Le 13 octobre, le tribunal administratif d’Alger a mis fin à l’existence du Rassemblement actions jeunesse (RAJ), une ONG qui s’est tenue au premier rang du mouvement du Hirak. Une sanction administrative qui fait suite à une plainte du ministère de l’Intérieur lui reprochant « d’agir en violation de la loi sur les associations ».
Le RAJ, qui rejette ces accusations « basées essentiellement sur les activités publiques de l’association durant le Hirak », compte introduire une requête d’annulation de la dissolution auprès du Conseil d’État. Plusieurs membres du RAJ ont déjà fait l’objet de poursuites judiciaires.
Jusqu’à neuf d’entre eux ont été incarcérés, dont son président Abdelouahab Fersaoui, la quarantaine, condamné à une année de prison pour « atteinte à l’intégrité du territoire national ». Arrêté en octobre 2019, lors d’une manifestation de soutien à des détenus du Hirak, Fersaoui a purgé six mois de prison, qui ont correspondu à la peine prononcée en appel.
Sous la direction de Abdelouahab Fersaoui, le RAJ a tenté de réunir un grand nombre d’acteurs politiques et de la société civile actifs dans le Hirak, autour d’une feuille de route commune. La dissolution de cette association emblématique, née après les événements d’octobre 1988 vise selon son président, à « faire taire toute voix discordante, et toute expression libre ». Rencontre avec Abdelouahab Fersaoui.
Le RAJ vient d’être dissous, après vingt-huit ans d’activité. Pourquoi aujourd’hui ?
Le Rassemblement actions jeunesse gêne aujourd’hui plus qu’avant eu égard au travail mené sur le terrain pendant le Hirak. Notre association s’est impliquée dans cette dynamique aux côtés des millions d’Algériens, sortis dans la rue en février 2019 pour revendiquer le changement de manière pacifique.
Aujourd’hui, des partis politiques sont menacés de dissolution, des sites internet sont censurés
Le RAJ a exercé son mandat en tant que force de proposition, d’action, de rassemblement et même de médiation dans la société. Et ce, au moment où certains partis politiques, syndicats, associations et des journalistes n’ont pas joué leur rôle dans ce contexte historique.
Quand avez-vous senti que l’étau se resserrait autour de votre association ?
Le RAJ a été ciblé par les autorités de manière progressive. Toutes les activités ordinaires du RAJ pendant le Hirak ont été interdites, à l’instar de l’université d’été et les forums-débats. Ensuite, il y a eu des poursuites judiciaires engagées contre les militants. Nous avons exactement onze militants qui sont poursuivis en justice et neuf ont fait de la prison pour avoir exprimé une opinion.
L’objectif recherché derrière la dissolution de RAJ est de casser la dynamique du mouvement associatif et faire taire toute voix discordante, et toute expression libre. Sa dissolution est intervenue, notons-le, dans un contexte marqué par un recul énorme en matière de libertés démocratiques arrachées grâce à des sacrifices et de nombreuses luttes depuis l’indépendance – notamment la révolte d’octobre 1988 qui s’est soldée par des acquis démocratiques très chèrement payés. Aujourd’hui, des partis politiques sont menacés de dissolution, des sites internet sont censurés. L’Algérie comptabilise une centaine de détenus d’opinion…
La défense compte faire appel devant le Conseil d’État et introduire parallèlement une action séparée pour surseoir à la décision de dissolution. Vous attendez-vous à une issue favorable ?
La requête de dissolution introduite par le ministère de l’Intérieur auprès de la justice s’appuie sur les activités ordinaires et publiques que notre association a organisées notamment durant le Hirak.
Pour nous, ces activités correspondent aux principes fondateurs de RAJ et ne sont pas en contradiction avec la loi régissant le mouvement associatif 12-06. Aussi, ces activités répondent au contexte historique que nous vivons en tant que peuple, pays et mouvement associatif. Nous allons respecter le cadre légal et suivre la procédure judiciaire.
