Politique

Algérie-France : l’impossibilité d’un match

Il y a vingt ans, le 7 octobre 2001, la France se réveillait en proie à des questionnements identitaires. La veille, le match amical France-Algérie n’avait pu aller à son terme après que des supporters algériens – également français pour beaucoup – ont envahi la pelouse du Stade de France à la 76e minute. Depuis, les deux sélections n’ont jamais pu se rencontrer de nouveau, malgré plusieurs tentatives d’organiser ce match pas comme les autres.

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Mis à jour le 7 octobre 2021 à 14:50

Il y a vingt ans, le match amical France-Algérie, au Stade de France, était interrompu à la 76e minute après que des supporters algériens ont envahi la pelouse. © OLIVIER MORIN/AFP

Qui a dit que les Français et les Algériens n’avaient aucune relation dans le domaine footballistique ? Les 9 et 12 octobre, leurs sélections des moins de 18 ans vont s’affronter au cours de deux matches amicaux, dans le cadre bucolique de Clairefontaine, en Île-de-France, au Centre technique national de la Fédération française de football (FFF).

Mais l’organisation de joutes amicales entre deux équipes de jeunes, devant un public très restreint et dans l’anonymat médiatique le plus total, n’est pas comparable à celle d’un match entre le champion d’Afrique 2019 et le champion du monde en titre.

Depuis le fiasco d’octobre 2001, les deux fédérations ont envisagé, à au moins deux reprises, d’organiser les retrouvailles entre les Bleus et les Fennecs. Sans succès jusqu’à maintenant.

Avant la Coupe du monde ?

La première fois que la FFF et la Fédération algérienne de football (FAF) y ont sérieusement songé, c’était en 2009, plus précisément en novembre. Mais l’idée est vite enterrée pour des raisons purement sportives : la France joue un match de barrage qualificatif pour le Mondial 2010 contre l’Eire, et l’Algérie doit affronter l’Égypte à Khartoum, également pour se qualifier pour le Mondial sud-africain.

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La seconde tentative est beaucoup plus récente. En octobre 2019, en marge d’un match amical entre l’Algérie et la Colombie organisé à Lille (3-0), Noël Le Graët, président de la FFF, et Kheireddine Zetchi, qui présidait alors la FAF, s’étaient rencontrés à Paris.

L’Algérie est la seule nation au monde que nous ne pouvons pas rencontrer

L’ex-patron du football algérien avait assuré qu’un match entre les deux sélections aurait lieu, « dans un futur proche ».  En dépit d’un calendrier international chargé, un créneau entre fin 2020 et début 2021 avait même été évoqué. Mais la crise sanitaire a fait échouer le projet, et aujourd’hui, personne n’est capable de dire quand les deux sélections se retrouveront.

Noël Le Graët tient absolument à voir les Bleus se déplacer en Algérie. Le président de la FFF l’a plusieurs fois répété. « L’Algérie est la seule nation au monde que nous ne pouvons pas rencontrer », a regretté le dirigeant, lors d’un entretien accordé à So Foot en juin 2021. « Cela semble compromis d’envisager à court terme un match entre les deux sélections. C’est dommage, car on parle de sport, et cela ne devrait pas être aussi difficile que cela d’organiser un match de football », déplore le journaliste d’El Watan Yazid Ouahib.

Un membre de la FAF, sous couvert d’anonymat, avance des arguments essentiellement structurels et de calendrier pour expliquer pourquoi la tenue d’un Algérie-France est à court terme exclue. « En Algérie, nous avons trois stades homologués : celui de Blida (stade Mustapha-Tchaker), celui du 5-Juillet à Alger et celui, flambant neuf, d’Oran, qui va abriter les Jeux méditerranéens en 2022. Mais les deux premiers ne répondent pas aux normes modernes. Or si l’Algérie veut recevoir la France ou une grande nation mondiale, cela ne pourra se faire que dans une enceinte de qualité, réunissant toutes les garanties de sécurité pour les joueurs et les spectateurs, ainsi que pour l’accueil des médias. Et seul celui d’Oran (40 000 places) est adapté. Par ailleurs, il faut trouver une date, ce qui n’est pas simple, car le calendrier international est déjà surchargé. »

