Tunisie : vers un nouveau mouvement social à cause de deux secteurs en crise ?

Les phosphates et le tourisme sont les deux mamelles de la Tunisie. Alors, quand ces deux branches professionnelles éternuent, c’est tout le pays qui s’enrhume.

Le café Sidi Salem, à Mahdia. © Georg KNOLL/LAIF-REA

Le café Sidi Salem, à Mahdia. © Georg KNOLL/LAIF-REA

Publié le 27 novembre 2021 Lecture : 4 minutes.

L’un est un secteur productif, l’autre relève de l’économie de service. L’un dépend du secteur public, l’autre de l’initiative privée. Mais tous deux sont des fondamentaux de l’économie tunisienne : le phosphate aussi bien que le tourisme ne sont pas de simples indicateurs de la santé économique du pays, ils en sont le pouls.

À telle enseigne que certains voient dans le soulèvement du bassin minier de Gafsa en 2008 les prémices de la révolution de 2011. Dix ans plus tard, l’embellie escomptée après la chute de l’ancien régime n’a pas eu lieu malgré toutes les énergies déployées.

Une amorce de reprise avait été esquissée en 2018 mais l’éclaircie a été brève

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Au contraire, l’instabilité de la Tunisie a été exacerbée par un malentendu de taille : chômeurs et population active comptaient sur l’État pour résoudre leurs problèmes ou améliorer leur situation alors que l’État providence était arrivé en bout de course.

Autres temps, autres mœurs, l’économie tunisienne devait oser et opérer une montée de gamme. C’est ce que prônaient économistes et cabinets de conseil, par exemple dans l’étude stratégique sur le tourisme présentée par Roland Berger Strategy Consultants en 2012, et dont les recommandations sont restées lettre morte.

Repenser le produit

À la décharge du secteur touristique, la révolution de 2011 n’a pas été un argument vendeur auprès des marchés émetteurs, sans oublier l’émergence du terrorisme qui a rendu la destination pour les tours-opérateurs rédhibitoire.

Le secteur, qui représente 7,5 % du PIB et près de 400 000 emplois, n’a pas retrouvé sa vitesse de croisière, quand il accueillait, en 2010, année de référence, 7 millions de visiteurs.

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Une amorce de reprise avait été esquissée en 2018 mais l’éclaircie a été brève : les élections de 2019 et les tensions politiques ont impacté la relance, avant que le secteur ne subisse de plein fouet la pandémie de Covid-19. Hôteliers et opérateurs touristiques ont pu compter, bon an mal an, sur la clientèle locale, mais ils n’ont pu, dans cette période troublée, trouver la sérénité nécessaire pour repenser le produit.

« Du coup, le peu que nous réalisons en 2021 est un mieux par rapport à 2020 », lance un hôtelier de Mahdia (Est), qui craint qu’une nouvelle vague de Covid ne plombe la fin d’année. Mais comme ses confrères, il réalise qu’il faut repenser très rapidement tout le secteur et ne plus hésiter à innover.

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« Ce sera difficile, les touristes sont exigeants, voyagent beaucoup et ne peuvent plus se contenter du classique séjour balnéaire », s’inquiète un Franco-Tunisien qui souhaitait lancer une chaîne de maisons d’hôtes labellisées. Pourtant, les voyagistes sont optimistes et les tour-opérateurs français prévoient de tenir leurs assises en Tunisie en décembre.

Le Covid, auquel on impute la panne économique de la Tunisie, n’entre pas en ligne de compte à Gafsa. Depuis le soulèvement de 2011, la production de phosphate décline, au point que le pays, qui était le 3e exportateur mondial, se trouve contraint d’importer le minerai.

Mafias locales

Ce n’est pas la faute à « pas de chance » mais à une main-d’œuvre qui a enchaîné les grèves et fait dans la surenchère, si bien que l’État n’a pu suivre cette escalade et a fini par baisser les bras. Avec 8 millions de tonnes produits en 2010, la Compagnie Phosphate Gafsa (CPG), qui détient le monopole sur l’exploitation du phosphate, pensait faire encore mieux sur les années suivantes.

Dix années et une révolution plus tard, la CPG déchante : elle a perdu ses clients internationaux, dont l’Inde et le Brésil, et prévoit de finir l’année 2021 avec une production de 3,7 millions de tonnes, un exploit au regard d’un rendement au plus bas.

Une situation qui a fortement pénalisé l’agriculture, et notamment le secteur céréalier, qui n’a pu compter sur les engrais dérivés du phosphate produits par le groupe chimique.

Le porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux signale “plus de 1 000 mouvements protestataires en novembre 2021”

Il n’empêche. Pour Lotfi Hammadi, directeur de production de la CPG, 3,7 millions de tonnes sont « une performance ». Difficile de lui donner tort quand, sur l’ensemble du bassin minier, plusieurs sites n’ont pas repris la production et que les revendications sociales sont toujours aussi prégnantes.

« La corruption et les différents lobbying ont eu raison de l’action de l’État, qui semble impuissant face aux blocages administratifs », s’épanche un cadre de l’équipementier Yazaki, implanté dans la région. Tous ont en mémoire la manière dont les mafias locales s’étaient appropriées en 2020 le transport du phosphate et avaient écarté l’acheminement ferroviaire au profit des poids lourds leur appartenant.

Parallèlement à cette situation délétère, des mouvements politiques ont poussé avec insistance les populations locales à réclamer une redistribution des revenus du phosphate, matière première et richesse naturelle produit sur leur territoire. Dans ces conditions, réaliser 3,7 millions de tonne est effectivement honorable pour une région où l’Etat a beaucoup promis sans vraiment tenir ses engagements.

« Espérons que nous aurons accès au développement avec la révolution à venir », lance avec provocation un jeune de Redeyef, tandis que Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), signale « plus de 1 000 mouvements protestataires en novembre 2021 ». Lesquels présagent d’un début d’année particulièrement agité socialement.

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