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FBL-AFR-2017-FEATURE-BLACK AND WHITE A picture shows a girl holding an umbrella as a man somersaults at a beach in Libreville on the sidelines of the 2017 Africa Cup of Nations football tournament on January 15, 2017.
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Gabon : après le pétrole, des idées ?

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Gabon : Mamba ou Scorpion… Même pas peur !

Visant à traquer la corruption et l’enrichissement illicite, les opérations Mamba et Scorpion devaient assainir la vie politique et la haute administration. Autopsie d’un échec.

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Mis à jour le 27 novembre 2021 à 16:32
Georges Dougueli

Par Georges Dougueli

Journaliste spécialisé sur l'Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.

© Dom pour JA

Mamba, Scorpion… Il en va des campagnes anticorruption comme des opérations militaires, dont la perception par l’opinion peut être aussi déterminante pour leur succès que leur bonne exécution, ainsi qu’on l’enseigne dans les académies. Et ce n’est pas un hasard si les unes comme les autres tirent souvent leurs noms du lexique animalier. Pour en finir avec l’hydre de la corruption, les autorités gabonaises ont ainsi choisi pour totem des prédateurs particulièrement redoutés en Afrique équatoriale : Mamba et Scorpion.

Ces opérations avaient pour objectif d’extirper du pays les poisons qui le rongent – détournements de deniers publics, malversations liées à la passation de marchés et autres rétro-commissions perçues au détriment des caisses de l’État – mais aussi de rassurer le contribuable et les bailleurs de fonds internationaux.

Effet de sidération

Après les opérations Mamba 1 et 2 en 2017, puis Scorpion en 2019, le bilan est contrasté. Plusieurs hauts responsables déchus ont été arrêtés et incarcérés. Premier à tomber, Magloire Ngambia. Figure emblématique des « émergents » lors du premier septennat d’Ali Bongo Ondimba, il cumulait six portefeuilles, dont ceux de l’Économie et des Finances. Son arrestation eût un effet de sidération au sein de classe politique. Mais, on s’en rend compte avec le recul, cette déchéance brutale ne dissuada pas d’autres après lui de disposer de l’argent public comme de leur cassette personnelle. De fait, le 24 septembre dernier, Ngambia était remis en liberté à la suite d’un accord passé avec le parquet au terme duquel l’accusé devra, entre autres, s’acquitter d’une amende de 100 millions de F CFA (152 000 euros). Tout ça pour ça !

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La suite est tout aussi troublante. À l’instar de celui de Ngambia, d’autres grands procès se sont également terminés en eau de boudin. Les ex-ministres du Pétrole Étienne Ngoubou et Noël Mboumba, l’ex-patron du projet Ucet Blaise Wada, l’ex-patron marocain de Satram-EGCA Mohamed Ben Ali, l’ex-ministre de l’Économie Roger Owono Mba, l’ex-patron de la Société nationale immobilière (SNI) Juste Valère Okologo, l’ex-DG de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) Alain Ditona Moussavou… Tous ont été acquittés ou remis en liberté provisoire voire absous dans le cadre opaque d’un arrangement. Des questions restent cependant sans réponse. Où est donc passé l’argent ? Pourquoi la justice ne communique-t-elle pas sur les sommes récupérées ? Pourquoi ne pas rendre de comptes ?

Occasions manquées

Paradoxalement, en dépit des opérations Mamba et Scorpion, le cas du Gabon se serait aggravé. Au lancement de la première opération Mamba, en 2017, le Gabon pointait au 117e rang sur les 180 pays passés au crible par Transparency International dans son « Indice de perception de la corruption », avec un score de 32/100, très au-dessous de la moyenne mondiale (43). Dans le classement publié en janvier 2021, le pays a régressé au 129e rang, avec un score de 30/100.

Il serait bon de tirer les leçons de ces deux occasions manquées. En voulant se montrer exemplaire, la justice s’en est-elle pris à des innocents ? Le problème est-il lié à la compétence de l’accusation, notamment des enquêteurs, incapables de présenter au tribunal les preuves de leurs allégations ? Le temps presse, car aujourd’hui, le seuil de tolérance des Gabonais face aux « mauvaises pratiques » se réduit d’autant plus que leur pouvoir d’achat baisse et que les inégalités se creusent. Les autorités gagneraient à en tenir compte.