« Maman ! Maman ! » La voix, étouffée d’émotion, résonne sur le tarmac de l’aéroport Modibo-Keïta de Bamako. Dans les bras de Sébastien Chadaud-Pétronin, une silhouette frêle est soulevée du sol. Trois ans et neuf mois de captivité auront courbé cette femme, flottant dans un large boubou blanc. Sous le foulard avec lequel elle tente de dissimuler le bas de son visage, Sophie Pétronin est libre.
Nous sommes le 8 octobre 2020. Près de quatre ans plus tôt, Sophie Pétronin, aujourd’hui âgée de 76 ans, était enlevée devant les locaux de l’Association d’aide à Gao (AAG), qu’elle a fondée en 1998 pour accompagner les enfants victimes de malnutrition de cette ville septentrionale du pays.
Cette Bordelaise s’est installée une vingtaine d’années auparavant dans les venelles ensablées de cette ville aux portes du désert malien, à plus de 3 000 kilomètres de sa ville natale. « Sa ville d’adoption », dit-elle à qui veut l’entendre. Le lien se noue dès 1995 à l’occasion d’un premier voyage au cours duquel elle se dit « profondément touchée par la situation humanitaire ». Trois ans plus tard, elle fonde son association, avant de rejoindre Gao pour de bon en 2004.
Enracinée à Gao
Cette laborantine de formation et nutritionniste, qui parle couramment le songhaï et le tamasheq, s’est intégrée comme rarement pour une Française. « Sophie Pétronin est allée là où personne ne voulait aller, et soignait tout le monde, essentiellement des enfants, qu’ils soient peuls, touaregs ou songhaïs. C’est ce qui lui a valu sa réputation dans le Nord », explique le journaliste Anthony Fouchard, auteur du livre Il suffit d’un espoir, qui retrace la captivité de Sophie Pétronin.
Au terme « jihadistes », que les autorités emploient pour désigner ses geôliers, elle préfère celui de « groupe d’opposition armé au régime »
Une réputation qui lui vaut le concours d’une famille dont elle a pris en charge un enfant, alors qu’en 2012 déjà, pèse sur elle la menace d’un enlèvement. Le Mali est alors frappé par la montée de l’insécurité et fait face aux offensives lancées par les rebelles indépendantistes du Nord. Rapidement après son exfiltration, elle reprend les allers-retours en direction de Bamako, avant de retourner s’installer à Gao. Jusqu’à ce samedi 24 décembre 2016, où elle est embarquée à bord d’un pick-up et disparaît dans l’immensité du désert malien.
« Retraite spirituelle »
La Française, otage depuis bientôt quatre ans, bénéficie d’un accord passé avec Aqmi pour la libération de Soumaïla Cissé (décédé en décembre 2020), captif lui aussi. Pour faire libérer celui qui est alors la principale figure de l’opposition au Mali, les autorités acceptent de relâcher quelque 200 prisonniers, pour la plupart en attente d’un jugement, parmi lesquels quelques cadres djihadistes et des « petites mains » gravitant autour des groupes armés terroristes. Sophie Pétronin, ainsi que deux Italiens, bénéficient de l’accord obtenu pour Soumaïla Cissé. « À l’époque, les autorités avaient même relâché Hamdi Ould Khalifa, conducteur qui avait participé à l’enlèvement de Sophie Pétronin », précise Anthony Fouchard.
Ce 8 octobre, devant les caméras massées pour couvrir son retour, celle qui fût un temps la dernière otage française dans le monde – tristement remplacée par le journaliste Olivier Dubois -, relativise sa captivité. « J’ai transformé la détention en retraite spirituelle. Je n’ai pas résisté, j’étais dans l’acceptation de ce qui m’arrivait », confie-t-elle. Au terme « jihadistes », que les autorités emploient pour désigner ses geôliers, elle préfère celui de « groupe d’opposition armé au régime ».
Sophie n’a jamais correspondu au storytelling qu’on attend d’un ex-otage
Immédiatement, l’opinion publique et une partie de la classe politique française, notamment d’extrême-droite, multiplient les diagnostics : Sophie Pétronin est « radicalisée », « victime du syndrome de Stockholm », « complice de ses bourreaux ». Autant d’étiquettes qui lui valent aujourd’hui d’être de nouveau vilipendée par ceux qui l’accusent d’être « retournée au Mali vivre sa foi avec les jihadistes ».
« Sophie n’a jamais correspondu au storytelling qu’on attend d’un ex-otage, analyse le journaliste Anthony Fouchard. Beaucoup auraient aimé qu’elle dise : “Je déteste ce pays et je n’irai plus”, qu’importe son histoire tellement particulière avec le Mali. Faut-il rappeler que Sophie Pétronin n’a pas refusé de condamner Iyad ag Ghali, mais les petites mains, ces gamins démunis poussés par le désoeuvrement et qui furent ses geôliers ? »
Ingrate et irresponsable ?
Il ne se sera écoulé que cinq mois après sa libération pour que Sophie Pétronin retourne au Mali. Sans visa, qui lui a été plusieurs fois refusé, elle est entrée illégalement dans le pays par la frontière avec le Sénégal. Sa présence n’a été révélée que le 30 octobre par la diffusion d’une note de la gendarmerie malienne la recherchant. Un nouvel épisode qui a suscité la polémique. Est-elle « irresponsable », comme l’a qualifiée le porte-parole de l’exécutif français ? « Dangereuse » et « ingrate » comme l’affirment d’autres ? « Elle est à l’automne de sa vie et voudrait juste être à la place où elle se sent le mieux. À Neuchâtel [en Suisse], c’était très difficile pour elle », justifie son fils, Sebastien Pétronin, devant les caméras de BFMTV, affirmant que sa mère avait perdu sa joie de vivre loin du Mali. Sophie Pétronin est en tout cas insondable.
Aujourd’hui recherchée par les autorités maliennes, a minima pour être entrée illégalement sur le territoire, Sophie Pétronin se cache dans la capitale malienne où elle aurait, via un intermédiaire, sous-loué un appartement. Souhaite-t-elle retourner à Gao ? « Elle a bien compris que Gao, ce n’était plus possible et que les zones rouges n’étaient plus pour elle, répond Sébastien Pétronin à la télévision française. Mais elle cherche où est sa place, et voudrait juste que tout le monde l’oublie. »