Moins de deux ans après la visite de son prédécesseur, Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine séjournera à Dakar les 19 et 20 novembre. Il doit y rencontrer Macky Sall et sa ministre des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall, « pour réaffirmer le partenariat étroit entre [leurs] deux pays », précise un communiqué du département d’État américain.
Ce choix « témoigne de l’excellence et du dynamisme qui ont toujours caractérisé les liens de fraternité, d’amitié et de coopération qui unissent le Sénégal et les États-Unis d’Amérique », se réjouissent les autorités sénégalaises. Il y a toutefois fort à parier que les questions bilatérales seront vite éclipsées par les préoccupations régionales et multilatérales. Ces dernières « seront même prioritaires », estime l’essayiste Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique, qui souligne que le chef de l’État sénégalais assurera, à partir de février 2022, la présidence tournante de l’Union africaine à la suite du Congolais Félix Tshisekedi. Autrement dit, l’actualité sénégalaise devrait être assez peu discutée.
Vieille tradition diplomatique
À Nairobi, Antony Blinken a pris soin d’évoquer les différents foyers de tension qui secouent le continent, à commencer par la guerre au Tigré, dans le nord de l’Éthiopie. Il a aussi été question des coups d’État perpétrés au Soudan, en Guinée et au Mali. Nul doute que les transitions en cours à Conakry et Bamako seront également abordées avec Macky Sall. Les deux hommes évoqueront aussi les difficultés de la lutte contre le terrorisme au Sahel, dans laquelle les États-Unis ont promis de s’engager davantage.
Il y a une attirance de Washington pour le Sénégal
Les sujets ne manqueront pas, mais cette visite du secrétaire d’État au Sénégal – seule étape francophone de cette tournée entamée le 15 novembre – « s’inscrit aussi dans une vieille tradition diplomatique américaine », remarque Antoine Glaser. En quelques années, Dakar est en effet devenu un passage obligé pour les hauts représentants américains en Afrique.
Depuis Bill Clinton en 1998, le Sénégal est l’un des rares pays francophones à avoir accueilli à tour de rôle presque tous les présidents américains ou leurs secrétaires d’État. « Il y a une sorte d’attirance de Washington pour le Sénégal, confirme Nicolas Gachon, spécialiste des États-Unis à l’université Paul-Valéry de Montpellier 3. C’est en partie lié à la force du symbole que représente ce pays. Il y a par exemple une très forte charge mémorielle attachée à l’île de Gorée, en raison de la traite esclavagiste, et c’est très important pour la communauté noire américaine. »
Bon élève
En 2013, Barack Obama, premier président noir des États-Unis, s’y était d’ailleurs rendu en compagnie de son épouse Michelle et de leurs deux filles. « C’est un moment très fort. Évidemment, pour un Africain-américain, [pour] un président africain-américain, avoir la possibilité de visiter ce site, je pense, me donne plus de motivation pour défendre les droits à travers le monde », avait-il déclaré.
Souvent cité en exemple dans une Afrique de l’Ouest où la démocratie est facilement malmenée, le Sénégal fait aussi figue de bon élève en terme de dialogue entre musulmans et chrétiens. « C’est un îlot de stabilité dans une région très troublée, résume Nicolas Gachon. Les relations interreligieuses y fonctionnent bien, surtout en ces temps où l’Islam est si souvent instrumentalisé et associé au terrorisme. » Le pays a en outre – et pour l’instant – été épargné par les attaques jihadistes.
Pour la Maison blanche, le Sénégal coche toutes les cases
« Pour Washington, il est logique de considérer que ce pays francophone peut-être un interlocuteur fiable, confirme Antoine Glaser. Le Sénégal coche vraiment toutes les cases pour la Maison blanche. Plus encore que la Côte d’Ivoire, qui peut être considérée par les États-Unis comme trop alignée sur Paris, et où le troisième mandat d’Alassane Ouattara a été très contesté. »
Pèse aussi, dans la balance, la question sécuritaire. « C’est la raison la plus importante, affirme Dame Babou, journaliste sénégalais installé depuis trente ans aux États-Unis et expert en relations publiques. Tout le reste vient après. Sa position géographique est stratégique pour les Américains : Dakar s’ouvre sur l’océan Atlantique et se trouve à quelques jours de bateau de Boston [dix, selon Searates, un outil de tracking de conteneurs]. Les Américains ont toujours voulu avoir un pied-à-terre pour leurs forces de défense. »
Une goutte d’eau dans l’océan
En 2016, les deux pays ont signé un accord de défense, le premier du genre en Afrique. Il permet la présence permanente, et pour une durée indéterminée, de militaires américains au Sénégal. Il donne aussi la possibilité aux forces américaines d’accéder à des zones aéroportuaires ou militaires pour répondre à des besoins de sécurité ou de santé. Depuis, le Sénégal participe régulièrement à des programmes d’entraînement conjoints, comme l’exercice militaire Flintlock.
Qu’en est-il des retombées économiques ? « Pour le Sénégal, elles sont honteusement faibles », répond Nicolas Gachon. En 2019, les investissements directs étrangers s’élevaient à 15 millions de dollars, selon l’Agence fédérale américaine pour le développement et la promotion du commerce (USTR). Un chiffre en baisse de près de 30 % par rapport à 2018 et une goutte d’eau dans l’océan si on le compare au volume des échanges commerciaux entre le Sénégal et la Chine, évalués à 2,5 milliards de dollars.
Soft power
« Les Américains préfèrent faire des dons ou octroyer des subventions qui ne seront pas remboursées », explique Dame Babou. Le Sénégal bénéficie ainsi de la deuxième phase du Millenium Challenge Account, évaluée à 600 millions de dollars. Ce programme doit permettre d’améliorer l’accès à l’électricité dans les milieux ruraux et péri-urbains. Le pays est aussi éligible à l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui permet aux pays africains d’exporter des produits manufacturés sur le territoire américain sans payer de droits de douane.
« Les Américains ont choisi l’angle du soft power plutôt que celui de créer de véritables activités économiques, analyse Nicolas Gachon. Mais cela pourrait changer, compte tenu des relations entre les États-Unis et la Chine. » Le 5 novembre, une délégation américaine s’est ainsi rendue à Dakar et dans la sous-région pour évaluer les besoins en infrastructures du Sénégal dans le cadre de l’initiative Build Back Better World (B3W). Lancée en juin par Joe Biden et les pays du G7, le B3W est une réponse directe à la Belt and Road Initiative, la nouvelle route de la soie voulue par Pékin. Reste à s’assurer que, ainsi pris en tenaille, le Sénégal – et l’Afrique d’une manière générale – pourra y trouver son compte.