Algérie-France : y avait-il une nation algérienne avant la colonisation française ?

Les propos d’Emmanuel Macron sur l’existence d’une « nation algérienne » avant la colonisation française ont ravivé les tensions entre Alger et Paris. Éléments de réponse à une question sensible avec l’historien Tramor Quemeneur.

Le président français Emmanuel Macron à l’Hôtel des Invalides, à Paris, le 29 septembre 2021. © Eliot Blondet/POOL/REA

Le président français Emmanuel Macron à l’Hôtel des Invalides, à Paris, le 29 septembre 2021. © Eliot Blondet/POOL/REA

Publié le 9 octobre 2021 Lecture : 4 minutes.

Le torchon brûle entre Alger et Paris. La décision française de réduire de moitié le nombre de visas accordés aux ressortissants du Maghreb a mis le feu aux poudres, avant que les propos d’Emmanuel Macron sur l’histoire de l’Algérie n’aggravent un peu plus la brouille.

Après un discours dans lequel il « demande pardon » aux harkis et annonce une loi de « reconnaissance et de réparations », Emmanuel Macron a reçu, le 30 septembre, dix-huit jeunes issus de familles qui ont vécu dans leur chair la guerre d’Algérie (harkis, pieds noirs, appelés et même militants du FLN).

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Lors d’un échange avec l’un d’entre eux, le président Macron s’est interrogé, rapporte le journal Le Monde, sur l’existence d’une « nation algérienne avant la colonisation française ». Fureur d’Alger, qui a rappelé son ambassadeur et interdit le survol de son territoire par des avions militaires français dans le cadre des opérations antiterroristes dans le Sahel.

Sujet sensible s’il en est, l’existence d’une nation algérienne avant 1830 est aujourd’hui une question débattue par les historiens. Jeune Afrique est donc allé à la rencontre de Tramor Quemeneur, historien de la guerre d’Algérie et membre du conseil d’orientation du Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI), à Paris.

Jeune Afrique : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? » s’est interrogé Emmanuel Macron, qui a également évoqué les « précédentes colonisations », notamment ottomane. Que dit l’histoire à ce sujet ?

Tramor Quemeneur : Lors de la période ottomane de l’Algérie, on pouvait déjà observer une sorte d’autonomie, ou plutôt plusieurs territoires autonomes, le pays étant fragmenté.

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La conquête de l’Algérie par les frères Barberousse avait donné lieu à une organisation politique très différente de celle mise en place par la colonisation française.

La particularité de la conception ottomane de la conquête s’est traduite par la grande autonomie accordée à la Régence d’Alger et à son chef, le dey

La particularité de la conception ottomane de la conquête s’est traduite par la grande autonomie accordée à la Régence d’Alger et à son chef, le dey, ainsi qu’aux beylicats, provinces constituées autour de ce qui correspond aujourd’hui à de grandes villes, comme Alger ou Constantine.

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L’armée ottomane est restée sur place et exerçait un pouvoir autoritaire, tout en entretenant des relations étroites avec les peuples autonomes. Des mariages mixtes est née la caste des Kouloughlis, qui représentaient cette population métisse algéro-ottomane, laquelle restait néanmoins méprisée.

La présence ottomane reposait en fait sur une sorte d’accord précaire entre les deux parties. L’empire ottoman prélevait un impôt en échange duquel il assurait la sécurité de la zone.

C’est d’ailleurs la population vivant sur le territoire constituant l’Algérie actuelle qui avait appelé à la rescousse les frères Barberousse, au moment où les forces espagnoles commençaient à prendre possession des zones côtières.

Cette autonomie, relativement importante, a permis à la Régence d’Alger d’avoir une diplomatie et d’entretenir des liens directs avec d’autres puissances, dont la France, qui avait donc des relations bilatérales avec Alger.

Les travaux sur l’histoire de l’Algérie avant la colonisation française sont relativement peu nombreux. Comment l’expliquez-vous ?

Ce n’est pas encore un terrain de recherche très fouillé. Il existe bien des travaux classiques, comme ceux de Charles-André Julien par exemple. Gilbert Meynier est, lui, revenu sur l’histoire de l’Algérie sur la longue durée, mais il n’a pas pu aller jusqu’au bout de ses recherches et n’a pu étudier que la partie la plus ancienne de l’histoire de l’Afrique du Nord. Il n’a donc pas abordé la période ottomane. C’est une histoire que l’on découvre, que l’on redécouvre. Il faut bien prendre en compte cette dimension longue.

Il y a relativement peu de recherches sur l’avant 1830 comparé aux nombreux travaux sur la guerre d’Algérie. On commence aujourd’hui à revenir sur la période de la colonisation, nécessaire pour comprendre la guerre d’indépendance.

Je fais partie de cette génération d’historiens qui a commencé par étudier la guerre d’Algérie et qui observe maintenant l’avancée des travaux historiques sur le pays

Que révèlent les tensions actuelles entre la France et l’Algérie sur cette question d’ordre historique ?

Le moindre propos sur l’Algérie peut encore aujourd’hui susciter des levées de bouclier. Ce que l’on peut tirer de cette affaire, c’est qu’elle soulève une question extrêmement sensible.

Il faut se méfier de la susceptibilité feinte de ceux qui, des deux côtés de la Méditerranée, refusent de voir aboutir le processus de rapprochement entre la France et l’Algérie

Mais il faut se méfier de la susceptibilité feinte de ceux qui refusent de voir aboutir le processus de rapprochement entre la France et l’Algérie. Un refus teinté de nationalisme exacerbé que l’on retrouve d’ailleurs des deux côtés de la Méditerranée.

Aujourd’hui, il est nécessaire de faire bouger les choses et de sortir de ce blocage mortifère dont pâtissent en premier lieu les peuples. Il y a des relations fortes entre les deux pays. Des familles sont touchées par ces tensions diplomatiques, essentiellement des familles algériennes ou d’origine algérienne.

Mais l’aspect historique est intrinsèquement lié à la visée politique. Le travail historique algérien aurait tendance à mettre aujourd’hui en avant l’impact ottoman pour renforcer la volonté politique des autorités de se rapprocher de la Turquie d’Erdogan.

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