1. Basé en RDC
En 2004, Lucien Ebata délaisse définitivement sa carrière de juriste débutée au Canada pour se lancer dans le négoce pétrolier. Natif du Congo, le trader a d’abord fait ses armes en RDC, pays de naissance de son épouse, Philo Ebata. Il y obtient quelques mois plus tard son premier contrat auprès du suisse Glencore, qui lui confie le transfert de produits raffinés – via le fleuve – du terminal de Banana aux cuves de stockage de SEP Congo à Kinshasa. À charge pour lui d’assurer également le recouvrement. Accompagné à cette époque par l’ex-financer et trader ivoirien Charles Thiémélé, il va progressivement obtenir la confiance d’autres négociants comme Trafigura ou Vitol.
Être basé de l’autre côté du fleuve, c’est pour lui une manière de prendre un peu de distance avec Brazzaville, estiment plusieurs sources interrogées dans son entourage. Et c’est sans doute ce même souci d’indépendance qui le pousse à utiliser sa nationalité canadienne pour ses affaires.
En 2016, à l’occasion du renouvellement de sa licence d’importateur, Lucien Ebata, devenu un acteur de référence en RDC, avait remercié le président Joseph Kabila pour avoir permis l’émergence d’acteurs africains. Il avait également reçu les félicitations d’Aimé Ngoi Mukena, alors ministre des Hydrocarbures, dans le cadre de leur collaboration.
2. La voix de « Forbes »
Démarché par Forbes, Lucien Ebata négocie, en 2012, la franchise du magazine américain pour l’Afrique francophone. Il y voit l’opportunité de valoriser les réussites individuelles du continent. Le lancement a lieu en juillet à Brazzaville, à la veille d’un sommet de la Cemac. La venue de quatre chefs d’État – Denis Sassou Nguesso, Ali Bongo Ondimba, Teodoro Obiang Nguema, François Bozizé – donne à l’événement tout son lustre. Accompagné par Stéphane Fouks, alors à la tête d’Euro RSCG (devenu Havas), l’organisateur obtient en plus la participation de Christine Ockrent, en maîtresse de cérémonie, et de trois anciens Premiers ministres européens (Villepin, Raffarin, Verhofstadt).
Les 500 millions de dollars obtenus auprès d’un consortium de banques africaines lui permettent de changer de dimension
L’année suivante, Lucien Ebata inaugure le Forum Forbes, avec une collection d’invités prestigieux autour de conférences ayant trait au développement du continent. Il peut se targuer de réunir à Brazzaville trois chefs d’État (Jacob Zuma, Blaise Compaoré, Macky Sall) en plus du président Sassou Nguesso, désormais fidèle au rendez-vous. Pour l’occasion, l’homme d’affaires affrète un charter et fait venir de Paris une centaine d’invités. L’opération sera renouvelée en 2014 et 2015. En septembre 2019, après une année de négociations avec le magazine américain, le trader a obtenu le renouvellement de sa licence pour vingt ans, un accord exceptionnel par sa durée.
3. Prêts syndiqués
En 2013, son groupe Orion Oil décroche un important contrat au Congo, grâce à l’obtention d’un prêt syndiqué de 500 millions de dollars auprès d’un consortium de banques africaines. « Ce financement lui a permis de changer de dimension », confirme un de ses collaborateurs. Lucien Ebata peut ainsi préfinancer des cargaisons de pétrole brut – alors évaluées à environ 100 millions de dollars chacune – fournies par la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), avec laquelle Orion a conclu un contrat de 24 mois.
Cette syndication est alors la plus importante réalisée en Afrique centrale. Elle est menée par Ecobank et réunit United Bank for Africa (UBA) en tant que co-arrangeur, BGFI Bank, Afreximbank et Banque Atlantique. En 2015, Orion a obtenu un autre prêt syndiqué (UBA, Afreximbank et BGFI) pour un montant encore supérieur : 580 millions de dollars.
4. Une vie de VIP
Quand il ne réside pas dans sa grande villa à Kinshasa, Lucien Ebata fréquente assidument les palaces et les hôtels haut de gamme pour ses affaires. À Brazzaville, il a fait de la suite du dernier étage du Radisson son point de chute favori. À Londres, il descend volontiers au Ritz, tandis qu’à Paris, le trader apprécie les suites du Georges V et du Peninsula, où il sert du Ruinart rosé et de grands crus à ses visiteurs.
