La relation entre Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron n’a pas démarré sous les meilleurs auspices.
Au plus fort du mouvement de contestation du hirak, qui réclamait le report du scrutin présidentiel, Emmanuel Macron prenait acte avec une certaine tiédeur de l’élection de son homologue algérien en décembre 2019.
« J’ai pris note de l’annonce officielle que Monsieur Tebboune a remporté l’élection présidentielle algérienne dès le premier tour », communique alors la présidence française le 12 décembre.
« Concernant le président français, je ne lui répondrai pas. Il est libre de vendre la marchandise qu’il veut dans son pays, mais moi j’ai été élu par le peuple algérien et je ne reconnais que le peuple algérien », réagira quelques jours plus tard Abdelmadjid Tebboune.
Le 17 décembre, au cours d’un entretien téléphonique, le président français rectifie le tir et adresse de « chaleureuses félicitations » au président algérien.
Partie sur de mauvaises bases, la relation va peu à peu s’apaiser au fil des mois, notamment après « un long appel téléphonique » entre les deux présidents le 18 mars 2020 au cours duquel Emmanuel Macron invite son homologue pour une visite d’État en France. Également au menu de la discussion : les crises du Sahel et de la Libye.
La question mémorielle
« Le président de la République a accueilli favorablement cette invitation et promis de l’effectuer dès l’amélioration de la situation », indiquait alors l’agence de presse officielle algérienne (APS).
Commence alors une période de lune de miel entre les deux présidents, ponctuée d’entretiens téléphoniques réguliers. À peine sera-t-elle troublée par la diffusion, fin mai 2020, d’un documentaire sur France 5 consacré au hirak – « Algérie mon amour » –, qui provoquera l’irritation passagère des autorités algériennes.
Après un nouveau coup de fil entre les deux chefs d’État, le président algérien affirme même que leur « entente est presque parfaite » en juin 2020.
La relation semble si bonne que, lors d’un nouvel appel entre les deux hommes, le 9 juillet 2020, c’est l’épineuse question mémorielle qui est abordée. C’est aussi elle qui mettra le feu aux poudres près d’un an plus tard.
« L’entretien […] a permis aux deux présidents de passer en revue un certain nombre de questions […], notamment celles liées à la mémoire et au centre desquelles s’est retrouvée celle de la restitution, le 3 juillet dernier, des restes de vingt-quatre combattants de la résistance algérienne comme de ceux qui demeurent encore à rapatrier et du besoin de travailler à la réconciliation des mémoires des peuples des deux pays », explique alors la présidence algérienne.
Tebboune estime que son homologue français s’est montré « honnête » et « propre » sur le passé colonial
Le 25 juillet 2020, Emmanuel Macron confie une mission à l’historien spécialiste de l’Algérie Benjamin Stora, qu’il charge de rédiger un rapport sur la question de la mémoire entre les deux pays.
Pour le président français, « il importe que l’histoire de la guerre d’Algérie soit connue et regardée avec lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris ».
Côté algérien, c’est l’historien Abdelmadjid Chikhi, connu pour être un « dur » sur la question de la guerre d’Algérie, qui est désigné pour la même mission.
Lors d’une interview donnée à France 24, Abdelmadjid Tebboune estime que son homologue français s’est montré « honnête » et « propre » sur le passé colonial.
L’interview à JA
Le président Tebboune atteint du Covid-19 début novembre 2021, la relation se met quelque peu en veilleuse pour quelques mois.
Mais Emmanuel Macron, dans les colonnes de JA, apporte un appui chaleureux au président algérien, alors hospitalisé.
« Je ferai tout ce qui est en mon possible pour aider le président Tebboune dans cette période de transition. Il est courageux. On ne change pas un pays, des institutions et des structures de pouvoir en quelques mois. […] Il faut tout faire pour que cette transition réussisse. »
Des propos qui provoquent un tollé en Algérie, les uns estimant que le président français est allé trop loin dans le soutien au pouvoir, les autres interprétant ses paroles comme une tentative d’ingérence dans les affaires algériennes.
« J’ai, à chaque fois, un dialogue de vérité avec le président, mais je ne suis jamais dans l’invective ni dans la posture du donneur de leçons », confiera également Emmanuel Macron à JA.
Début novembre, c’est le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin qui se rend à Alger pour parler immigration et reconduites à la frontière.
Il déposera également une gerbe tricolore devant le mémorial des martyrs du FLN, un geste qui suscitera la colère de la droite française. Immigration et mémoire : les ingrédients de la crise à venir sont déjà réunis lors de ce voyage passé relativement inaperçu.
Le président algérien est de retour à Alger en février 2021 après plusieurs semaines de convalescence en Allemagne. Entre temps, Benjamin Stora a remis son rapport sur la mémoire au président français.
