Économie

Après les mines, la RDC veut faire le ménage dans ses forêts

En pleine conférence mondiale sur le climat, Kinshasa durcit le ton contre la déforestation, annonçant interdire l’exportation de grumes. Une volonté de reprendre la main sur ses forêts après avoir lancé un même processus dans le secteur minier.

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Mis à jour le 3 novembre 2021 à 12:02

Les forêts du bassin du Congo constituent la deuxième plus vaste forêt tropicale de la planète après l’Amazonie. © Jens GROSSMANN/LAIF-REA

L’annonce est intervenue quelques jours avant l’ouverture de la COP26, la conférence mondiale sur le climat, ce week-end et ce n’est sans doute pas un hasard. Eve Bazaïba, la ministre de l’Environnement de la RDC a annoncé, le 28 octobre, l’interdiction prochaine de toutes les exportations de grumes (pièce spécifique de bois) dans le pays.

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Outre cette annonce forte, la ministre a promis d’autres mesures visant à limiter la déforestation et à préserver les espèces vivant dans la forêt du bassin du Congo, la deuxième forêt fluviale la plus grande à l’échelle de la planète, juste derrière l’Amazonie.

« Cela permettra de laisser du temps à la nature pour se restaurer, notamment par le biais d’un programme de reboisement que nous avons organisé avec tous nos partenaires techniques, financiers et de développement », a déclaré la ministre.

Ressource précieuse

Cette prise de position intervient dans le contexte de la tenue depuis le début de la semaine de la COP26 à Glasgow en Écosse, évènement durant lequel plus de 100 pays, dont la RDC, se sont engagés à mettre fin à la déforestation – phénomène responsable d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre – à l’horizon 2030.

Alors qu’un collectif de ministres de l’Environnement et de chercheurs réclame une enveloppe de 150 millions de dollars à destination du bassin du Congo, l’engagement de la centaine de pays prévoit  lamobilisation de plus de 19 milliards de dollars de fonds publics et privés sur plusieurs années afin de financer des programmes de protection des forêts.

En RDC, une nouvelle entité, la Direction de reboisement et horticulture (DRHo), a pour mission depuis 2020 de reconstituer le capital forestier du pays. Selon son plan d’action, un milliard d’arbres devraient être plantés à l’horizon 2023 et 1 800 hectares de projets agroforestiers divers sont planifiés.

Chaque année, le pays exporte en moyenne 120 000 m3 de bois, ressource précieuse pour l’économie nationale. En 2016, selon l’Agence française de développement, la RDC en a produit 200 000 m3.

production annuelle de grumes © Production annuelle de grumes en RDC. Source : AFD 2017

production annuelle de grumes © Production annuelle de grumes en RDC. Source : AFD 2017

Pratiques illégales

Selon une étude réalisée par l’École régionale postuniversitaire d’aménagement et de gestion intégrés des forêts et territoires tropicaux (ERAIFT),  les acteurs du secteur sont, pour moitié, de grandes entreprises (Sodefor, Maniema Union, Forabola et Booming Green) et, pour l’autre moitié, des moyennes et petites entreprises (CFT, IFCO, Somifor et Établissement Kitenge-Lola).

Classement des entreprises basé sur la proportionnalité des surfaces forestières exploitées

Classement des entreprises basé sur la proportionnalité des surfaces forestières exploitées

L’activité est marquée par des pratiques abusives, pointe la Coalition nationale contre l’exploitation illégale du bois (CNCEIB), dont l’exploitation en dehors des zones autorisées avec dépassement des volumes permis, le marquage frauduleux du bois, le non-paiement des redevances ou encore le non respect des règles de l’exploitation forestière durable.

Nous ne voulons plus de contrats avec des partenaires qui sont venus couper sauvagement nos forêts

« Du bois à haut risque d’illégalité d’une valeur d’au moins 21 millions de dollars US a été expédié vers les marchés internationaux depuis la RDC en 2014-2015», notait ainsi un rapport publié par le gouvernement français en 2015. Ainsi, selon ce même rapport, la majeure partie du bois récolté de manière industrielle en RDC et commercialisé à travers le monde était considéré comme « risquant fort d’être illégale ».

