Côte d’Ivoire : quand les détentions préventives s’éternisent, où est la justice ?

« Accusé, levez-vous ! » 3/4. En Côte d’Ivoire, un tiers des détenus sont en attente de jugement, certains depuis plusieurs années. Un nouveau code de procédure pénal a été adopté pour y remédier, mais sa mise en application est timide.

Une vue de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), en septembre 2018. © SIA KAMBOU/AFP

Une vue de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), en septembre 2018. © SIA KAMBOU/AFP

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Publié le 25 novembre 2021 Lecture : 3 minutes.

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[Série] Côte d’Ivoire : « Accusé, levez-vous ! »

Plus de dix ans après la fin de la crise postélectorale, le système judiciaire reste à reconstruire en Côte d’Ivoire. Comment fonctionne la justice, souvent critiquée pour sa partialité et sa lenteur ? Zoom sur ses principaux acteurs et ses enjeux.

Sommaire

Depuis 2002, Hermane Yohou Zahui arpente les lieux de détention de Côte d’Ivoire pour le compte de l’Association de soutien aux prisonniers, la SPOCI, qu’il préside. Il répond régulièrement aux appels à l’aide des familles de détenus, parfois incarcérés préventivement depuis plusieurs années dans l’attente d’une décision de justice ou d’un procès qui ne vient pas. Sans avocat, sans connaissance du droit et sans moyen financier, leurs parents désemparés se tournent vers lui.

« Nous avons suivi une famille dont le fils est en prison depuis 2011 pour un crime. Il avait 17 ans à l’époque des faits et il n’a toujours pas été jugé, raconte Hermane Yohou Zahui. Jusqu’à présent, nos demandes de remise en liberté provisoire n’ont pas abouti . » Des cas comme celui-ci, il en connaît beaucoup d’autres, à Abidjan ou à l’intérieur du pays. Des détenus abonnés à leur sort, « parfois depuis dix ans ». Cet usage excessif  de la détention préventive, pointé du doigt par plusieurs ONG, finit par constituer une peine anticipée pour des personnes non condamnées.

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Insalubrité

En Côte d’Ivoire, un tiers des prisonniers le sont au titre de la détention préventive. En moyenne, ils sont incarcérés depuis plus de deux ans, selon une enquête conjointe menée en 2020 par l’association ivoirienne Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-CI), la Fédération internationale des ACAT (FIACAT) et le Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et le politique (CERDAP).

Leurs conditions d’enfermement sont connues : une promiscuité extrême dans des cellules qu’ils se partagent par dizaines, des carences alimentaires liées à un manque de nourriture, des conditions sanitaires déplorables à l’origine de maladies et, parfois, des mauvais traitements. Le taux d’occupation des 34 lieux de détention du pays dépasse les 272 %, avec 22 000 prisonniers pour 8 000 places. En 2020, 112 personnes sont mortes derrière les murs des prisons ivoiriennes, 37 rien qu’à Sassandra, ville côtière du Sud-Ouest.

Tribunaux engorgés

En 2019, le gouvernement s’est attaqué au problème avec l’adoption d’un nouveau code de procédure pénale instaurant le contrôle judiciaire comme alternative à la détention préventive. « Le processus a commencé, mais timidement. Une centaine de personnes en ont bénéficié en 2020 au niveau du tribunal de Yopougon [commune d’Abidjan], ce qui est peu, déplore Paul Angaman, président de l’Observatoire des lieux de détentions en Côte d’Ivoire (ObsLid). Et la mesure n’est pas encore étendue à l’ensemble du territoire. Dans les régions frontalières, les autorités estiment que le risque de fuite est trop important. »

Ce nouveau code aurait dû entrer en application immédiatement, mais cela n’a pas été le cas

Un « plaider-coupable » a également été instauré en cas de délits mineurs. Il permet des arrangements financiers entre les parties, par exemple en cas de vols. Autre mesure prévue par les textes mais pas encore appliquée : les travaux d’intérêt général. « Mais sa mise en exécution va demander beaucoup de moyens humains et financiers », prévient Paul Angaman. « Ces décisions devraient aider à réduire le nombre de détenus, mais si nous n’avons aucun moyen, cela prendra du temps », soupire un magistrat.

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Le nouveau code de procédure pénale fixe désormais des délais pour la détention préventive : 18 mois en matière correctionnelle, 24 en matière criminelle. Avec l’obligation, pour les magistrats, de motiver leur décision au moment de priver un individu de sa liberté. « Ce nouveau code aurait dû entrer en application immédiatement, mais cela n’a pas été le cas, déplore Paul Angaman. Beaucoup de prisonniers sont déjà hors délai, ils auraient dû être libérés. »

La Côte d’Ivoire a mis en place des tribunaux criminels censés permettre une accélération de la tenue des procès, avec une cession tous les trois mois. « Mais les Cours sont submergés de dossiers et le rythme des audiences n’est pas tenu », constate Paul Angaman.

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Un engorgement que soulignait déjà l’an passé l’enquête menée par les associations : « La mise en œuvre des innovations du nouveau Code de procédure pénale ne saurait se passer d’une réflexion profonde sur la charge de travail pesant sur les juges d’instruction, ainsi que sur les moyens qui leur sont attribués afin de mener à bien leurs missions », prévenaient-elles. Pas sûr qu’elles aient été entendues.

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