Le 2 mars, recevant les petits-enfants d’Ali Boumendjel, militant indépendantiste tué pendant la guerre d’indépendance, Emmanuel Macron reconnaît que l’avocat a été torturé et tué par l’armée française. Une initiative chaleureusement saluée à Alger.
La relance des relations franco-algériennes semble plus concrète que jamais. C’est pourtant à partir de ce moment que le dialogue dérape.
« Ennemi traditionnel et éternel »
C’est par le ministre algérien du Travail que le scandale arrive, le 8 avril 2021. Dans une tentative de justifier le déficit des caisses de retraite, El Hachemi Djaâboub dresse un parallèle inattendu avec la France.
« Toutes les caisses de retraite dans le monde souffrent, martèle-t-il. Je peux donner quelques chiffres qu’on peut vérifier sur internet : notre ennemi traditionnel et éternel, la France, accuse un déficit de 44,4 milliards d’euros dans sa caisse des retraites. »
La France coloniale a œuvré pour répandre l’analphabétisme en Algérie », affirme Abdelmadjid Chikhi
Colère de Macron, qui juge la formule « inacceptable » dans les colonnes du Figaro.
L’annonce presque concomitante de la création d’un comité local de La République en Marche (LaREM) – le parti du président français – à Dakhla, en territoire sahraoui, n’est pas pour réchauffer la relation.
La visite à Alger du Premier ministre français Jean Castex, prévue le 11 avril, est reportée sine die, officiellement pour cause de crise sanitaire.
La diplomatie algérienne continue pourtant d’évoquer des « relations excellentes » entre les deux pays. Mais le ver est dans le fruit.
Les commentaires peu amènes d’Abdelmadjid Chikhi à l’encontre du rapport de Benjamin Stora, qualifié de « franco-français », n’arrangent pas les choses.
« La France coloniale a œuvré pour répandre l’analphabétisme en Algérie », renchérit l’historien algérien. Lequel n’a, à ce jour, toujours pas fourni son propre rapport.
Pourtant, la relation entre les deux présidents semble, dans un premier temps, préservée.
« Ce que nous voulons, c’est une mémoire apaisée, reconnue. Qu’on sorte de cette fable de l’Algérie « terra nullius » [territoire sans maître] où la colonisation aurait apporté la civilisation », explique le président algérien dans les pages du Point en juin 2021.
Avant de poursuivre : « Tout cela ne concerne pas la génération du président Macron, ni celle de certains intellectuels français, qui sont irréprochables, mais reconnaître ces faits est important. »
Quelque peu mise de côté, la question migratoire entre les deux pays va refaire surface avec la perspective de l’élection présidentielle française de 2022 et la percée d’une extrême droite qui ne s’est jamais aussi bien portée.
Presque un an après la visite du ministre français de l’Intérieur à Alger, Paris estime ne pas avoir été entendu, notamment sur le problème des reconduites à la frontière.
« Emmanuel Macron a donc demandé aux services consulaires du Quai d’Orsay de délivrer pour les six prochains mois 31 500 visas maximum [pour les ressortissants du Maghreb], soit une division par deux », indique, le 28 septembre, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal.
Macron met le feu aux poudres
Amar Belani, envoyé spécial chargé de la cause du Sahara occidental et des pays du Maghreb arabe d’Abdelmadjid Tebboune, réagit en jugeant cette décision « disproportionnée ».
Le 30 septembre, le président français, à l’occasion d’une rencontre à l’Élysée avec des jeunes issus de familles qui ont intimement connu la guerre d’indépendance, commente la décision en ces termes : « On va s’attacher à ce que les étudiants et le monde économique puissent le garder [le visa]. On va plutôt ennuyer les gens qui sont dans le milieu dirigeant, qui avaient l’habitude de demander des visas facilement. »
L’explication a le don de jeter de l’huile sur le feu. D’autant que le chef de l’État ne prend pas non plus de pincettes avec le souverainisme sourcilleux de l’Algérie, s’interrogeant également sur l’existence « d’une nation algérienne avant la colonisation française ».
Ne nous mélangez pas avec d’autres pays », tempête Tebboune contre le président français
L’ambassadeur algérien à Paris est aussitôt rappelé, et l’espace aérien algérien fermé aux avions militaires français.
Le 5 octobre, Emmanuel Macron joue l’apaisement en évoquant des « relations vraiment cordiales avec le président Tebboune ».
Mais ce dernier ne l’entend pas de cette oreille. Dans une interview du 10 octobre, il qualifie de « gros mensonge » les chiffres avancés par Gérald Darmanin sur le nombre d’Algériens en attente d’être expulsés.
« Ne nous mélangez pas avec d’autres pays », tempête-t-il contre le président français. Exigeant le « respect total de l’État algérien », Tebboune invite Macron à « oublier que l’Algérie était une colonie française. » « L’Algérie est forte avec son armée et son peuple qui ne se soumet qu’à Dieu », a-t-il notamment affirmé.