Brahim Ghali est-il vraiment revenu d’entre les morts ? Depuis qu’il a quitté l’Espagne, le 2 juin dernier, le chef du Front Polisario est inexistant, alors qu’il est censé mener une offensive militaire, diplomatique et juridique contre le Maroc.
Pour rappel, le président de la RASD était arrivé en Espagne dans le plus grand secret à bord d’un avion médicalisé affrété par la présidence algérienne, le 18 avril, avant d’être admis à l’hôpital de Logrono dans un « état critique » pour des complications liées au Covid-19.
Une hospitalisation qui avait provoqué une crise diplomatique majeure entre le Maroc et l’Espagne, et dont le dénouement se fait encore attendre malgré plusieurs signes d’apaisement entre les deux voisins.
Il a fallu attendre le 18 septembre pour que Brahim Ghali fasse son retour dans le camp de Tindouf
Sur place, Brahim Ghali avait tout de même été rattrapé par la justice. En effet, le leader du Polisario faisait l’objet de deux plaintes : l’une pour « génocide », déposée en 2008 par l’Association sahraouie pour la défense des droits de l’homme (ASADEH), l’autre pour « tortures », déposée en 2020 par Fadel Breika, un dissident du Polisario naturalisé espagnol.
Depuis sa chambre d’hôpital, Brahim Ghali a donc été entendu par visioconférence, le 1er juin, par le juge d’instruction Santiago Pedraz.
Après plusieurs heures d’audition, le juge a décidé de ne prendre aucune mesure conservatoire à l’encontre de Ghali. Après cinquante-quatre jours d’hospitalisation, ce dernier a donc obtenu le droit de quitter l’Espagne pour poursuivre sa convalescence à Alger.
Opération marketing
En Algérie, Brahim Ghali en a profité pour se refaire une santé. Il a d’abord continué à recevoir des soins à l’hôpital militaire d’Aïn Naâdja, considéré comme l’un des meilleurs établissements d’Afrique.
Sur place, quelques heures à peine après son arrivée, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, et le chef des armées, Saïd Chengriha, se sont rendus à son chevet.
Une visite largement médiatisée, où l’on peut distinctement entendre le président algérien dire à Ghali : « Je suis content que vous vous soyez présenté à la justice espagnole. Vous avez montré que la RASD est une république qui ne sortira jamais du droit. »
Deux jours plus tard, un cliché de Brahim Ghali en entretien avec son « Premier ministre », Bouchraya Hammoudi Bayoune, a beaucoup circulé.
Une façon de montrer un « président » concerné et en pleine possession de ses moyens. Et le 19 juillet, jour de l’Aïd el-Kébir, Brahim Ghali a finalement prononcé un discours de 12 minutes diffusé sur la chaîne TV du Front depuis Alger. L’occasion d’occuper à nouveau le terrain.
Pendant ce temps-là, dans le camp de Tindouf, c’est le chef de la diplomatie du Polisario, Mohamed Salem Ould Salek, qui a enchaîné les interviews dans les médias internationaux pour combler le vide laissé par Ghali.
Dans une lettre ouverte, Zeidan dénonce la « faillite de toutes les institutions »
Fin juillet, enfin, le juge d’instruction, Santiago Pedraz, a décidé de classer sans suite la plainte pour « génocide » à l’encontre de Brahim Ghali, une décision confirmée par la justice espagnole le 4 octobre.
Seulement voilà, après cette opération de communication estivale, Brahim Ghali n’a quasiment plus donné signe de vie. Et il a fallu attendre le 18 septembre pour qu’il fasse son retour à Tindouf, où un accueil officiel lui a été réservé au Palais Jaune du camp de Rabouni, son QG et le siège administratif de la direction du Polisario.
Les absents ont toujours tort
Mais six mois (au total) de vacance de pouvoir, c’est beaucoup. Tout l’été et jusqu’au retour de Brahim Ghali, la grogne est montée dans le camp de Tindouf.
Dans les rangs du Polisario, en juillet, certains ont invoqué l’article 61 de la Constitution, qui dispose qu’en cas de « vacance du poste de président de la République, le président de l’Assemblée nationale assume les fonctions du président de la République pour une durée maximum de quarante jours ».
Mais le principal concerné, Hamma Salama, ancien numéro deux du président Mohamed Abdelaziz, ne s’est pas manifesté.