Absorbé par ses activités professionnelles 7 jours sur 7, il voyage souvent en jet privé, sort peu et occupe une partie de son temps libre à lire des essais économiques. Pour se déplacer, l’homme passe en fonction des situations du 4×4 très fonctionnel à la berline de luxe britannique Bentley, accompagné de ses gardes du corps.
Il connait personnellement Tony Elumelu, Benedict Okey Oramah et Henri-Claude Oyima
5. Les hommes d’Orion
Pour faire tourner ses affaires, Lucien Ebata s’appuie sur une poignée d’hommes. Au sein de son groupe Orion, il faut notamment citer le congolais Sylvain Lekaka, nommé directeur de plusieurs sociétés appartenant à Lucien Ebata en 2019 et 2020. Il était au même moment chef de bureau du directeur général de la SNPC et occupe aujourd’hui le poste de directeur de cabinet de Ludovic Ngatsé, ministre congolais délégué au Budget.
Autres figures de la garde rapprochée du trader : le Belge Michel Becquevort, responsable de la stratégie d’Orion, un des rares à pouvoir anticiper ses réactions, et le professeur Mulenda, ancien chef de cabinet du ministère de l’économie de RDC (2012-2015) et actuel secrétaire général du groupe.
Du côté de Forbes, c’est le Camerounais Michel Lobé, ex-BBC, qui gère les aspects éditoriaux. Très introduit dans les cercles financiers, Lucien Ebata connait personnellement les Nigérians Tony Elumelu et Benedict Okey Oramah, respectivement présidents d’UBA et d’Afreximbank, mais aussi Henri-Claude Oyima, patron du groupe gabonais BGFI. Souvent en France, où réside son épouse, il a développé des liens avec Nicolas Sarkozy, qui a participé au Forum Forbes en 2014, avec Stéphane Fouks, qui l’accompagne pour sa communication, ainsi que DSK, dont ce dernier est un proche.
6. George Weah, Macky Sall et Alassane Ouattara
Lucien Ebata entretient des relations directes avec un certain nombre de chefs d’État africains. C’est le cas du Libérien Georges Weah (avec qui des liens se sont tissés via Georges Wega, patron Afrique de l’Ouest de Société générale), qui l’a invité à son investiture, du Sénégalais Macky Sall et de l’Ivoirien Alassane Ouattara, présent au Forum Forbes en 2015.
Il a notamment obtenu auprès de ce dernier le rachat des parts détenues (20%) par la Petroci dans les gisements de Mengo-Kundji-Bindi situés au large de Pointe Noire. Initialement, la compagnie nationale avait pourtant la volonté d’y investir pour redonner une seconde jeunesse à des blocs autrefois exploités par Elf. Cette cession a permis à Orion de signer un contrat de partage de production avec SNPC en 2018. Avant de s’acquitter de sa dette à l’égard de Petroci, Lucien Ebatta s’est rendu en 2019 à Abidjan, où il a été reçu par le chef de l’État. À cette même période, il a obtenu un permis minier dans la région de Toumodi.
7. Négociateur avec le FMI
Placé en septembre 2017 à la tête d’un comité technique pour négocier un programme d’aide avec le FMI – à la surprise générale car l’État congolais devait de l’argent à son groupe –, Lucien Ebata, qu’on appelle pour l’occasion M. le président, endosse sans l’avoir cherché une lourde responsabilité au moment le pays se trouve à court d’argent. « Le chef de l’Etat lui reconnaît des compétences en matière financière et il a prouvé qu’il savait faire aboutir des projets complexes », insiste un témoin des négociations. Il collabore étroitement avec DSK, ex-directeur du Fonds et économiste reconnu, pour aider le Congo à mener les réformes exigées par l’institution.