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Rencontre Amara-Le Graët

Les deux équipes sont en effet engagées dans les qualifications pour la Coupe du Monde 2022 au Qatar, lesquelles pourraient s’étirer jusqu’en mars 2022 si l’Algérie atteint le 3e tour et si la France est obligée de disputer un barrage contre une autre sélection européenne.

« Si les deux équipes sont qualifiées pour la Coupe du Monde et si elles ne sont pas dans le même groupe, cela pourrait être envisagée avant la phase finale », ajoute notre source à la FAF.

Vous trouverez toujours des gens, des deux côtés, pour compliquer les choses

Selon nos informations, Noël Le Graët et Charaf-Eddine Amara, le nouveau président de la FAF, pourraient se rencontrer prochainement afin d’évoquer la coopération entre les deux instances.

Mais l’organisation d’un Algérie-France figurera probablement au menu, même si un agent de match semble convaincu « que la France le souhaite plus que l’Algérie. Et comme les relations entre les deux pays se sont crispées ces derniers temps, avec l’affaire des visas et les récentes déclarations d’Emmanuel Macron qui ont déplu au régime algérien, difficile de parler de football… »

L’organisation d’un match amical entre l’Algérie et la France ne repose évidemment pas uniquement sur des volontés sportives. Dans le quotidien sportif français L’Équipe, l’Élysée a assuré qu’il « accompagnerait ce projet », à condition qu’il existe vraiment.

Autorisation du pouvoir

À Alger, Oran ou Constantine, « il y a une envie de voir Karim Benzema, Antoine Griezmann ou Kylian Mbappé venir affronter les Fennecs, reprend Yazid Ouahib. Logiquement, cela devrait se régler entre les deux fédérations, bien sûr avec un accompagnement des deux États, notamment pour des questions de sécurité. Mais vous trouverez toujours des gens, des deux côtés, pour compliquer les choses ».

Le journaliste algérien fait référence à l’obsession de personnalités politiques, mais aussi de journalistes et d’historiens « de tout politiser. Cela devient insupportable. Et cela freine une telle initiative. Je pense que les deux fédérations ont envie que ce match ait lieu. Mais – et je parle seulement pour l’Algérie – rien ne pourra se faire sans l’autorisation du pouvoir. Je pense, et je ne suis pas le seul, que si la fédération algérienne ne répond pas aux propositions de la FFF, c’est parce qu’il y a une influence politique derrière. Et si on laissait les pouvoirs sportifs s’arranger entre eux ? »

J’ai passé plusieurs années en Algérie, et je n’ai jamais entendu de propos anti-français »

Le Français Alain Michel, qui a entraîné plusieurs clubs algériens (MC Alger, MC Oran, JS Saoura, NA Hussein Dey, CR Belouizdad), également professeur agrégé d’histoire-géographie, suit les débats avec beaucoup d’attention.

« En Algérie, les gens ont majoritairement envie de voir ce match. J’ai passé plusieurs années en Algérie, et je n’ai jamais entendu de propos anti-français. Les tensions qui existent entre les deux pays sont le fait des pouvoirs politiques. »

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L’organisation en Algérie d’un match entre les deux sélections ne se fera qu’avec l’accord de l’État, et celui-ci a visiblement d’autres préoccupations.

« Cela n’a pas l’air d’être sa priorité, même s’il en mesure sans doute tous les paramètres. Dans le contexte des relations tendues entre les deux pays, un match de football pourrait-il dépassionner les débats ? Peut-être…  Je pense en revanche qu’un Algérie-France ne devrait pas être programmé deux ans à l’avance, mais être le fruit d’un peu plus de spontanéité », conclut Michel.