Début septembre, Mahmoud Zeidan, un opposant à la direction actuelle du Polisario, qui aurait d’ailleurs passé plusieurs mois en prison aux côtés de Fadel Breika, a quant à lui appelé à un putsch.
Dans une lettre ouverte, voire un appel à renverser la direction du Polisario, Zeidan dénonce la « faillite de toutes les institutions », « l’absence totale de structures sécuritaires, civiles et militaires » et pointe les difficultés socio-économiques : la piètre qualité des services fournis par la société d’électricité algérienne aux Sahraouis de Tindouf et la réduction des dépenses publiques, laquelle pourrait impacter le budget consacré à la scolarisation des enfants sahraouis dans les internats des collèges.
La plupart des postes clés au sein de la direction du Polisario sont vacants
Zeidan va encore plus loin et écrit que les chefs des sept régions militaires sont dans les camps au lieu d’être au front pour combattre les Forces armées royales (FAR) marocaines à l’ouest du mur de sécurité.
Presque simultanément, Bachir Halla, membre du parlement de la RASD, a comparé Brahim Ghali à une « marionnette », évoque une situation « catastrophique » dans le camp de Tindouf à cause de « la mauvaise gestion basée sur le clientélisme tribal prôné par les proches de Ghali ».
Pas de relève
D’après plusieurs sources, Brahim Ghali aurait « récupéré » et serait en forme, en tout cas pour ce qui concerne sa contamination au Covid-19.
Mais l’homme de 73 ans, porteur d’une hépatite C depuis plusieurs années, souffre aussi de plusieurs pathologies : une cirrhose du foi et un cancer au niveau de l’appareil digestif, qui l’oblige à suivre des traitements lourds.
Il est légitime de s’interroger sur la capacité de Brahim Ghali à assumer ses fonctions dans un contexte militaire, politique et diplomatique particulièrement sensible et mouvementé.
Fragile sur le plan physique, Brahim Ghali l’est tout autant sur le plan politique. « C’est un président convalescent entre Alger et le camp de Tindouf, qui a de gros problèmes de santé, et qui est complètement téléguidé par les services algériens, tout comme la majorité de l’appareil du Front », estime Bachir Dkhil, ex-membre fondateur du Polisario. L’état de faiblesse de Ghali est d’ailleurs comparable à celui du Polisario.
« La plupart des postes clés au sein de la direction du Polisario sont vacants, aucune nouvelle tête n’a émergé, il n’y a aucun acquis, la situation est catastrophique, la RASD a sombré dans la léthargie », poursuit-il.
Plusieurs « têtes d’affiche » sont soit mortes soit gravement malades
Sur place, le Front Polisario n’est plus synonyme d’unité, l’élite et les populations sont retournées à une conception politique basée sur le tribalisme pour défendre leurs intérêts. « Certains occupent donc la place de Ghali et de la direction du Front pour gérer les affaires courantes. Il y a de fortes luttes intestines entre les tribus, qui ont leurs propres représentants au sein même de la direction du Polisario », souligne Dkhil.
Du côté marocain, cela fait bientôt deux ans qu’on laisse entendre que le pouvoir algérien cherche à se débarrasser de Ghali, qui serait devenu gênant, et à le remplacer, mais sans pouvoir trouver une relève digne de ce nom. Il faut dire que plusieurs « têtes d’affiche » sont soit mortes soit gravement malades.
Abdellah Lahbib Bellal, par exemple, opposé à Ghali, était l’un des favoris des services algériens, mais il est décédé en août 2021.
L’autre nom qui émerge est celui de Mohamed Amine Ould Bouhali, « ex-ministre de la Défense », conseiller de Brahim Ghali et chef des milices de réserve du Polisario, connu pour sa proximité avec le général Saïd Chengriha et pour incarner une ligne encore plus dure que celle de Ghali dans le conflit avec le Maroc.
L’enjeu est de taille, car sans relève capable de reprendre les choses en main, « on risque de voir émerger des groupes armés, terroristes, comme dans le Sahel, prophétise Dkhil, à moins, poursuit-il, que la nature du pouvoir change à Alger. Si le pays parvient à mettre en place un régime civil et démocratique, cela aura forcément des conséquences sur le Polisario, qui pourrait s’engager dans une solution de résolution du conflit. »