Lorsqu’en 2012 les autorités ont décrété la loi 12-06, nous l’avons contestée, à l’instar de nombreuses associations, parce que nous avons considéré qu’elle était liberticide et scélérate. Mais malgré cela, nous avons déposé un dossier de conformité dans les délais.
Le RAJ représente l’un des rares acquis démocratiques qui restent
Nous respectons les lois de la république même si parfois elles ne répondent pas aux aspirations du mouvement associatif. Nous espérons que le Conseil d’État va annuler la décision de dissolution, partant du principe que le RAJ n’a fait que son devoir durant ses vingt-huit ans d’existence dans l’intérêt des jeunes et pour la citoyenneté et la démocratie en Algérie.
Que pèse aujourd’hui le RAJ ?
L’Algérie a connu en 1989 la naissance du pluralisme politique, mais ce n’était qu’une façade démocratique pour le pouvoir. Les formations politiques, les syndicats et les associations qui adhèrent à la politique officielle du gouvernement et du régime bénéficient de toutes les facilités et de tous les moyens.
De l’autre côté, les formations politiques d’opposition, les syndicats et les associations ainsi que les journaux qui ont décidé de conserver leur autonomie d’action, de réflexion et d’initiatives subissent des restrictions, des pressions et des entraves.
Le RAJ a résisté à ce rouleau compresseur, en étant loyal à ses principes fondateurs. Aujourd’hui, il représente, surtout au vu du faible nombre d’associations au niveau national, l’un des rares acquis démocratiques qui restent.
Comment appréhendez-vous désormais l’avenir du mouvement associatif ?
Sa poursuite judiciaire suivie de sa dissolution a suscité une indignation au niveau national et international parce que notre association est connue sur le terrain. S’attaquer à une association comme le RAJ constitue une menace pour le mouvement associatif autonome et la liberté d’association garantie par la Constitution et consacrée dans différentes conventions ratifiées par l’Algérie.
Le changement ne peut pas être l’œuvre d’un président, d’un gouvernement ou du régime tout seul
À travers les réactions des partis politiques, des associations, de militants choqués par cette décision, nous avons constaté que personne ne s’attendait à ce que les autorités poussent la répression aussi loin.
La rue et le système s’ignorent mutuellement. Comment sortir de l’impasse ?
Nous sommes effectivement dans l’impasse mais la balle est dans le camp du pouvoir en place. La demande du peuple algérien est claire. Il y a beaucoup d’initiatives de la part des partis politiques et de la société civile pour amorcer une véritable mutation.
Le pouvoir doit accepter en urgence le principe d’un dialogue avec toutes les forces et tous les Algériens qui peuvent contribuer à ce changement. Un changement qui ne peut pas être l’œuvre d’un président, d’un gouvernement ou du régime tout seul.
Le Hirak est-il toujours d’actualité ?
Le Hirak est une opportunité pour mettre le pays sur les rails démocratiques. C’est un mouvement qui a rassemblé des millions d’Algériens, hommes et femmes de tous âges, qui a touché toutes les sensibilités autour d’un seul objectif : le changement pacifique. Malheureusement, le pouvoir en place n’a pas souhaité saisir cette opportunité historique pour poser les premiers jalons d’une véritable démocratie.
Il a opté pour le replâtrage politique, la fuite en avant et le fait accompli. Cela ne peut qu’aggraver la crise, qui est déjà profonde, et élargir le fossé entre gouvernants et gouvernés. Le Hirak est toujours une opportunité. Ce n’est pas trop tard. Les Algériens ont tendu leur main de manière responsable et sage pour un changement apaisé et pacifique.
Et si le statu quo persiste ?
On ne l’espère pas. Une chose est sûre, les Algériens vont continuer à militer de manière pacifique pour leurs droits et leurs libertés. Cette lutte n’a pas commencé en février 2019 mais à l’époque de l’indépendance, en passant par des étapes importantes comme le printemps berbère, la révolte d’octobre 1988, le printemps noir en 2001… Le Hirak ne peut être qu’une étape des luttes des Algériens pour reconquérir leur souveraineté.