Politique

Côte d’Ivoire : Hubert Oulaye, l’homme qui doit faire gagner le parti de Gbagbo

Originaire de l’ouest du pays, ce fidèle de l’ancien président a été nommé directeur exécutif du PPA-CI. Sa mission : construire un parti en capacité de ravir le pouvoir à Alassane Ouattara en 2025.

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Par - à Abidjan
Mis à jour le 6 novembre 2021 à 10:29

Hubert Oulaye à la cour d’assises d’Abidjan, en décembre 2017 © SIA KAMBOU/AFP

Hubert Oulaye s’est retrouvé propulsé sur le devant de la scène politique ivoirienne le 25 octobre dernier. Pourtant, l’annonce officielle de sa nomination en tant que président exécutif du PPA-CI s’est faite en son absence. Tandis que Me Habiba Touré, porte-parole de Laurent Gbagbo, présentait la liste des personnes choisies par l’ancien président pour diriger le parti sous les applaudissements des militants, Oulaye était à quelques kilomètres de là, chez Simone Gbagbo, pour son baptême du feu. Il était en effet chargé de mener une ultime médiation auprès de l’ancienne première dame, afin de tenter de la faire rejoindre le parti.

Il semblait être l’homme de la situation. Hubert Oulaye et Simone Gbabo sont camarades de longue date, ils se sont rencontrés lors de leurs années de syndicalistes dans les années 1980 et peuvent se parler franchement. Mais rien n’y a fait. Simone Gbagbo a refusé la main tendue de ceux qu’elle avait qualifiés quelques mois auparavant « d’anciens camarades », dénonçant leur manque de considération. Elle ne sera pas de ce nouveau départ voulu par Laurent Gbagbo.

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« Je ne peux pas émettre de jugement sur ce qu’elle a ressenti. Mais je pense aux attentes des Ivoiriens et je me dis : que prendre en considération lorsqu’on vous invite à venir prendre part à la création de quelque chose qui permettra de leur offrir de meilleures conditions de vie ? Pour moi, l’enjeu était si important qu’il valait la peine de surpasser tout cela », confie Hubert Oulaye à Jeune Afrique quelques jours plus tard, le 29 octobre.

« Gbagbo est le père de la démocratie »

C’est à son domicile, à Angré, un quartier de la commune de Cocody, qu’il nous donne rendez-vous. Pin’s de député épinglé sur son costume gris, Hubert Oulaye sort tout juste de l’Assemblée nationale où il s’est exprimé sur un projet de modification du code pénal. Installé dans un canapé, sous un hangar, il regarde défiler quelques paons dans son jardin. « Numériquement, nous ne pouvons pas empêcher le RHDP de faire passer des lois. Mais nous faisons ressortir les incohérences des textes que nous sommes appelés à voter. Lors des dernières législatives, en mars 2021, nous avons bien fait de sortir de la logique de boycott des élections. Continuer dans la posture que nous avons adoptée pendant dix ans, c’était abdiquer dans le combat politique », affirme le député de Guiglo (Ouest), président du groupe parlementaire Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS).

Frappé par le deuil après le décès de son épouse Hélène Oulaye, il avait pris du recul ces derniers mois et semblait moins présent sur la scène politique. Laurent Gbagbo était venu lui témoigner son soutien dès son retour de sa tournée européenne, le 1er octobre. Pensait-il déjà lui confier la direction exécutive de son parti à ce moment-là ? En tout cas, ce n’est qu’à quelques jours du congrès constitutif du PPA-CI, le 17 octobre, que Laurent Gbagbo a fait part à son compagnon de route de cette volonté.

En exil au Ghana, il était une figure importante des « Gbagbo ou rien »

En nommant Hubert Oulaye, l’ancien président choisit un fidèle, un homme sûr qui a rejoint sa formation – à l’époque, le Front populaire ivoirien – en 1990. « Nous vivions sous l’ère du parti unique. Cette situation ne me convenait pas. Je suis issu d’un groupe socio-ethnique (Wê) qui n’aime pas l’injustice, raconte-t-il. C’est dans le cadre du syndicalisme que nous nous sommes connus. J’ai alors rencontré des Ivoiriens qui partageaient la même vision que moi et qui ont milité pour une véritable démocratie pluraliste. Si Félix Houphouët-Boigny est le père de l’indépendance, Laurent Gbagbo est le père de la démocratie. »

Ministre en pleine crise

Né en novembre 1953 à Guiglo, dans l’ouest du pays, d’un père infirmier et d’une mère ménagère, Hubert Oulaye garde un attachement fort à sa région natale. Après des études de droit à Abidjan, puis à l’université de Nice, en France, il rentre au pays en 1979. Il enseigne à la faculté de droit de 1980 à 2000. En parallèle, il est nommé directeur de cabinet de Laurent Gbagbo à la fin des années 1990 et présidera le comité de contrôle du FPI à partir de 2001. Il sera également ministre de l’Emploi et de la Fonction publique durant les dix ans de pouvoir de Gbagbo (de 2000 à 2010).

