IHS, Helios : les « towercos » africains prennent de la hauteur

Les opérateurs accélèrent l’externalisation de leurs équipements pour se concentrer sur leur cœur de métier : les services. Une aubaine pour les gestionnaires de tours télécoms qui ont enfin convaincu les marchés de la rentabilité de leurs activités sur le territoire africain.

Des travaux de maintenance sur une tour télécoms en Éthiopie. © Helios Towers/2020.

Des travaux de maintenance sur une tour télécoms en Éthiopie. © Helios Towers/2020.

Publié le 17 novembre 2021 Lecture : 5 minutes.

Sur un site d’IHS, au Nigeria. © IHS
Issu du dossier

Les télécoms à l’heure de l’optimisation

Opérateurs, gestionnaires de tours, installateurs de fibre optique… Le secteur des télécoms connaît, à tous les niveaux, un resserrement autour d’un nombre réduit de grands acteurs. Un phénomène de concentration qui permet de réaliser des économies d’échelle, d’optimiser les investissements pour les sauts technologiques et de faire face à la baisse de la profitabilité.

Sommaire

Petite révolution dans le monde des télécoms africains. IHS Towers, premier gestionnaire de tours télécoms (« towerco ») en Afrique, a lancé, depuis son siège nigérian, son introduction à la Bourse de New York, le 4 octobre 2021. Avec des objectifs clairs : lever autour de 380 millions de dollars en produit net et atteindre une valorisation de plus de 7 milliards de dollars, dette comprise. Cela en ferait la plus grosse cotation jamais enregistrée pour une société africaine.

Diversification des portefeuilles

Cette entrée en Bourse survient moins de deux ans après celle de son concurrent Helios Towers, coté à la Bourse de Londres depuis octobre 2019. Les deux towercos avaient tenté leur chance une première fois en 2018, avant de renoncer, notamment à cause de l’instabilité des marchés africains dans lesquels ils opéraient. Aujourd’hui, ils ont diversifié leur portefeuille et jouissent d’une belle croissance.

la suite après cette publicité

IHS possède près de 30 000 tours dans cinq pays d’Afrique (Nigeria, Côte d’Ivoire, Cameroun, Zambie et Rwanda) ainsi qu’au Brésil, au Pérou, en Colombie, au Koweït, et cherche à s’installer en Arabie saoudite et en Égypte. Après une année difficile « à cause du Covid-19 », confie un représentant d’IHS à Jeune Afrique, le leader des towercos en Afrique a enregistré une croissance de 21,2 % de son chiffre d’affaires au second trimestre de 2021.

Le marché africain des télécoms apporte de grandes opportunités de croissance

Helios, troisième sur le continent, est propriétaire de plus de 8 000 tours en Tanzanie, en RDC, au Ghana, au Congo, en Afrique du Sud, au Sénégal, à Oman, et explore une expansion dans neuf nouveaux pays africains, notamment au Maroc, en Égypte et à Madagascar. La société a enregistré une croissance de 4 % de son chiffre d’affaires lors du premier semestre de 2021.

Hausse du mobile money

« Le marché africain des télécoms apporte de grandes opportunités de croissance, avec une population importante et en hausse, une adoption des smartphones qui demeure basse mais qui croît à une vitesse record, notamment avec l’usage de services numériques comme le mobile money », indique Dion Bate, spécialiste des télécoms de la zone Afrique et Moyen-Orient chez Moody’s. Cette croissance est indiscutable chez les opérateurs africains : le chiffre d’affaires d’Airtel à grimpé de 19 % en 2020, celui de MTN de 10,9 % et celui de Vodacom de 7,4 % selon Moody’s.

Pourtant, ces bons résultats ne s’appuient plus sur les revenus liés à la voix (VoIP), mais bien à une plus grande pénétration d’internet sur le continent. Les opérateurs africains, encore détenteurs de près de 60 % des tours de télécommunications du continent, préfèrent désormais se concentrer sur leur cœur de métier, les services numériques, et tendent à externaliser la gestion de ces infrastructures passives.

la suite après cette publicité

Cette pratique est largement adoptée aux États-Unis, où 90 % des tours appartiennent à des towercos indépendants, selon le cabinet EY, mais aussi en Amérique latine (55 %) et en Inde (52 %). « Elle a commencé à être adoptée en Afrique à l’arrivée de l’indien Bharti Airtel sur le continent il y a dix ans », rappelle Thecla Mbongue, analyste pour le cabinet Omdia.

