Sa veste claire, boutonnée jusqu’au col, est légèrement fripée par le voyage. Lunettes noires sur le nez, Joseph Beti Assomo se tient droit, les pieds bien à l’intérieur du cercle blanc tracé sur le sol terreux pour lui indiquer sa place. Devant lui, des gradés aux bérets rouges, verts et bleus, des porte-étendards et des joueurs de cuivres. Ce 22 septembre à Bamenda, devant les locaux de la cinquième région interarmées, le ministre délégué à la présidence chargé de la Défense effectue une revue de troupes. Les hommes de sa sécurité rapprochée gardent le doigt près de la gâchette de leur fusil automatique. Bamenda, cible régulière des attaques des séparatistes ambazoniens, est une zone de combat.
Dans la capitale du Nord-Ouest, Joseph Beti Assomo est venu remonter le moral des soldats, leur montrer que la lointaine Yaoundé, dont le président Paul Biya est si souvent absent, ne les oublie pas. Le ministre est accompagné par le gouverneur de la région, Joseph Lele Lafrique, un vieux camarade de promotion connu à l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam). Il a prévu de s’entretenir avec les principaux commandants militaires du secteur, d’écouter leurs rapports faisant état de la sophistication de l’armement de l’ennemi ambazonien, de se montrer attentifs aux doléances de ces hommes dont une quinzaine de compagnons ont récemment perdu la vie.
Dans son cercle blanc, sous le tintamarre des trompettes militaires, Joseph Beti Assomo sait que des mois cruciaux se dressent devant lui. Le 9 janvier, la Coupe d’Afrique des nations (CAN), prévue en 2021 mais reportée à 2022 en raison de la pandémie de Covid-19, débutera à Yaoundé. Aucun match ne sera joué à Bamenda, mais des rencontres se dérouleront dans la région voisine du Sud-Ouest, également meurtrie par des attaques des séparatistes ces derniers mois. Les rencontres du groupe C (Comores, Gabon, Ghana, Maroc) sont programmées à Limbé, à une dizaine de kilomètres de Buea, la capitale régionale. Pour les autorités camerounaises, il est impensable que l’ennemi profite de la CAN pour se rappeler au bon souvenir du monde entier.
De retour deux mois plus tard dans son quartier général de la capitale, ce 22 novembre, Joseph Beti Assomo fait part de son inquiétude. « Le nombre d’explosions ces dernières semaines dans les villes de Buea et de Bamenda et les pertes de vies humaines lors de certains attentats terroristes soulignent la nécessité d’une vigilance extrême dans la couverture sécurisée de l’événement », déclare-t-il lors d’une réunion d’évaluation de la sécurité nationale. « Il ne faut pas être alarmiste, mais il ne faut pas non plus se voiler la face, résume un proche du ministre. C’est son style : faire le boulot sans faire de vagues. »
Les trois pionniers d’Ebolowa
« Faire le boulot sans faire de vagues ». Joseph Beti Assomo pourrait en faire sa devise. Il est né à Ayos (Centre) un 17 août 1959. Pensionnaire du collège puis du lycée d’Akonolinga, chef-lieu du département du Nyong-et-Mfoumou, il est issu d’une famille modeste qui lui permet toutefois de se lancer dans des études. Après avoir obtenu une licence en droit public à l’université de Yaoundé, le jeune homme est un temps tenté par des études de lettres. Il aime lire, écrire et jouer avec les mots. Il passe le concours d’entrée de l’École internationale de journalisme de Yaoundé, obtient le sésame. Mais il est pragmatique.
Né à l’orée de l’indépendance, Joseph Beti Assomo sait que l’État a besoin de bras. Alors il s’inscrit également au concours d’entrée de l’Enam, la grande formatrice des administrateurs. Là aussi, il est reçu. L’enfant d’Ayos choisit l’Enam et l’État.
En 1983, diplôme en main, il obtient son premier poste : le voici chef de cabinet du gouverneur de la région du Sud. Alors que Paul Biya est entré un an plus tôt au palais d’Etoudi, Joseph Beti Assomo, le gamin du Centre, prend la direction d’Ebolowa, la capitale méridionale. Il n’a alors que 24 ans et fait partie d’une cohorte d’administrateurs sans expérience. Mais il est à bonne école.
