Politique

CAN : le Sénégalais Ismaïla Sarr au cœur d’un bras de fer entre Aliou Cissé et Claudio Ranieri

L’entraîneur du club anglais de Watford refuse toujours de libérer son attaquant sénégalais pour la Coupe d’Afrique des nations, qui s’ouvre ce 9 janvier au Cameroun. Une attitude dénoncée par le sélectionneur des Lions de la Teranga, mais aussi par plusieurs personnalités du football africain, dont Samuel Eto’o.

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Mis à jour le 3 janvier 2022 à 17:43

De g. à d. : Claudio Ranieri, Ismaïla Sarr et Aliou Cissé. © Montage Jeune Afrique ; Photos : Manjit Narotra / ProSportsImages / DPPI via AFP ; Alex Pantling / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP; Vincent Fournier/JA

La programmation de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) aux mois de janvier et février a presque toujours entraîné des tensions entre les clubs européens et les fédérations africaines. Sauf en 2019, puisque la compétition s’était alors déroulée en Égypte en juin et juillet. Mais les bonnes vieilles habitudes sont de retour. Alors que l’année 2021 vivait son crépuscule, certains entraîneurs européens, tels l’Allemand Jürgen Klopp (Liverpool) ou le Français Frédéric Antonetti (FC Metz), n’y sont pas allés de main morte dans leurs déclarations. Le premier, visiblement anxieux à l’idée de devoir se priver de l’Égyptien Mohamed Salah et du Sénégalais Sadio Mané, qualifiant même la CAN de « petit championnat »…

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Ranieri et le protocole

À Watford, un club anglais dont la pop star Sir Elton John est le président d’honneur après en avoir été le patron pendant 25 ans, pas de déclarations tapageuses ou polémiques. L’actuel 17e de Premier League lutte pour son maintien, et la CAN est le cadet de ses soucis. Les dirigeants des Hornets, en plein accord avec l’entraîneur italien Claudio Ranieri, ont donc décidé de ne pas libérer Ismaïla Sarr (23 ans). Ranieri, contrairement à son homologue allemand de Liverpool, ne s’est pas hasardé à dénigrer la compétition préférée des Africains. Mais il pense davantage aux intérêts du club qui l’emploie depuis le mois d’octobre dernier qu’à ceux du Sénégal.

Lors de ses rares interventions sur le dossier Ismaïla Sarr, le Transalpin s’est surtout contenté de rappeler que l’ailier, auteur de 5 buts en championnat cette saison, a été blessé sérieusement à un genou le 20 novembre dernier lors d’un match remporté face à Manchester United (4-1), et qu’il doit suivre un protocole de remise en forme.

Les Anglais assurent avoir écrit, le 1er décembre dernier, à la Fédération sénégalaise de football (FSF) pour l’informer de la nature de la blessure de Sarr et du programme qui l’attendait une fois guéri. Mais en dépit de l’obligation faite par la Fifa aux clubs européens de libérer les internationaux africains au plus tard le 3 janvier – la CAF avait accepté que certains joueurs ne rejoignent leur sélection qu’à cette date et non dès le 27 décembre, comme cela avait été préalablement fixé par l’instance mondiale – , Watford refuse catégoriquement de libérer son joueur, lequel souhaite pourtant disputer la CAN.

Senghor prêt à saisir la Fifa

Du côté de Dakar, où les Lions de la Teranga préparent la phase finale, la fermeté de Ranieri et de ses dirigeants irrite. Sarr est l’un des éléments clés du dispositif du sélectionneur Aliou Cissé. Le 24 décembre, celui-ci s’était montré plutôt optimiste quant à la présence de son joueur, mais en argumentant uniquement sur le volet médical : « Ce ne sera peut-être pas pour les trois matches du premier tour (face à la Guinée, au Malawi et au Zimbabwe, NDLR), mais pour les huitièmes ou les quarts. »

La Fédération sénégalaise exprime « sa profonde réprobation du comportement irrespectueux, pernicieux et discriminatoire des dirigeants de Watford »

Trop occupé par les préparatifs de la compétition, Cissé, qui partage avec Claudio Ranieri le goût pour la bienséance, a laissé sa fédération communiquer sur ce sujet brûlant. Et celle-ci n’a pas déçu son auditoire, en maintenant la convocation de l’attaquant, tout en menaçant le club britannique de saisir la Fifa au cas où la situation n’évoluerait pas rapidement.

Elle l’a rappelé sans la moindre ambiguïté dans un communiqué publié le 2 janvier. « La Fédération sénégalaise de football tient à exprimer par le présent communiqué sa profonde réprobation du comportement irrespectueux, pernicieux et discriminatoire des dirigeants de Watford qui cherchent par tous les moyens à empêcher un joueur de jouer avec sa sélection nationale. » L’instance a également dénoncé les arguments « fallacieux » et « spécieux » avancés par Watford.

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Cissé et Ranieri ont donc entamé un bras de fer à distance, par dirigeants interposés. « Que Ismaïla Sarr suive un protocole, c’est normal. Mais celui qui est imposé à notre joueur nous semble très long… S’il ne peut pas jouer avec sa sélection, il ne le peut pas avec son club. Il serait totalement incompréhensible qu’il reprenne la compétition avec Watford pendant la CAN. Pour nous, les choses sont claires : si Sarr n’a pas quitté Watford ce 3 janvier au soir, nous saisirons la Fifa dès le 4 janvier pour déposer une réclamation », explique Augustin Senghor, le président de la FSF.

Le courroux d’Eto’o et de Drogba

Un autre joueur des Hornets, le Nigérian Emmanuel Dennis, ne participera pas à la CAN, mais la Nigerian Football Federation, qui s’était empressée de dénoncer l’attitude des Anglais, s’est bien gardée de préciser qu’elle avait envoyé le mail de pré-convocation en dehors des délais règlementaires. La NFF, qui ne passe pas pour un modèle de rigueur dans la gestion de ses dossiers, a pris acte de l’indisponibilité de l’attaquant, même si Watford n’a jamais cherché à se montrer conciliant dans cette affaire.

Ces cas précis, ajoutés aux pressions exercées par certains clubs européens qui rêvaient d’une annulation de la CAN, ont irrité de nombreuses personnalités du football, et pas seulement africaines. Ainsi, l’ancien capitaine des Éléphants ivoiriens, Didier Drogba, a exprimé son courroux sur son compte Twitter. « J’ai été indigné par certains propos sur la CAN qui témoignent d’un profond manque de respect pour le football africain. Il y a encore trop de discrimination et d’inégalité à l’égard de notre football. »

Des déclarations faisant écho à celles de Samuel Eto’o, le nouveau président de la Fédération camerounaise de Football (Fecafoot). L’ancien buteur et capitaine des Lions Indomptables, interrogé par nos confrères de Canal + Afrique, avait estimé que les Africains « étaient traités comme des moins que rien et qu’ils devaient toujours subir ». Vivement que la CAN commence !