Airtel n’a pas externalisé toutes ses infrastructures par peur de la concurrence et du manque de régulation

En confiant la gestion des infrastructures télécoms passives à des sociétés indépendantes, les opérateurs se délestent des coûts de maintenance. Le towerco, de son côté, loue l’accès à sa tour, non plus au seul opérateur qui la lui a vendue, mais à plusieurs, mutualisant ces mêmes coûts. En théorie, tout le monde y gagne.

la suite après cette publicité

« On pensait qu’Airtel allait externaliser toutes ses infrastructures », poursuit l’analyste. « Le manque de régulation dans certains pays et la peur de la concurrence » en a décidé autrement pour la firme indienne, qui gère certaines de ses infrastructures africaines en interne. Pour Thecla Mbongue, l’externalisation des infrastructures télécoms a stagné un temps en Afrique, avant de gagner un nouvel élan ces trois dernières années.

Booster la transition énergétique

MTN a joué un rôle majeur dans cette dernière accélération : l’opérateur revend actuellement ses infrastructures télécoms à tour de bras, notamment en Afrique du Sud. Il compte aussi profiter de l’entrée en Bourse d’IHS pour réduire ses parts dans l’entreprise, de l’ordre de 29 %, pour les réinvestir dans les services numériques.

Orange, Airtel, Millicom, Vodacom, et d’autres lui emboîtent le pas. Parfois, cette externalisation prend la forme de consortiums constitués d’un towerco et d’un ou plusieurs opérateurs. IHS vient de signer un accord de ce type avec Egypt Telecom, donnant naissance à IHS Telecom Egypt, le 6 octobre 2021. D’autres encore décident, non pas de confier la gestion de leurs infrastructures à une autre société, mais de créer une filiale dédiée. C’est le cas du sud-africain Telkom avec Gyro Group. Cette stratégie pourrait aussi être celle de Vodacom, qui imiterait ainsi sa maison mère Vodafone, qui a créé Vantage Towers en 2019 à cet effet, selon le site TowerXchange.

La concentration du marché a toutes les chances de s’accélérer

En échange de cette délégation des tâches, et toujours dans une optique de moderniser les réseaux, les opérateurs télécoms africains réclament aux towercos des économies d’échelle. D’autant plus qu’ils subissent « une pression accrue des gouvernements à développer des réseaux dans des zones reculées, souvent jugées comme non rentables », ajoute Thecla Mbongue. Ainsi, le marché des towercos tend à se concentrer sur trois acteurs : IHS, pionnier sur le continent, American Tower, qui a notamment racheté le panafricain Eaton Towers en 2019, et Helios Towers, qui a acquis le sud-africain SA Towers la même année. Le reste des towercos africains est constitué d’Africa Mobile Networks, Pan African Towers, Infratel, l’américain SBA Communications, qui a racheté Atlas Towers, acteur majeur en Afrique du Sud, et une poignée de towercos nationaux.

« Cette concentration du marché a toutes les chances de s’accélérer à l’avenir car elle est favorisée par l’adoption de la 4G et, à plus long terme, de la 5G. Cette dernière devrait demander aux towercos de densifier leur parc, en installant en plus de plus en plus de small cells [petites infrastructures radio pour une meilleure couverture des réseaux de dernière génération].

Par ailleurs, les opérateurs demandent de booster la transition énergétique des towercos vers des énergies plus vertes », juge Sola Lawson, directeur d’African Infrastructure Investment Managers (AIIM), actionnaire d’IHS Towers. Avant de conclure : « La pandémie que nous venons de vivre a prouvé la résilience des infrastructures télécoms. » À charge pour IHS, Helios et consorts, de transformer l’essai et de prouver que leur modèle permet à l’Afrique de rattraper son retard de connectivité.

L'eco du jour.

Chaque semaine, recevez le meilleur de l’actualité africaine.

Image

Dans le même dossier