Durant sept années, il officie ainsi aux côtés de trois piliers de ce que les Camerounais nomment « la préfectorale », cette administration de terrain qui forme l’ossature de l’État : Luc Loué de 1983 à 1985 (futur secrétaire d’État à la Sûreté nationale), Paul Omgba jusqu’en 1989 (futur membre du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, RDPC), puis Maidadi Sadou de 1989 à 1992 (futur ministre délégué à la présidence chargé des Relations avec les Assemblées). « Ce sont ces trois pionniers qui ont parachevé sa formation », explique un témoin de l’époque. En 1990, Beti Assomo quitte Ebolowa avec un bagage supplémentaire dans son escarcelle.
Monsieur le Gouverneur
Nommé sous-préfet dans le Ntem, dans la Mefou, puis dans le Mfoundi, il accède huit ans plus tard au grade supérieur : le voici préfet du Dja-et-Lobo. Le poste n’a rien d’anodin. Ce département du Sud est aussi celui qui a vu naître Paul Biya, qui entame cette année-là sa seizième année à la tête de l’État. On y marche sur des œufs, avec l’impression d’être épié en permanence. Le sérail du Sud est figé, mais « Beti Assomo n’a pas hésité à s’imposer et à faire bouger certaines choses », se souvient un observateur. « Cela a plu à Paul Biya, qui l’a remarqué, ajoute notre source. Cela a été un tremplin. »
En 2005, c’est le retour à la capitale. Joseph Beti Assomo prend cette fois la tête du Mfoundi. Il s’attaque à l’insécurité, chasse les vendeurs de films pornographiques des rues de la capitale et gère les émeutes contre la vie chère de 2008, qui ont débuté à Douala avant de s’étendre dans tous les grandes villes.
L’homme est discret. On loue son professionnalisme, sa capacité à ne faire de l’ombre à personne alors que les clans se forment en prévision – déjà ! – d’une succession du président de la République. En 2009, c’est lui qui décide de raser le bidonville du quartier Nlongkack, situé sur un terrain appartenant à un notable de la ville, afin de préparer l’arrivée du pape Benoît XVI.
Homme de terrain et d’action
Un an plus tard, le voilà nommé gouverneur de l’Extrême-Nord, chargé de mettre en place la première ligne face aux jihadistes de Boko Haram venus du Nigeria. Il officie à Maroua durant deux années, plongé dans les dossiers du terrorisme, du grand banditisme ou du trafic de bois. « Le poste de gouverneur, encore plus que celui de préfet, lui a donné un aperçu complet du pouvoir. Ce n’est pas qu’un poste administratif : le gouverneur est surtout le patron des militaires dans la région, affirme une ancienne collaboratrice de Joseph Beti Assomo. Cela correspondait à son envie d’être un homme de terrain et d’action. » En 2012, Beti Assomo est nommé patron de la région du Littoral et s’installe à la résidence du gouverneur à Douala, capitale économique du pays.
Il n’est pas antipathique, mais c’est quelqu’un d’assez froid
« Quand il est arrivé, le changement a été assez drastique, se souvient un cadre du gouvernorat. Il n’est pas antipathique, mais c’est quelqu’un d’assez froid, qui prend les décisions et sait les imposer. »
Ses collaborateurs se souviennent encore de l’une des premières rencontres convoquées par le nouveau gouverneur. Le rendez-vous avait été fixé à huit heures du matin, sur le perron du quartier général régional. « Le précédent gouverneur [Francis Fai Yengo] était de l’ancienne école, se souvient un fonctionnaire. Il fallait toujours qu’il arrive après tout le monde, donc les événements ne démarraient jamais à l’heure. Alors quand Beti Assomo nous a dit “huit heures”, on est tous arrivés un peu plus tard, au compte-goutte. » Mais le nouveau patron des lieux est un ponctuel, qui considère qu’arriver à l’heure à une réunion, c’est déjà être en retard. « Il nous a recadrés et on s’y est fait », sourit notre interlocuteur.
« Discipliné », « sobre », « discret », « très professionnel », Joseph Beti Assomo dirige sans jamais hausser le ton, à la manière d’un haut-gradé. Deux fois par semaine, il rencontre d’ailleurs les patrons régionaux de l’armée. Il participe peu aux mondanités, sauf par obligation officielle, et goûte particulièrement le calme de sa résidence. Croyant, il se rend à la messe chaque semaine, sauf empêchement, à la cathédrale de Douala. « Il peut être froid mais il réussit à charmer tout le monde », résume une ex-collaboratrice.
Quand il est arrivé à Douala, le changement a été assez drastique.
