La tension est montée pendant le week-end. Sur les collines du Nord-Kivu, province sous administration militaire depuis six mois, et dans les environs de sa capitale, Goma, la rumeur d’une attaque imminente a commencé à se répandre, suscitant d’abord l’inquiétude des populations puis celle des diplomates.
Le 7 novembre, l’ambassade américaine a publié un communiqué mentionnant « une attaque potentielle à Goma » et appelant « son personnel à s’abriter ». Mais dans la nuit du 7 au 8, ce sont finalement les positions des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) à Runyonyi et Chanzu, dans le territoire de Rutshuru, à environ 85 km au nord-est de Goma, qui ont fait l’objet d’un assaut, forçant les militaires à battre temporairement en retraite. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), près de 8 000 personnes ont fui ces nouvelles violences, trouvant refuge en Ouganda.
Dès le 8 novembre, l’armée congolaise a immédiatement pointé un doigt accusateur sur le M23, une rébellion qui a dans le passé contrôlé plusieurs localités du Nord-Kivu mais qui est officiellement démobilisée depuis 2013. Le M23 a « l’intention de mener d’autres actions de déstabilisation dans le territoire de Rutshuru », préviennent les FARDC dans un communiqué, et ce, alors même que l’état de siège a été décrété dans toute la province du Nord-Kivu en mai dernier.
« Les FARDC tiennent à préciser que la dernière attaque du M23 à Chanzu et [dans] ses environs intervient au moment où la RDC s’est engagée dans la phase de mutualisation des forces avec les pays voisins pour la normalisation des relations en vue d’améliorer la situation sécuritaire dans la région », indique encore l’état-major congolais. Le même communiqué indique que les auteurs des attaques menées à Chanzu et Runyoni sont venus du Rwanda.
« Propagande »
Kigali a immédiatement réagi en affirmant ne pas soutenir le M23. « L’ex-groupe M23 en question n’a pas cherché refuge au Rwanda lors de son retrait de la RDC en 2013, mais a été basé en Ouganda, d’où cette attaque est originaire et où le groupe armé s’est replié, ont tenu à préciser les autorités de Kigali. Toute information, dans les médias ou émanant de responsables de la région, selon laquelle l’ex-groupe armé M23 serait originaire du Rwanda ou s’y est retiré est une propagande visant à saper les bonnes relations entre le Rwanda et la RDC. » Signe que la situation génère tout de même quelques tensions, le chef d’état-major congolais, le général Célestin Mbala, était en visite à Kigali ce 10 novembre pour échanger avec ses homologues des Forces de défense rwandaises (RDF).

Lors de la prise de Goma par la rébellion du M23. © Pierre Boisselet pour JA
Que s’est-il réellement passé ? Depuis le début de la semaine, les services de sécurité congolais s’activent pour essayer de tirer les choses au clair. Le président Félix Tshisekedi a lui-même participé à plusieurs réunions consacrées à la situation.
Selon nos sources, différentes pistes d’analyse sont pour l’instant à l’étude. Il n’est ainsi pas exclu que le M23 tente de faire pression sur le gouvernement congolais pour obtenir une mise en œuvre rapide de la feuille de route négociée – à Kigali, sous l’égide du Rwanda – en octobre 2019. L’accord conclu à l’époque prévoit le rapatriement et la réintégration en RDC des ex-M23. Un membre du mécanisme de suivi de cet accord affirme que « le processus avance beaucoup », notamment avec le Rwanda, mais que « c’est côté Ouganda qu’il y a des lourdeurs ». Mais les cadres du M23 que nous avons contactés ne partagent pas cet optimisme.
Le M23 n’a pas intérêt à remettre en question ses relations aujourd’hui apaisées avec le gouvernement congolais
Interrogés sur leur responsabilité dans les récents événements, ces derniers bottent en touche et évoquent « une opération de diversion des FARDC, très critiquées dans l’opinion compte tenu de l’impact limité de l’état de siège » décrété dans le Nord-Kivu et l’Ituri.
« Comment les FARDC peuvent-elles être aussi affirmatives sur notre présence à Runyonyi et Chanzu ? Elles n’ont pas pu y assurer une présence manifeste alors que l’état de siège est déclaré et que l’ambassade des États-Unis avait donné l’alerte », interroge un cadre politique du M23 basé à Kigali.
Également contacté par Jeune Afrique, un expert des questions de sécurité dans les Grands Lacs qui souhaite conserver l’anonymat souligne que le M23 « n’a pas intérêt à remettre en question ses relations aujourd’hui apaisées avec le gouvernement congolais », d’autant que celui-ci travaille également à la normalisation de ses liens avec Kigali et Kampala. Dans son propre communiqué, le mouvement rappelle d’ailleurs être engagé depuis plus d’un an « dans des pourparlers avec le gouvernement de Kinshasa », précisant que ses « délégués ont séjourné [dans la capitale congolaise] et ont eu des échanges très fructueux » avec l’administration Tshisekedi.
Intervenant une semaine après celles dont a été victime Bukavu, les attaques menées dans le territoire de Rutshuru sont-elles le signe d’une jonction entre différents groupes armés actifs dans l’Est ? Selon nos informations, les camps de cantonnement des ex-M23 tendent à se vider depuis 2014. Plusieurs centaines d’anciens combattants se seraient regroupés et réorganisés sur le mont Sabinio, à la frontière entre le Rwanda et l’Ouganda. Des éléments qui aujourd’hui encore répondent aux ordres du commandant Sultani Makenga, lequel est sous sanctions des Nations unies.
Des représentants du comité de sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU sont par ailleurs arrivés ces derniers jours à Kinshasa pour évaluer la mise en œuvre de l’embargo sur les armes imposé aux groupes armés opérant dans l’Est. Ils devaient se rendre ce mercredi 10 novembre en Ouganda puis au Rwanda.