans le cœur des manifestants

« Comme il n’y a plus d’accord politique ou de dirigeant civil qui s’en trouverait fragilisé, Washington et ses alliés vont sans doute adopter une approche plus dure à l’égard de l’armée, qu’ils tiennent pour responsable de la répression des manifestations », analyse Cameron Hudson. « La transition démocratique, c’est terminé, poursuit-il, même si la révolution vit encore dans le cœur de millions de manifestants pro-démocratie ». « Il est temps de soutenir la révolution », ajoute-t-il.

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Officiellement, l’administration Biden garde l’espoir de sauver un gouvernement de transition qu’elle a beaucoup soutenu depuis la chute d’Omar el-Béchir. En 2017 déjà, Donald Trump avait commencé à lever des sanctions vieilles de plusieurs décennies dans le but d’encourager les réformes politiques. À la fin de 2020, les États-Unis avaient retiré le Soudan de la liste des États soutenant le terrorisme. En échange Khartoum avait promis d’indemniser les victimes des attentats perpétrés contre les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie en 1998, et de normaliser ses relations avec Israël.

En décembre 2020, le Congrès avait aussi prévu une enveloppe de 700 millions de dollars pour soutenir l’économie du pays, mais l’administration Biden a gelé cette aide après le coup d’État du 25 octobre.

Position intenable

Sous pression de la communauté internationale, Burhan a partiellement fait marche arrière, en novembre dernier, et réinstallé Hamdok à la tête d’un gouvernement de technocrates. Les États-Unis et d’autres puissances occidentales s’en étaient félicités, mais la situation n’a pas tardé à se dégrader, les manifestants pro-démocratie ayant rejeté le nouvel accord de partage du pouvoir conclu le 21 novembre et le Premier ministre se retrouvant dans une position intenable.

Dans leur déclaration commune du 4 janvier, la troïka et l’Union européenne ont appelé Khartoum à éviter toute « action unilatérale visant à nommer un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement », arguant que cela « porterait atteinte à la crédibilité des institutions et risquerait de plonger le pays dans la guerre ». Ils préviennent aussi qu’ils ne soutiendront pas « un Premier ministre ou un gouvernement nommés sans la participation d’un large éventail de parties prenantes civiles ».

Les États-Unis devraient « aller au-delà des simples déclarations et peser de tout leur poids pour aider le mouvement démocratique par des moyens tangibles et significatifs qui feront pencher la balance en faveur des manifestants », préconise Cameron Hudson. Lui souhaite même rediriger une partie de l’aide financière désormais gelée vers les comités de résistance et les comités de quartier « pour les aider à mieux s’organiser, à communiquer et à élaborer leur propre programme politique ».

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