« Combien avaient tenté de me dissuader ? Beaucoup me disaient qu’il ne fallait pas aller à Kinshasa ce jour-là. Au sein du gouvernement belge et de mon cabinet, ils avaient peur et disaient que ça allait mal tourner. Ils n’avaient pas tout à fait tort. Ce 23 janvier 2001 a été une longue journée.
Nous avons atterri à Kinshasa dans la matinée. Avec moi, dans l’avion officiel, il y avait mes collaborateurs, mes gardes du corps et une quarantaine de journalistes. Dès que nous sommes arrivés, nous avons senti la ville remontée. Il y avait de la tension et de la colère, des envies de vengeance aussi.
Depuis l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, une semaine plus tôt, toutes les rumeurs rendaient la Belgique responsable de sa mort. Le 16 janvier, alors que l’heure était à la confusion et aux grandes manœuvres, j’avais été le premier à confirmer le décès du président – venant de l’ancienne puissance coloniale, cette annonce alimentait la machine à fantasmes. C’est pour cela que je ne pouvais pas ne pas me rendre à l’enterrement du président Kabila le 23 janvier. Cela aurait été perçu comme un aveu de culpabilité.
J’ai commencé par rendre visite à Joseph Kabila pour lui présenter mes condoléances. Il venait d’être choisi par la vieille garde qui entourait son père pour lui succéder, mais à l’époque, les habits de président semblaient trop grands pour lui. Il était très jeune, et pas très causant.
« Ils étaient des milliers à me hurler dessus »
Puis tout le monde est allé au Palais du peuple et j’ai vite compris que je n’étais pas le bienvenu. Pour atteindre l’estrade où reposait la dépouille de l’ancien président, il m’a fallu traverser une foule chauffée à blanc. Ils étaient des milliers à me hurler dessus. Mes gardes du corps se débattaient. À l’extérieur, le bus qui convoyait ma délégation était violemment caillassé. Mes agents de sécurité luttaient pour que ma Jeep blindée reste intacte.
Au son des coups de canon et des moteurs des Mig angolais, Laurent-Désiré Kabila a été inhumé dans un mausolée construit à la hâte au Palais de la nation. Nous avons alors repris la route de l’aéroport de Ndjili. Dans cette ambiance inflammable, il n’était pas question de s’attarder.
On a 300 blindés légers positionnés à Brazzaville
C’est en arrivant au pied de l’avion qu’on m’a appris que deux de mes gardes du corps avaient été arrêtés. Cela s’était passé au tout début de la journée, quand j’étais allé voir Joseph Kabila. J’ai immédiatement appelé Gaëtan Kakudji, le ministre de l’Intérieur. « Tes hommes seront libérés demain », m’a-t-il assuré. « N’imagine pas un instant que je quitterai Kinshasa sans eux ! » lui ai-je répondu.
J’ai appelé André Flahaut, le ministre belge de la Défense. Il m’a dit : « On a 300 blindés légers positionnés à Brazzaville. Explique-leur que s’il faut extraire nos hommes de force, on a de quoi faire. » J’ai fait passer le message à Kakudji, qui m’a dit que la décision ne lui appartenait pas.
« Don’t worry Louis. You are a good friend »
Le temps passait et, compte tenu de la tension dans la ville, on n’en menait pas large. J’ai alors appris que mes gardes du corps étaient aux mains des Zimbabwéens – ce sont eux qui assuraient la sécurité de Kabila fils et qui étaient les rois de Kinshasa.
J’ai donc appelé Robert Mugabe, le président zimbabwéen. Par le passé, j’avais déjà pu compter sur lui. Il m’a dit : « Don’t worry Louis. You are my good friend. I will help you. » [« Ne t’inquiète pas Louis. Tu es un ami. Je vais t’aider. »]. Une heure plus tard, j’ai enfin vu arriver dix bérets rouges zimbabwéens sur le tarmac : mes hommes étaient avec eux.
On était soulagés, prêts à décoller, quand mon attaché de presse est arrivé, blême. Cette fois-ci, c’est le commandant des renseignements belges qui manquait à l’appel ! C’était reparti : coup de fil à Kakudji, à Mugabe, mais cette fois-ci, ils m’ont répondu qu’ils n’avaient pas mon homme. Il avait disparu ! Je ne savais pas quoi faire… On était en train d’activer tous nos contacts quand j’ai vu débarquer une Lada rouge bringuebalante au pied de notre avion. Le commandant des renseignements en est sorti, détendu. “J’étais allé faire un tour en ville”, m’a-t-il dit, l’air de rien. J’ai cru que j’allais l’écharper. On a décollé. J’étais content que cette journée soit enfin terminée. »