En 2015, l’heure d’une autre mission est pourtant venue. À Yaoundé, Paul Biya s’interroge : qui va pouvoir succéder à Edgar Alain Mebe Ngo’o ? Le tout-puissant ministre de la Défense est en délicatesse avec la hiérarchie militaire. Le faste de sa suite ne passe plus et le non-versement de certaines primes a monté la troupe contre lui. Il faut remanier le gouvernement. Alors Paul Biya réfléchit. Le président le sait : les clans s’organisent en prévision de son décès ou de son départ, et le ministère de la Défense est un morceau de choix. « Beti Assomo avait l’expérience de l’Extrême-Nord et du Littoral, son bagage d’administrateur et, surtout, il ne faisait pas partie des intrigants », se souvient un chroniqueur de la présidence. À Etoudi, le choix est fait, le gouverneur du Littoral est rappelé à la capitale.
L’anti-Mebe Ngo’o
Dans ses postes successifs, Joseph Beti Assomo n’a guère eu l’habitude d’imposer ses hommes. Il n’est pas de ces patrons qui débarquent avec leur équipe pour remplacer la précédente. Pourtant, de Douala à Yaoundé, le nouveau ministre emmène deux rouages essentiels de son système : le commissaire Mbida et Émile Joël Bamkoui.
Le premier, qu’il a débauché de son commissariat d’arrondissement à Douala, est son secrétaire particulier. Lui aussi très discret, il s’occupe notamment de l’agenda et des affaires personnelles de Beti Assomo.
Le second est, malgré un passage par la case prison pour le meurtre d’un amant de son épouse pris sur le fait, son incontestable bras-droit auprès des « corps habillés », gendarmes et militaires. Émile Joël Bamkoui, devenu colonel en 2018 par décret du chef de l’État, et Joseph Beti Assomo ne se quittent guère. Les deux hommes ne se ressemblent pas, l’un pouvant être aussi colérique que l’autre est froid, mais le tandem perdure. Dans les convois, le 4×4 du gendarme suit ainsi invariablement la Peugeot 607 bleue du ministre.
À leurs côtés, un autre homme chuchote à l’oreille de Beti Assomo : Alain Didier Olinga. Conseiller technique de longue date au ministère, cet ancien directeur-adjoint de l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric) est le spécialiste juridique de la Défense. Il est d’ailleurs le récent auteur d’une thèse intitulée « La crise anglophone sous le prisme du droit international ».
« Il connaît sa place »
À Yaoundé aussi, Joseph Beti Assomo a imposé ses horaires matinaux et sa ponctualité. Il s’y montre tout aussi discret. Recevant peu, « il a adopté les attitudes de la Grande muette », confie un habitué du sérail. « Il sait dans quelles conditions il a été nommé donc il fait tout l’inverse de Mebe Ngo’o », poursuit notre source.
Contrairement à son remuant prédécesseur, il entretient de bons rapports avec le chef d’état-major des armées, le patriarche René Claude Meka, et se garde bien de se comporter avec lui comme son supérieur, se déplaçant régulièrement dans son bureau plutôt que de le convoquer. La relation est tout aussi apaisée avec un autre poids lourd, le délégué général à la Sûreté nationale, Martin Mbarga Nguele. « Il connaît sa place », résume un collaborateur.
« Il a la ligne directe du chef de l’État, avec qui il s’entretient régulièrement sur la situation sécuritaire, explique un connaisseur de la présidence. C’est quelqu’un qui rassure Paul Biya, et ceux qui se voient comme des dauphins ne le considèrent pas tel un rival. » « Joseph Beti Assomo n’est pas un va-t-en-guerre. Il ne va pas se battre pour prendre des prérogatives à un autre ministre et grimper dans une quelconque hiérarchie occulte », ajoute encore quelqu’un qui le connaît.
Dans la guerre de succession qui sommeille toujours à Yaoundé, quelle peut être la place du patron de la Défense ? Comme toute femme de ministre, son épouse, Félicité, fait partie de l’influent Cercle des amis du Cameroun, où la Première dame, Chantal Biya, tire les ficelles. Mais elle ne semble y jouer qu’un rôle mineur. Ses enfants, comme ses frères et sœurs, ne font pas de vagues. Proche de son collègue au gouvernement, le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji, Beti Assomo a plusieurs fois représenté Paul Biya à l’étranger, notamment lors des obsèques d’Idriss Déby Itno, en avril dernier, à N’Djamena. Rien ne semble pour autant indiquer que l’intéressé puisse prendre part à la course à Etoudi. Une ancienne collaboratrice conclut : « Ce n’est pas quelqu’un qui fonctionne avec un agenda secret en tête. »