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La forte congestion et la cherté des logements à Abidjan – la capitale économique – ont favorisé un boom immobilier dans ses banlieues. Bingerville, l’ancienne capitale (1900-1933), bénéficie de ce développement né de la croissance économique soutenue observée au cours des dix dernières années. Une croissance qui a engendré l’émergence d’une classe moyenne saisissant toutes sortes d’opportunités pour acquérir un logement décent. La proximité de cette cité, située à 30 kilomètres du centre-ville d’Abidjan, en fait un endroit prisé par les promoteurs immobiliers et les acquéreurs, au point qu’aujourd’hui ancienne et nouvelle capitale se confondent.
Signalisation et bitumage
Forêts et végétation ont disparu au profit des chantiers à ciel ouvert et de grands terrassements. « Avant, on ne parlait de Bingerville que pour son hôpital psychiatrique. Avec le développement de l’immobilier, tout a changé », explique un habitant de longue date. L’ouverture de l’hôpital Mère-Enfant de la première dame Dominique Ouattara a aussi rendu la cité encore plus attractive. La ville, longtemps confinée autour de l’unique artère qui la traversait de part et d’autre – l’avenue Nampé-Dioulo –, a connu de grandioses extensions. Le bitume cabossé d’autrefois a été remplacé, une « deux fois deux voies » a été construite et quelques rues secondaires ont été reprofilées.
Plusieurs programmes de construction du gouvernement, d’abord annoncés comme des logements sociaux, se sont mués en programmes économiques, voire de haut standing
Une signalisation des voies de la ville a même été réalisée pour mieux guider les nouveaux venus. Mais les anciens repères demeurent, comme le carrefour Bandji, ou la rue Poto-Poto. Ce n’est pas par hasard si le gouvernement a décidé de bâtir un tribunal de première instance, financé par la France à plus de 5 milliards de francs CFA, qui sera le troisième dans le district d’Abidjan après celui du Plateau et celui de Yopougon. Un centre d’observation des mineurs y est prévu.
Désenclavement programmé
La disponibilité foncière, malgré quelques litiges, est une motivation supplémentaire. Plusieurs programmes de construction du gouvernement, d’abord annoncés comme des logements sociaux, se sont mués en programmes économiques, voire de haut standing, excluant une partie de la population à faible revenu. Il s’agit souvent de productions en masse des maisons pilotées par des opérateurs qui ont obtenu des contrats de l’État.
Aux heures de pointe, les résidents vivent un calvaire pour atteindre Abidjan et passent parfois des heures dans les bouchons
Et l’attractivité de Bingerville ne devrait pas se démentir au cours des prochaines années : le gouvernement prévoit plusieurs projets de désenclavement de cette zone, qui est une presqu’île. Un projet de pont est sur la table pour enjamber un bras de la lagune Ébrié et rejoindre Grand-Bassam. Cette infrastructure évitera aux riverains de traverser tout Abidjan pour se rendre à l’aéroport international Félix-Houphouët-Boigny. Un deuxième pont verra le jour pour relier Bingerville à Bonoua, sur la route d’Assinie ; la cité balnéaire du sud-est étant un haut lieu de villégiature, prisé tant par les grosses fortunes que par les cadres supérieurs.
Loyers et acquisitions à des prix abordables
Le boom de l’immobilier est également favorisé par les prix abordables des loyers ou des acquisitions, dont les résultats sont observables dans les quartiers comme Eloka, Adjamé-Bingerville, Marina, Bregbo résidentiel. Les maisons y poussent à un rythme accéléré, parfois à la vitesse de l’éclair. Autre projet d’envergure : la construction d’une infrastructure initiée par le gouvernement en prélude à l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de Football en 2023, dénommée « la voie de contournement », « la Y4 », ou encore « la rocade », qui partira des encablures de l’aéroport d’Abidjan, passera par plusieurs communes et aura une jonction non loin de Bingerville. Un projet financé en partie par la Banque mondiale, et dont les retombées bénéficieront à Bingerville, qui deviendra encore plus attractive.
Car, à l’heure actuelle, et malgré tous les travaux d’infrastructures routières, la ville reste partiellement enclavée. Aux heures de pointe, les résidents vivent un calvaire pour atteindre Abidjan et passent parfois des heures dans les bouchons. La ville continue d’ailleurs de susciter la convoitise des groupes de BTP : actuellement, six promotions immobilières sur dix en cours dans le district d’Abidjan se trouvent à Bingerville.
Malgré la multitude de programmes, rien n’est prévu pour le moment concernant l’implantation de centres commerciaux ou de lieux de loisirs
L’entreprise Opes Holding, fondée par l’homme d’affaires Siriki Sangaré, président de la Chambre nationale des promoteurs et constructeurs agréés de Côte d’Ivoire (CNPC-CI), développe par exemple un projet de 15 000 logements. « Bingerville est une cité pour l’avenir. L’air est encore pur et il n’y a pas d’industrie polluante. Ce sera l’endroit où il faudra être au cours des prochaines années », confie-t-il. Cette explosion de l’immobilier n’a pourtant pas encore atteint les objectifs du gouvernement. Fin septembre, le Premier ministre Patrick Achi a rencontré les promoteurs bénéficiaires des contrats de l’État pour les réalisations des logements, dans le but de faire avec eux un point à mi-parcours et surtout d’évoquer les difficultés du secteur.
« The place to be »
Le développement de l’immobilier présente en effet quelques failles. Malgré la multitude de programmes, rien n’est prévu pour le moment concernant l’implantation de centres commerciaux, qui éviteraient aux résidents de parcourir plusieurs kilomètres pour s’approvisionner. Des lieux de loisirs manquent aussi aux acquéreurs. Issouf Doumbia, le maire de la ville, se veut pourtant confiant : « Bingerville sera bientôt “the place to be”. Des projets de construction de lieux de loisirs, de restauration et de tourisme sont en réflexion, tout le long de la lagune. » Pour le maire, ces transformations permettront à ses concitoyens de ne plus se rendre à Abidjan que pour travailler. Un vrai changement pour celle qui fut longtemps considérée comme une simple cité-dortoir, dont l’unique attraction était le parc botanique et ses nombreuses espèces florales.