C’est sur la très en vogue application de réseau social ClubHouse que le ministre délégué a décidé d’exprimer, vendredi 12 novembre, la volonté du gouvernement algérien d’inaugurer l’ère des banques 100 % digitales.
Les indications de Yacine Oualid portent à croire que le gouvernement travaille sur une nouvelle loi monétaire visant à faciliter l’entrée de nouveaux prestataires de services de paiement (PSP) dans le marché bancaire.
« Pour le moment c’est un projet et c’est inscrit dans le plan d’action du gouvernement, il n y a pas encore de visibilité par rapport à son adoption. » confie le ministre à Jeune Afrique.
Améliorer l’inclusion financière
Selon les déclarations du ministre, le développement du nouveau cadre réglementaire a pour objectifs d’accroître l’attractivité et l’efficacité du secteur bancaire algérien et d’améliorer l’inclusion financière sur l’ensemble du territoire, notamment grâce à la décentralisation et à la diversification des services à faible coût, à l’instar du paiement mobile.
L’appropriation du numérique par la population algérienne est déjà forte
D’après le rapport 2020 de l’Autorité de régulation de la Poste et des communications électroniques (ARPCE), 45 millions d’Algériens bénéficient d’un abonnement mobile.
Le taux de pénétration au réseau mobile y est ainsi d’environ 103 %. Les estimations du site web spécialisé Data Portal indiquent que le nombre d’utilisateurs d’Internet a atteint les 26,35 millions d’utilisateurs au 31 janvier 2021, ce qui représente 59,6 % de la population totale.
Tendance confirmée à la tout-digitalisation
D’après une récente étude du ConsumerLab d’Ericsson, 4 consommateurs sur 10 utilisent désormais leurs applications plus de 30 fois par jour. Tous ces indices démontrent une forte appropriation du numérique par les populations, ce qui représente un important potentiel pour ce secteur.
Pourtant, à ce jour, même si la connexion au réseau internet en Algérie est supérieure à la moyenne de la région MENA, l’utilisation des services financiers digitaux reste très faible.
En 2020, les opérations de e-paiement ont connu une croissance de 406 %
En tout, uniquement 16 % des adultes algériens et 11 % des femmes utilisent les paiements numériques, contre 23 % des adultes et 18 % des femmes dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, contre 36 % des adultes et 32 % des femmes dans les marchés émergents et les économies en développement (EMDE), selon les statistiques 2021 de la Banque mondiale.

Chiffres clés du secteur bancaire en Algérie © Chiffres clés du secteur bancaire en Algérie
« Durant la période de janvier à novembre 2020, les opérations du e-paiement via la plateforme monétique d’Algérie Poste (Banque du service postal national NDLR) ont atteint un total de 3 396 787 opérations, soit un taux de croissance de 406 % comparativement à 2019 », un état de fait précisé dans un communiqué du ministère de la Poste et des Télécommunications datant de 2020, qui confirme cette tendance du tout-digital dans un pays où le taux de bancarisation est inférieur à 50 %.
Un moyen de lutter contre la pauvreté
Conformément aux données de la Banque Mondiale, l’accès à des services financiers abordables est essentiel pour « la réduction de la pauvreté, la croissance économique et la résilience face aux crises et ouvre la voie à l’inclusion financière », surtout pour les femmes qui demeurent moins intégrées que les hommes au tissu socioéconomique.
57 % des adultes n’ont toujours pas accès aux comptes de transaction les plus élémentaires pour envoyer et recevoir des paiements, 71 % sont des femmes.
Un meilleur accès aux paiements numériques serait la porte d’entrée pour les services digitaux englobant l’épargne, l’assurance et le crédit pour les Algériens moins familiers avec le secteur financier.
Capter une partie de l’épargne
La digitalisation des services bancaires a également pour vocation de capter une partie de l’épargne aujourd’hui en dehors des circuits bancaires et financiers conventionnels.
L’épargne est un stimulateur pour l’économie et le développement national
En effet, lors de la journée d’information organisée par l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers (Abef) en octobre, le Premier ministre et ministre des Finances, Aïmene Benabderrahmane, a explicitement appelé les institutions financières et bancaires à « développer davantage les produits d’épargne pour attirer la masse monétaire qui circule dans le circuit informel ».
Selon les chiffres les plus récents du ministère des Finances, l’épargne nationale est passée de 2 623 milliards de dinars (16,60 milliards d’euros) à la fin de 2018 à 2 860 milliards de dinars (18,10 milliards d’euros) à la fin de juin 2021. Un niveau jugé « correct » par le ministre, qui précise toutefois que ce volume reste « faible par rapport aux potentialités auxquelles le pays aspire à parvenir ».
Le ministre considère l’épargne comme étant « un stimulateur pour l’économie et le développement national ». Or, selon ses dires, son augmentation « devra se répercuter positivement et de manière globale sur l’investissement, la gestion des risques et autres ».
Conditions sine qua non du succès
En 2016, onze banques et neuf entreprises ont participé au lancement du premier service de paiement électronique en Algérie.
Parmi elles, six banques publiques et cinq banques privées : Trust Bank, Natixis, Société générale, Gulf Bank et Al Baraka. Nombre d’entreprises publiques et privées, dont Air Algérie, Algérie Télécom, Mobilis, la Société des eaux et dAassainissement d’Alger, Djezzy, Ooredoo et Amana Assurances.
Pour gagner la confiance des consommateurs, il faut faire plus pour la protection des données
En 2017, Sonelgaz, Naftal et Entreprise Métro d’Alger ont indépendamment signé des partenariats avec un certain nombre de banques pour avoir, elles aussi, accès aux paiements électroniques. S’est ensuivie la distribution par Algérie Poste de plus de 500 000 terminaux de paiement électronique à travers le pays.

Les 5 premières banques algériennes en termes d'actifs © Les 5 premières banques algériennes en termes d’actifs. Source : Jeune Afrique
En 2021, pour que les services bancaires 100 % numériques se soldent par succès, OBG Rachid Sekak, consultant principal chez BRS Consultants avance qu’il faudra « tout d’abord mettre en place un mécanisme permettant d’établir l’identité des personnes utilisant le service ; développer un protocole pour s’assurer que les institutions financières peuvent accéder aux réseaux de télécommunications ; et enfin, faire davantage pour garantir la protection des données afin que les consommateurs puissent avoir confiance dans le système. »
Intervention de plusieurs acteurs
Outre ces conditions et le nouveau cadre législatif en étude, il est important de prendre en compte qu’une digitalisation effective ne peut se faire qu’avec l’intervention de plusieurs acteurs.
Aux côtés des ministères compétents (ministère de la Poste, des Télécommunications, des Technologies, ministère des Finances) le Conseil de la Monnaie et du Crédit ainsi que la Banque d’Algérie devront mettre à niveau le cadre de supervision aux normes et standards internationaux, renforcer le cadre de résolution bancaire et de gestion des crises, et mettre en place des règles et une supervision du capital-risque et de de la microfinance.
L’Autorité de régulation de la Poste et des communications électroniques (ARPCE) devra aux côtés des banques de second rang et des Groupements d’intérêt économique (GIE), élaborer la certification électronique, pour qu’enfin la Société d’automatisation des transactions interbancaires et de monétique (Satim) et l’Association professionnelle des banques et établissements financiers (Abef) puissent se charger des opérations d’e-paiement.
Les différents acteurs devant intervenir dans la digitalisation des banques