Audit de tous les contrats

En 2018, les plus grands acheteurs en valeur de bois du Congo étaient le Vietnam, l’Union européenne (via l’Association européenne de libre-échange), et la Chine, selon Forest Trends, un groupe de conservation basé aux États-Unis.

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Face à ce constat, le président congolais Félix Tshisekedi a ordonné, au début d’octobre, un audit de tous les contrats d’exploitation forestière en vigueur. « Nous ne voulons plus de contrats avec des partenaires qui sont venus couper sauvagement nos forêts, nous allons mettre fin ce type de contrats », a renchéri  la ministre Bazaiba.

La date d’entrée en vigueur de l’interdiction annoncée n’a toutefois pas été précisée. En outre, ce n’est pas la première fois qu’un ministre congolais de l’Environnement fait ce type de déclaration.

Progrès trop lents

Le 19 mars 2020, le ministre de l’Environnement et du Développement durable de l’époque, Claude Nyamugabo Bazibuhe, avait déjà lancé à Kinshasa une campagne pour lutter contre la déforestation. Le ministre avait décidé de saisir toutes les grumes illégales et d’interdire les activités de scierie dans les ports, promettant de mettre en place une véritable traçabilité dans la filière.

La RDC est le deuxième front de déforestation dans le monde

Les progrès demeurent cependant modestes. Sur le plan juridique, par exemple, la seule mesure forte à avoir été adoptée remonte à près de vingt ans : 2002 avait vu l’instauration d’un moratoire sur l’attribution de nouvelles concessions forestières.

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Pour rappel, les nombreuses variétés végétales qui peuplent la forêt du bassin du Congo absorbent chaque année environ 4 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone de l’atmosphère, selon l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale. Cette mosaïque de forêts dont 60 % se trouvent au Congo, traversent cinq autres pays du continent : la République du Congo, la République centrafricaine, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Cameroun. Abritant 10 000 espèces de plantes tropicales, dont 30 % uniques à la région, la forêt constitue un rempart majeur contre le réchauffement climatique.

300 000 personnes dans le secteur

Or, dans son rapport de 2019, Global Forest Watch indique que la RDC est le deuxième front de déforestation dans le monde. « En quinze ans, le pays a perdu 6 % de son couvert forestier », pointe le rapport. Selon les chiffres de l’ONU, le déboisement y a doublé au cours de la dernière décennie, notamment à cause de « la forte demande en bois de chauffage et en charbon de bois, des plantations d’huile de palme et autres exploitations agricoles commerciales ».

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D’après les dernières estimations du Centre de recherche forestière internationale (Cifor) et du Fonds forestier national (FFN), le bois est la principale source d’énergie pour 90 % de la population urbaine de la RDC. Pour parvenir à répondre à ce besoin, le gouvernement préconise la butanisation (utilisation domestique du gaz).

En tout, environ 5,8 millions de m3 de bois sont vendus à Kinshasa et à Kisangani. En moyenne, 300 000 personnes sont impliquées dans ce secteur.

Le bassin du Congo est le cœur et le poumon du continent africain

Cop 26 :  1,5 milliard de dollars mobilisés

Lors du deuxième jour de la Cop 26, une promesse mondiale de financement à hauteur de 12 milliards de dollars dédiés à sauver et restaurer les forêts, a été officiellement annoncée. D’après les déclarations officielles de l’ONU, « cette promesse s’accompagne d’une longue liste d’engagements de la part d’acteurs des secteurs public et privé pour lutter contre le changement climatique, enrayer la destruction de la biodiversité et la faim, et protéger les droits des populations autochtones ».

L’engagement du Bassin du Congo, a spécifiquement été signé par plus de 10 pays, le Bezos Earth Fund et l’Union européenne. En tout, 1,5 milliard de dollars ont été mobilisés pour protéger cet espace vert.

« Le bassin du Congo est le cœur et le poumon du continent africain, nous ne pouvons pas gagner la bataille contre le changement climatique si nous ne gardons pas le bassin debout », a déclaré le Président du Gabon, Ali Bongo Ondimba.