Dawit Isaak, Abdulhadi Al Khawaja… Les défenseurs des droits humains ne sont pas des terroristes

Certains États membres de l’ONU s’abritent derrière la lutte contre le terrorisme pour détenir arbitrairement des défenseurs des droits humains, au mépris des traités internationaux qu’ils ont pourtant signés.

Dawit Isaak, détenu en Érythrée depuis 2001. The Swedish journalist, Dawit Isaak, who has been imprisoned in Eritrea since 2001.
© KALLE AHLSEN/TT NEWS AGENCY/AFP

Dawit Isaak, détenu en Érythrée depuis 2001. The Swedish journalist, Dawit Isaak, who has been imprisoned in Eritrea since 2001. © KALLE AHLSEN/TT NEWS AGENCY/AFP

Mary Lawlor, rapporteuse spéciale aux Nations unies
  • Mary Lawlor

    Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits humains

Publié le 14 octobre 2021 Lecture : 4 minutes.

Depuis vingt ans, Dawit Isaak est emprisonné en Érythrée, uniquement, semble-t-il, parce que le journal pour lequel il travaillait a relayé des appels au dialogue démocratique pacifique et à l’organisation d’élections dans cet État à parti unique. Nous ignorons toujours quelles infractions il est supposé avoir commises et il n’a jamais bénéficié du moindre procès. Nous savons qu’il a été torturé et qu’il est détenu au secret dans une prison isolée réputée pour ses terribles conditions de vie.

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Fausses accusations de « terrorisme »

Cet Érythréo-suédois fait partie d’un nombre indéterminé de défenseurs des droits humains à travers le monde qui sont maintenus en détention pour avoir défendu pacifiquement les droits d’autres personnes. C’est le cas aussi de la militante Lodkham Thammavong, reconnue coupable notamment de « trahison envers la nation, propagande contre l’État et rassemblements susceptibles de provoquer des troubles sociaux » et condamnée à douze ans de prison en 2017 à l’issue d’un procès inique au Laos. Elle avait manifesté pacifiquement en Thaïlande pour dénoncer les atteintes aux droits humains dans son pays d’origine et avait été arrêtée peu après son retour chez elle. Privés de leur droit à une assistance juridique, ils auraient été contraints, elle et ses coprévenus, de faire des « aveux » puis de s’excuser sur une chaîne de télévision nationale.

La véritable ampleur de ce problème est inconnue, mais on sait que, sur tous les continents, des centaines de défenseurs des droits humains purgent de longues peines d’emprisonnement – d’au moins dix ans. Célèbres ou relativement peu connus, ils sont généralement condamnés sur la base de fausses accusations de « terrorisme » ou de « trahison » à l’issue de procès inéquitables. Nombreux sont ceux qui, forcés d’avouer des infractions qu’ils n’ont pas commises, sont détenus dans des conditions déplorables et privés de contacts réguliers avec leurs proches, alors même qu’ils encourent parfois la peine de mort. Certains développent des maladies mais n’ont pas accès à des soins médicaux adaptés. Ils se sentent oubliés ou abandonnés. À l’instar du Camerounais Samuel Ajiekah Abuwe, quelques uns sont morts en prison avant même d’avoir été condamnés.

Enfoncés dans le déni

Cette semaine, j’ai présenté à l’Assemblée générale des Nations unies le rapport States in Denial: The Long Term Detention of Human Rights Defenders traitant de cette pratique, assez ancienne et très répandue, qui vise à réduire au silence les défenseurs des droits humains. J’ai demandé publiquement aux États membres de l’ONU pourquoi tous – y compris certains siégeant au Conseil des droits de l’Homme – nient y avoir recours.

L’emprisonnement de défenseurs des droits humains est une limite qu’aucun État ne devrait franchir

Lorsque j’évoque le cas de ces prisonniers avec les autorités de leur pays ou leurs représentants, on me répond souvent que l’individu dont je parle n’est pas un militant mais un terroriste. Mais je connais la différence. C’est justement en raison de mes dizaines d’années d’expérience dans ce domaine que les Nations unies m’ont nommée rapporteuse spéciale pour les aider à déterminer qui est, et qui n’est pas, défenseur des droits humains.

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Il arrive que le cas d’un défenseur arrêté ou condamné suscite une vague d’indignations ou une forte mobilisation, engendrant une large couverture médiatique ainsi qu’une vaste campagne internationale. Amnesty International et d’autres ONG présentent des éléments détaillés et irréfutables concernant des militants des droits humains et mobilisent d’importantes ressources pour tenter d’obtenir leur libération. Cependant, même pour les plus connus, l’attention finit par se détourner au fil du temps, pour se porter sur de nouveaux cas.

Pratiques immorales et illégales

Les appareils judiciaires corrompus, la torture, les lois définies en de termes vagues et les procès iniques permettent ces condamnations. Mais la raison fondamentale pour laquelle ces personnes sont maintenues en détention pendant de longues périodes est que les autorités veulent et peuvent les mettre derrière les barreaux. L’emprisonnement de défenseurs des droits humains est pourtant une limite qu’aucun État ne devrait franchir.

Ces activistes doivent être libérés immédiatement et sans conditions

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Cette semaine, j’ai rappelé aux États membres de l’ONU que cette pratique est immorale, illégale, inexcusable et indigne, qu’elle révèle leur manque de résolution à appliquer les normes internationales qu’ils se sont engagés à respecter et qu’elle met sérieusement en doute leur intention de se conformer aux traités internationaux qu’ils ont signés.

Malheureusement, les efforts de la Suède pour tenter d’obtenir la libération de son ressortissant Dawit Isaak n’ont pas été assez vigoureux. Le gouvernement danois n’a pas non plus fait suffisamment pression pour obtenir celle d’Abdulhadi Al Khawaja, défenseur des droits humains et citoyen danois condamné à la réclusion à perpétuité à Bahreïn après avoir été torturé et reconnu coupable au terme d’un procès inique mené sur la base d’accusations de terrorisme montées de toutes pièces.

Je continuerai de mettre en avant ces cas et beaucoup d’autres, en Iran et en Chine, au Vietnam et en Égypte, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, en Turquie et au Bélarus ou encore au Honduras… Les États préféreront peut-être rester dans le déni sur ce qu’ils font, mais je leur rappellerai quand même qu’ils doivent libérer tous les défenseurs des droits humains qu’ils détiennent, immédiatement et sans conditions.

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