La Banque centrale de Tunisie (BCT) renvoie la balle à la Kasbah, siège du gouvernement, car la demande de reprise des négociations, officialisée le 6 novembre, avec le Fonds monétaire international (FMI) émanait de la cheffe du gouvernement Najla Bouden. La Primature se défausse sur le ministère des Finances, qui « refile la patate chaude » à l’Économie, qui pointe du doigt la BCT car le communiqué de reprise des discussions venait d’elle…
Côté politique, c’est le plus grand flou
Personne ne veut parler publiquement de la feuille de route que la Tunisie s’apprête à (re)proposer aux grands argentiers de Washington. Si feuille de route il y a. Selon les informations de Jeune Afrique, aucune visite sur le terrain ou rencontre virtuelle n’est encore à l’ordre du jour entre les experts du FMI et les responsables tunisiens.
Des bureaux condamnés
Depuis le 25 juillet et le coup de force institutionnel du président de la République, Kaïs Saïed, les relations entre le FMI et la Tunisie sont réduites à peau de chagrin. Certes, la BCT n’a jamais coupé le lien, mais c’est surtout grâce aux connexions de son gouverneur, Marouane Abassi, ancien de la Banque mondiale et proche de Jihad Azour, directeur Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds. Côté politique, c’est le plus grand flou. Il n’y a eu, depuis cet été, que deux réunions, d’une portée très technique, entre les experts du FMI et leurs homologues tunisiens.
Najla Bouden n’a qu’à se servir…
De l’équipe tunisienne menée alors par le chef de gouvernement, Hichem Mechichi, qui s’est rendu à Washington en mai pour présenter son « new deal », il ne reste plus personne ou presque. Mechichi s’était beaucoup appuyé sur des conseillers, dont Abdessalem Abbassi et Zakaria Belkhoja, qui n’ont pas été reconduits par Najla Bouden. Ils n’ont pas non plus été approchés en amont pour préparer la reprise des discussions : « Il n’y a pas besoin. En juillet, l’armée a condamné tous les bureaux de la Kasbah. Les dossiers des conseillers avec leurs notes y sont toujours. La cheffe de gouvernement n’a qu’à se servir », lance, sarcastique, un haut-fonctionnaire.
La ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, est, elle, bien connue des experts du FMI. L’ancienne directrice générale chargée de la fiscalité au ministère de l’Économie et des Finances avait pris part aux discussions avec l’argentier international. Mais elle avait rapidement été évincée sur ordre de son ministre de tutelle, Ali Kooli, car elle ne partageait pas sa vision réformatrice sur les impôts.

Jihad Azour du FMI s'exprime lors de la conférence de presse du département Moyen-Orient et Asie centrale sur les perspectives économiques régionales. © Joshua Roberts/IMF Photo/Flickr/Licence CC
Un soulagement de courte durée
Après plus de cent jours de pause, l’annonce de la reprise des discussions avec le FMI a été ressentie comme un soulagement. De courte durée. Les experts financiers internationaux veulent du concret chiffré sur lequel travailler : un programme de réformes, une loi de finances rectificative pour 2021, un projet de loi de finances 2022, etc. Or, rien de tout cela n’est sur la table, alors que le temps presse.
Une sortie des marchés internationaux est à exclure
D’ici au 31 décembre, la Tunisie doit trouver quelque 10 milliards de dinars (3 milliards d’euros) pour boucler son budget 2021 : un tiers devrait provenir d’un financement intérieur, et deux tiers d’emprunts extérieurs. Sur ce dernier point, environ 2,5 milliards de dinars venant des créanciers habituels, hors FMI (Banque internationale pour la reconstruction et le développement –BIRD –, Banque africaine de développement – BAD –, agences de développement française, allemande, etc.) et de « pays frères » seraient déjà considérés comme acquis par le ministère des Finances, ce qui est loin d’être évident selon nos sources. De son voyage en Arabie saoudite en octobre dans le cadre du Sommet sur l’initiative verte du Moyen-Orient, Najla Bouden n’a, par exemple, pas réussi à obtenir une aide financière significative.
Sur les 7,5 milliards de dinars restant, rien de tangible non plus. Au demeurant, et en l’absence d’accord avec le FMI – qui n’interviendrait pas avant des mois, en partant du principe que les négociations aboutissent –, une sortie des marchés internationaux est à exclure.
Concernant la dette intérieure, les banques nationales sont trop exsangues pour, à nouveau, recourir à des émissions en masse de Bons du Trésor assimilables (BTA). Les économistes de la place s’attendent donc à ce que l’État coupe drastiquement dans l’enveloppe dévolue aux investissements, d’un montant de 4 milliards de dinars dans la loi de finances 2021, soit environ 10 % des dépenses du budget. Ce qui s’annonce insuffisant, d’autant plus que la hausse du prix du baril de pétrole a fait s’envoler la facture énergétique.
Bricolages techniques
La Tunisie devrait réussir à boucler l’année en cours, mais au prix de bricolages techniques « qui paieront les retraites cette année, mais accéléreront l’inflation l’an prochain », selon un observateur local, qui préfère garder l’anonymat tant le climat politique et économique est électrique en ce moment.
À telle enseigne que, même anonymement, aucun expert interrogé sur la teneur des réformes dans la future loi de finances 2022 ne se risque à livrer une opinion. Maître du tempo politique depuis le décret du 22 septembre, Kaïs Saïed, peu versé dans la science économique, ne laisse rien filtrer de ses intentions. Un mystère de plus qui n’est pas fait pour rassurer le FMI.