Politique

17 octobre 1961 : le geste d’Emmanuel Macron peut-il apaiser les tensions avec Alger ?

Emmanuel Macron a commémoré samedi le 60ème anniversaire du 17 octobre 1961, date à laquelle des dizaines de manifestants algériens ont été tués à Paris. Un geste inédit, surtout destiné à « s’adresser à toute la société française», indique l’Élysée.

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Mis à jour le 18 octobre 2021 à 09:40

Emmanuel Macron commémorant les massacres du 17 octobre 1961, sur le pont de Bezons, le 16 octobre 2021. © Elysée

C’est une commémoration inédite de la part d’une présidence française. « Le 17 octobre 1961, une manifestation était organisée à Paris par la Fédération de France du FLN pour protester contre le décret du 5 octobre, interdisant aux seuls Algériens de sortir de chez eux après 20h30. Dans la soirée, malgré l’interdiction de la manifestation, plus de 25 000 hommes, femmes et enfants, se dirigèrent vers différents points de regroupement. La répression fut brutale, violente, sanglante », indique un communiqué de l’Élysée diffusé le 16 octobre.

La publication du texte s’est accompagnée d’une visite du président français Emmanuel Macron sur le pont de Bezons, près de Nanterre, d’où étaient partis ce jour-là de nombreux manifestants algériens. Il y a observé une minute de silence après avoir déposé une gerbe de fleurs.

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Emmanuel Macron a voulu reconnaître l’étendue du massacre dont le nombre de victime tourne autour « de 120 morts » selon les historiens

« Des tirs à balles réelles y ont lieu (sur le pont de Bezons, ndlr) et des corps sont tombés dans la Seine à cet endroit. Il est donc important de marquer l’existence de lieux de mémoire, avec le pont de Bezons, situé sur la commune de Colombes », fait-on valoir du côté de l’Élysée.

« Une démarche qui nous appartient »

Après les déclarations d’Emmanuel Macron, le 30 septembre dernier, sur « la rente mémorielle » exploitée par le régime et la réaction algérienne, cette avancée importante dans la mémoire de la guerre d’Algérie peut-elle détendre les relations entre la France et l’Algérie ?

Une source élyséenne se veut néanmoins prudente. « Cette commémoration est une démarche qui nous appartient », explique-t-elle. « Notre expérience nous enseigne aussi que quelque soit la qualité des gestes (envers cette mémoire, ndlr), ce n’est jamais assez. » Emmanuel Macron n’a pas prononcé de discours à l’occasion de ce geste.

Si le pont Saint Michel reste étroitement associé à l’événement – grâce à la fameuse photo d’Elie Kagan – « Ici on noie des Algériens » -, d’autres comme celui de Gennevilliers, Neuilly-sur-Seine, ou Bezons ont été des points de convergence importants.

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Emmanuel Macron a voulu reconnaître l’étendue du massacre dont le nombre de victime tourne autour « de 120 morts », selon les historiens. Un bilan bien loin donc de celui avancé par le préfet de police de l’époque, Maurice Papon. Dans un communiqué publié le 18 octobre 1961, les autorités avaient évoqué deux morts. Le communiqué élyséen n’avance pas de chiffre précis, évoquant « de nombreux blessés » et « plusieurs dizaines de morts ».

Nouveau jalon de la politique mémorielle

Concernant la date, Emmanuel Macron, là également, reste dans un message tacite, censé rappeler la dimension systémique de cet épisode. « La répression de la manifestation du 17 octobre 1961 s’inscrit dans une séquence violente qui a duré de septembre à octobre 1961. Et les manifestations se sont poursuivies après le 17 octobre, notamment avec celle des femmes, qui protestaient contre la répression le 20 octobre. »

L’Élysée explique aussi que le président ne « souhaitait pas se substituer aux différentes commémorations », habituelles organisées traditionnellement le 17 octobre. En suivant l’une des préconisations du rapport de Benjamin Stora, Emmanuel Macron poursuit donc ses avancées sur le chantier si périlleux de la mémoire de la guerre d’Algérie.

Pour l’Élysée, il s’agit surtout de « s’adresser à toute la société française »

Après l’annonce du projet de loi de réparation envers les harkis, la commémoration officielle du 17 octobre 1961 constitue un nouveau jalon de sa politique mémorielle.

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En mars 2022, devrait intervenir la dernière séquence avec les 60 ans des Accords d’Evian. Or, s’il semble bien décidé à honorer ses engagements, Emmanuel Macron peut-il réussir cette « réconciliation des mémoires » ? Avec huit millions de citoyens liés de près ou de loin à la guerre d’Algérie, il s’agit bien là d’un ressort essentiel de la cohésion nationale.

Mémoires mêlées, récit commun ?

Fait notable -, l’Élysée « a invité l’ensemble des parties prenantes de cette histoire » à l’occasion de cette commémoration. Descendants des victimes de la répression du 17 octobre et plus globalement d’indépendantistes comme les petits-enfants d’Ali Boumendjel, citoyens engagés dans la reconnaissance mais aussi enfants de harkis, de rapatriés, d’appelés, de militaires ou de représentants des forces de l’ordre. Pour l’Élysée, il s’agit surtout de « s’adresser à toute la société française ».

Le geste du président français n’a pas nécessairement vocation à apaiser les tensions diplomatiques avec Alger

Peut-être, aussi, d’enrober l’horreur de cette nuit dans le récit national. Certains s’attardent sur une phrase du communiqué – « (Emmanuel Macron) a reconnu les faits : les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République » – y voyant un moyen de ne pas reconnaître formellement la responsabilité de l’État français.

À première vue, le geste du président français n’a pas nécessairement vocation à apaiser les tensions diplomatiques avec Alger, survenues après la décision de Paris de réduire de moitié le nombre de visas délivrés aux ressortissants algériens, et aggravées par les propos du président français sur le « système politico-militaire » algérien le 30 septembre.

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Dans un message diffusé le jour même de la cérémonie sur le pont de Bezons, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a fait part de son « souci ferme de traiter les dossiers de l’Histoire et de la Mémoire, sans complaisances, ni compromissions et avec le sens aigu des responsabilités que requiert le traitement impartial et intègre, loin des engouements et de la prédominance de la pensée colonialiste arrogante sur des lobbies incapables de s’affranchir eux-mêmes de leur extrémisme chronique. »

Bien qu’inédite, cette commémoration et l’entrelacement des mémoires montre, en creux, la difficulté pour l’État français de faire exister la mémoire du 17 octobre pour ce qu’elle est. C’est-à-dire l’expression visible et sanglante du système colonial français, au cœur de la capitale.

Si l’Élysée se garde bien de pronostiquer les chantiers à venir du – probable – second quinquennat d’Emmanuel Macron, il lui sera difficile d’échapper à la période 1830-1954. « Le candidat Macron avait tenu des propos à ce sujet qu’il assume. Il y a eu la restitution des crânes », rappelle l’Élysée. Et d’insister : « c’est un travail qui s’inscrit dans le temps ». Tout commence, donc.