Alors que le président et le Premier ministre obtiennent une restructuration de la dette due à la Chine, Ebata s’attaque aux créances des traders que le fonds veut voir largement baisser. En avril 2020, le patron d’Orion donne l’exemple et accepte une décote de 30 % de sa dette (270 millions de dollars). Un geste déjà compensé par les droits obtenus (40 %) dans le partage de production des gisements de MKB. La partie est plus serrée avec Trafigura et Glencore. Le premier signe finalement un accord fin 2020 à minima en concédant une baisse de 5 %. À ce jour, alors que la mission du trader est terminée depuis 2019, aucune restructuration de la créance de Glencore n’a été officialisée.
Après une longue période de statu quo, les négociations entre le Fonds et le Congo en vue de l’octroi d’une Facilité élargie de crédit (FEC) ont repris fin septembre à la faveur de la hausse des cours et d’une seconde restructuration de la dette chinoise.
Bénéficiant d’un passeport diplomatique congolais, il répond volontairement à une convocation de la justice française
8. Convoqué
L’affaire remonte à janvier 2012. Intercepté avec une forte somme d’argent non déclarée à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, Lucien Ebata, 52 ans, plaide un oubli. Les médias évoquent 182 000 euros en liquide. Son avocat indique aujourd’hui que seuls 30 000 euros non déclarés ont été alors trouvés sur son client. L’enquête préliminaire ouverte dans un premier temps par le parquet de Bobigny est confiée au parquet financier (PNF) en 2016. Celui-ci ouvre une information judiciaire en 2020.
Le 5 octobre, le patron d’Orion group, qui bénéficie d’un passeport diplomatique congolais, répond volontairement à une convocation de la justice française. Entendu pendant deux jours, il est mis en examen à l’issue de son audition pour « manquement à l’obligation de déclaration de capitaux », « blanchiment » et « corruption active » a indiqué le PNF à Jeune Afrique.
9. Selfie
C’est à la fin des années 2000, après avoir fait ses armes en RDC et acquis une certaine notoriété, que Lucien Ebata entreprend des démarches pour travailler au Congo. Denis Sassou Nguesso repère alors ce jeune homme ambitieux, originaire comme lui de la région de la Cuvette. Depuis, le trader s’est fait une place à part dans le paysage à Brazzaville, devenant un partenaire incontournable de la SNPC.
En août 2017, le chef de l’État fait de Lucien Ebata son conseiller spécial pour les financements extérieurs. Au moment de son audition par la justice française, le trader était porteur d’un ordre de mission signé par le président congolais. Pour démentir les rumeurs lancées par les opposants congolais qui le disent bloqué à Paris suite à son audition, il s’est pris en photo au palais du peuple, à Brazzaville, le 28 octobre avec Claudia Lemboumba Sassou Nguesso, fille et conseillère spéciale du président, chargée de la communication.
10. Constellation de sociétés
En avril 2016, Lucien Ebata avait menacé de poursuites toute association de son nom ou de celui de son groupe avec l’enquête sur les Panama Papers. L’ancien étudiant en droit, passé grâce à une bourse d’État par Cuba et le Canada, indiquait que sa holding Orion Group SA, créée en 2008, était certes immatriculée au Seychelles, mais dans des conditions parfaitement légales. Ce territoire a néanmoins été placé en 2017 sur la liste noire de l’Union européenne (UE) recensant les paradis fiscaux, jusqu’à son transfert début octobre sur la liste « grise » des États qui se sont engagés à mettre en œuvre des réformes fiscales.
L’homme d’affaires a mis un terme en octobre aux activités d’Orion Group en France
Lucien Ebata n’hésite pas à créer des entreprises dans différentes législations en fonction de ses besoins. Hors du continent, on retrouve trace de cette constellation de sociétés à Montréal, où il a enregistré en 2004 Orion Mining Enterprises Inc, finalement dissoute en 2008. De 2012 à 2020, il a aussi été le codirecteur, avec le Français Philippe Chironi, d’Orion Oil & Gas Group SA, domiciliée dans le canton de Vaud en Suisse.
L’homme d’affaires a également mis un terme en octobre, à Paris, aux activités d’Orion Group, qui existait depuis 2013. D’après certains proches, il pense à se recentrer sur Londres, où la justice le laisse tranquille et où il possède plusieurs entreprises, dont Orion Oil Limited, fondée en 2008, et Orion Exploration and Development Limited, créée en 2020.