Politique

Inondations en Algérie : « Il faut s’attendre à d’autres effondrements »

Les fortes intempéries en Algérie menacent la structure de nombreux bâtiments, comme la Grande mosquée d’Alger. En cause : l’anarchie du secteur immobilier et des lacunes en matière de prévention et de gestion des risques. Le point avec Abdelkrim Chelghoum, président du Club algérien des risques majeurs.

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Par - à Alger
Mis à jour le 22 novembre 2021 à 17:05

La Grande mosquée d’Alger, en octobre 2020 © RYAD KRAMDI/AFP

Il a suffi d’une succession de pluies torrentielles de saison. Depuis le début du mois de novembre, des cités entières ont été cernées par les eaux, des axes routiers ont été coupés et des véhicules, submergés. Certaines régions ont même vu tomber 80 mm de pluie sur le dernier mois. Aussitôt, les photos d’immeubles en péril suite aux précipitations ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Le 9 novembre, l’effondrement d’une maison à Alger a ainsi causé trois morts.

C’est que l’anarchie et les passe-droits dans le domaine immobilier ont crée un tissu urbain très fragile et excessivement sensible aux épisodes pluvieux. Les bâtisses érigées près des cours d’eau, des berges des oueds et des terrains marécageux – comme les facultés de sciences médicales et de droit de la capitale ainsi que la Grande mosquée d’Alger, dont le coût de réalisation avoisine les 900 millions d’euros – sont particulièrement en péril. Pour Abdelkrim Chelghoum, président du Club algérien des risques majeur, il faut donc s’attendre à d’autres effondrements.

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Jeune Afrique : Beaucoup de chefs-lieux de wilayas (préfectures) connaissent d’importantes inondations. Doit-on s’attendre à voir le bilan humain et matériel s’aggraver ?

Abdelkrim Chelghoum : Il suffit de revenir au constat in situ, qui est sans appel. Ces dix dernières années, environ 25 wilayas sur 58 (préfectures) ont connu des inondations avec des pertes humaines et matérielles considérables. Aujourd’hui, les chefs-lieux d’Alger, de Boumerdes, de Blida, de Tipaza, de Tizi-Ouzou sont fortement endommagés et paralysés par des pluies non exceptionnelles, de saison. C’est gravissime et inacceptable.

Les règles basiques en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire sont souvent bafouées

Il faut s’attendre effectivement à plus d’effondrement de bâtisses, parce que les règles basiques en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire sont souvent bafouées. Les responsables chargés du respect de la gestion de la cité ont lancé des projets importants d’ouvrages et d’infrastructures sur des sols non constructibles ou inondables – plus précisément sur les berges des oueds et des cours d’eau ainsi que sur des terrains marécageux.

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Les facultés de droit et de sciences médicales ainsi que la Grande mosquée d’Alger menacent de s’effondrer. Combien d’autres bâtisses emblématiques sont en péril et quelles mesures d’urgence faut-il prendre pour les sauver ?

En effet, à l’instar de ces trois ouvrages, beaucoup d’autres sites ont subi des dommages principalement parce que leurs sols d’assise sont non constructibles, inondables ou liquéfiables, avec un risque de tassements et de glissements de grande ampleur. Il existe des solutions techniques pour réduire le risque lié à l’eau comme un réaménagement urbain avec des bassins de rétention et un redimensionnement des canalisations principales.

Malheureusement, ces sols demeurent très vulnérables et très dangereux dans le cas d’un séisme qui engendrera inéluctablement l’effondrement en quelques secondes et sans préavis de la totalité de ces ouvrages.

L’Algérie dispose-t-elle d’une cartographie des zones non constructibles ?

La cartographie de ces zones date de la période coloniale. Aujourd’hui, il serait difficile d’élaborer un tel document sans l’inventaire et l’identification de tous les projets érigés ces dernières décennies sur des servitudes à risques, prenant en compte les failles sismiques, les sols lâches, les oueds, le périmètre des installations industrielles, pétrochimiques et électriques, des gazoducs etc.

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La loi 2004 relative à la prévention des risques majeurs et à la gestion des catastrophes est restée figée. Pour quelle raison ?

L’Algérie présente une vulnérabilité élevée découlant de la nature et de ses caractéristiques d’une part, et de la main de l’homme d’autre part. D’où l’importance de la mise en œuvre d’une politique nationale de prévention fiable et rigoureuse. Rappelons que suite aux catastrophes de grande ampleur qui ont dévasté le pays entre 2001 et 2004 – pour ne citer que les inondations de Bab El Oued du 10 novembre 2001, le séisme de Boumerdes du 21 mai 2003, l’explosion gazière de Skikda et l’invasion acridienne de 2004 –, l’État a demandé aux experts indépendants de réfléchir sur un corpus de lois relatif à la prévention des risques majeurs encourus sur le territoire. C’est dans ce contexte que la loi 04-20 a été élaborée et promulguée le 25 décembre 2004.

L’absence de textes d’application de la loi sur la gestion des catastrophes dénote clairement le manque de volonté politique

Malheureusement, elle est restée lettre morte puisque les trente textes d’application que nous avons proposés sont restés dans le tiroir du gouvernement. D’où l’absence à ce jour d’une quelconque stratégie de prévention. L’absence de textes d’application de la loi de 2004 dénote clairement le manque de volonté politique pour mettre en œuvre des dispositions préventives contraignantes, comme les plans nationaux de veille et d’alerte. Cela a engendré une gestion à vue de ces catastrophes par les pouvoirs publics puis des interventions de bricolage qui n’ont fait qu’amplifier les effets calamiteux engendrés par ces événements.

À combien évaluez-vous le préjudice financier lié aux constructions non fiables ?

Cette question est à poser aux ministères concernés à savoir l’Habitat, les Travaux publics, les Ressources en eau, l’Intérieur et les Finances. À mon avis, le préjudice est énorme.

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Que proposez-vous en qualité d’expert ?

Simplement l’application de la loi 04/20 dans sa globalité sans aucune dérogation. Et une politique de prévention fiable, un aménagement du territoire rigoureux et le respect du droit à l’information du citoyen.