L’accusation est lourde. Et le dossier sensible, à l’image du statut de la personne mise en cause. Le 3 mars dernier, lorsque le leader du parti Pastef, arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2019 (avec 15,67 %), est convoqué par la justice dans le cadre d’une accusation de viol avec menace, laissant craindre son placement sous mandat de dépôt, Dakar et plusieurs grandes villes du pays s’embrasent pendant plusieurs jours.
Sept mois plus tard, pourtant, la justice semble faire du surplace. Ousmane Sonko a été placé sous contrôle judiciaire et doit pointer au tribunal de Dakar tous les vendredis. Son passeport lui ayant été confisqué, il ne peut quitter le Sénégal, sauf dérogation expresse du juge. C’est ainsi qu’en mai, il n’avait pu se rendre au Togo où il devait participer aux « états généraux de l’Eco ». L’autorisation lui avait été refusée.
Épée de Damoclès
Alors que des élections locales et législatives se profilent, respectivement en janvier et en juillet 2022, le sort judiciaire d’Ousmane Sonko – et, partant, son destin politique – apparaît plus incertain que jamais. « Tout le monde sait que c’est cousu de fil blanc, analyse El Malick Ndiaye, le secrétaire national à la communication du Pastef. Ils veulent laisser une épée de Damoclès planer au-dessus de sa tête à la veille des scrutins, tout en limitant ses déplacements à l’étranger. »
Début octobre, les avocats de l’homme politique ont adressé une salve de requêtes au juge d’instruction en charge de l’affaire. Ils demandaient conjointement la copie du dossier, dont ils ne disposent toujours pas, l’audition de leur client sur le fond et la levée de son contrôle judiciaire. Mais d’après l’entourage d’Ousmane Sonko, le Parquet n’est apparemment pas pressé de prendre des réquisitions sur ces demandes, ce qui retarde d’autant la décision du magistrat instructeur.
Nous espérons qu’Ousmane Sonko bénéficiera d’un non-lieu avant les élections
« Depuis sa première comparution, Ousmane Sonko n’a plus été convoqué par le juge, ajoute El Malick Ndiaye. Or nous ne voulons pas attendre la tenue des élections pour qu’il soit entendu sur le fond du dossier. Nous espérons qu’il bénéficiera d’un non-lieu avant cette échéance. » L’un des avocats du leader du Pastef, Me Bamba Cissé, estime quant à lui que « depuis mars 2021, l’instruction n’a pas avancé ; elle a même reculé ». Et d’ajouter que « les demandes d’actes formulées par la défense ont, depuis lors, été refusées ». « Il est paradoxal que ce soit la défense qui réclame ainsi d’être jugée au plus vite », souligne-t-il.
Avocat de la jeune Adji Sarr, la victime présumée, son confrère El Hadj Diouf conteste cette version et évoque les tourments vécus par sa cliente depuis le déclenchement de l’affaire : « Elle n’ose plus se rendre au marché. Elle reçoit des menaces émanant de militants pro-Sonko… Moi-même, j’ai eu ma maison brûlée, en mars, durant les émeutes ! Personne n’est plus pressé qu’Adji Sarr de voir cette affaire déboucher sur un procès ».
Aucune confrontation
Depuis que la gendarmerie a transmis les résultats de son enquête préliminaire au juge d’instruction, le 9 février dernier, la procédure stagne donc, en dépit du statut de l’inculpé : chef de parti et député. Une léthargie qui contraste avec la célérité déployée à l’époque pour obtenir la levée d’immunité parlementaire d’Ousmane Sonko, laquelle avait été avalisée par l’Assemblée nationale le 26 février, au terme d’une session plénière mouvementée, organisée à huis clos.
Au cœur de ces lenteurs, d’après nos différents interlocuteurs, la situation chaotique entraînée par le décès, survenu en avril dernier, du doyen des juges d’instruction du tribunal régional de Dakar, Samba Sall. Celui-ci avait hérité du dossier après qu’un autre magistrat, Mamadou Seck, avait préféré se déporter. « Ma première épouse étant d’ethnie diola et originaire de Ziguinchor, je suis habité par la crainte de faillir dans le traitement objectif du dossier, conformément à mon serment », avait confié ce dernier à ses supérieurs, d’après la presse sénégalaise. La Casamance est en effet le bastion électoral d’Ousmane Sonko, qui y a grandi.
Il faudrait être naïf pour imaginer que Macky Sall n’a rien à voir dans la façon dont est géré ce dossier
Depuis avril, l’intérim du juge Samba Sall, qui n’a pas été officiellement remplacé, est assuré par son confrère Abdoulaye Thioune. Mais celui-ci, à en croire les deux parties, garde le pied sur le frein. « Cela nous pénalise de ne pas avoir un juge titulaire sur ce dossier, s’emporte Me Diouf. Jusque-là, Adji Sarr a été entendue sur le fond mais pas Ousmane Sonko. Et aucune confrontation entre les deux n’a pu avoir lieu. » « Nous ne craignons pas le procès mais nous demandons à la justice d’apporter des réponses rapides à nos revendications, affirme quant à lui Me Bamba Cissé. S’ils prétendent disposer d’un dossier d’accusation solide, eh bien, qu’ils accélèrent et aillent jusqu’au jugement ! »
« Je ne défends pas l’impunité de principe des responsables politiques mais il faudrait être naïf pour imaginer que Macky Sall n’a rien à voir dans la façon dont est géré ce dossier« , estime quant à lui un opposant, sous couvert d’anonymat. Pour la défense d’Ousmane Sonko, les lenteurs constatées ne seraient pas exemptes d’arrière-pensées politiques, à quelques mois d’échéances électorales décisives. « Imaginez qu’il soit convoqué à la veille du scrutin ! », s’indigne Me Cissé, qui y voit « la volonté de neutraliser un futur candidat ».