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Quel bilan dresse-t-il de leurs années de gestion ? « La préoccupation principale à partir de 2003 [après le coup d’État de 2002] était de ramener la paix. Les réalisations sociales sont passées au second plan. Nous avons quand même fait certaines choses, telles que le plan de désendettement, et nous avons fourni des efforts sans aide internationale. Il fallait aussi payer les fonctionnaires qui étaient dans le Nord, sachant que cette partie du pays était aux mains de la rébellion et n’apportait rien en matière de fiscalité. Et on ne peut pas nous reprocher de ne pas avoir construit de route ou d’universités. Ce n’était pas le souci de ceux qui gouvernaient avec nous et face à qui nous étions en minorité au sein du gouvernement », martèle-t-il.

Lorsqu’éclate la crise électorale de 2011 et que Laurent Gbagbo est incarcéré, Hubert Oulaye prend le chemin de l’exil, comme de nombreux cadres du parti. Depuis le Ghana, il s’investit dans l’association du parti qui vient en aide aux exilés, lit et devient une figure importante de ceux qu’on surnomme les « Gbagbo ou rien » (GOR), la frange dure d’un FPI scindé en deux clans. En 2014, il est un des premiers caciques de l’ancien régime en exil à décider de rentrer en Côte d’Ivoire. Mais il est vite rattrapé par la justice : un an plus tard, il est condamné pour l’assassinat de sept casques bleus, une affaire datant de 2012 et pour laquelle il a toujours rejeté toute responsabilité.

Il a moins de quatre ans pour tenter de créer une machine à gagner

Un modéré pour enraciner le parti

Si la nouvelle nomination de Hubert Oulaye, à la place d’un baron tel que Assoa Adou, ancien secrétaire général du FPI, illustre la volonté de Laurent Gbagbo de rajeunir et de redynamiser le parti, elle est aussi une façon pour lui de remercier sa base. « Laurent Gbagbo récompense la fidélité des gens de l’Ouest qui lui ont donné sept députés, soit presque l’effectif d’un groupe parlementaire [huit élus], confie un proche de l’ancien président. C’est un message fort à l’endroit de cette partie du pays qui a été martyrisée pendant les crises que nous avons traversées. »

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Décrit comme modéré et ouvert au dialogue, Hubert Oulaye devra impulser le leadership nécessaire pour que le PPA-CI joue son rôle dans les discussions pour la réconciliation nationale initiées par le président Alassane Ouattara. Il avait en effet pris part aux négociations de Lomé en 2002, puis à celles de Marcoussis. Pour lui, « un processus de réconciliation doit réunir tout le monde pour un examen. Celui qui apparaît comme fautif devant le peuple va ensuite demander pardon, pas avant. Et si la question des élections ressort comme un des problèmes majeurs, nous allons dialoguer afin de trouver une solution », ajoute-t-il.

Objectif 2025

Celui qui aura partagé les hauts et les bas de Laurent Gbagbo tout au long d’une trentaine d’années de carrière politique a moins de quatre ans pour tenter de créer une machine à gagner. Car l’ancien président ne s’en est pas caché : il veut que son parti prenne le pouvoir. Les premières étapes seront la reconnaissance légale de la formation, la constitution des organes dirigeants et son installation dans les régions du pays dans les semaines à venir. Mais les obstacles sont nombreux. Si l’ancien président est lui-même candidat, il sera jusqu’au bout sous la menace de l’exécution de la peine prononcée à son encontre dans l’affaire du casse de la BCEAO : vingt ans de prison.

L’ancien ministre en est convaincu : la base est au rendez-vous

« Nous savons que cette épée de Damoclès existe et nous espérons que les subterfuges juridiques ne seront pas utilisés pour nuire à un adversaire politique. Le timing et les conditions dans lesquels le procès s’est tenu pose question. Mais à l’ouverture de notre congrès constitutif, le directeur exécutif du RHDP, Adama Bictogo, a dit que la naissance de ce parti était souhaitée et qu’il apporterait sa contribution à l’apaisement du climat social, que cela allait renforcer la démocratie. Nous attendons donc de voir », se rassure Hubert Oulaye.

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Dans cette quête de la présidence, il devra faire avec un parti nouveau-né, qui doit se relever après dix années d’absence de son leader et privé de certains de ses piliers historiques. Pascal Affi N’Guessan d’une part, avec lequel Laurent Gbagbo a définitivement rompu en lui cédant le FPI. Simone Gbagbo de l’autre, qui continue donc à faire bande à part. Pas de quoi inquiéter l’ancien ministre : il en est convaincu, la base est au rendez-vous. « La plupart de nos militants ont pris le chemin de l’exil, certains ont été emprisonnés, d’autres encore sont morts. Ceux qui sont restés en Côte d’Ivoire vivaient sous les menaces quotidiennes. Ils ont gardé le silence mais ils n’ont pas changé d’option politique, estime-t-il. Le retour de Laurent Gbagbo a déclenché un regain d’enthousiasme. »