C’est une image fugace, qui a portant retenu l’attention de beaucoup de commentateurs pas toujours bien intentionnés sur les réseaux sociaux. Mercredi 22 septembre, lors de la rencontre entre Patrice Talon et Thomas Boni Yayi, une fois passée la séquence des accolades de circonstance, les deux hommes s’installent dans le salon du palais de la Marina. Juste avant de s’assoir, l’ancien président béninois se retourne, à droite, à gauche, inspecte le petit fauteuil rouge qui lui est proposé avant de prendre place. En pays vaudou, il n’en fallait pas plus pour que certains soupçonnent Thomas Boni Yayi d’avoir voulu vérifier qu’aucune main mal intentionnée n’avait caché dans les replis de velours un (mauvais) fétiche.
Le tête-à-tête, dont l’organisation a été permise par l’intervention directe de Lionel Talon et de Chabi Yayi, les fils des deux intéressés, a duré une heure. À la sortie, Thomas Boni Yayi a immédiatement pris la parole pour exposer les demandes formulées auprès du chef de l’État. Si, dans les heures qui ont suivi, beaucoup ont applaudi ces « retrouvailles » entre deux hommes dont le bras de fer rythme la vie politique béninoise depuis plusieurs années, au sein de la classe politique, les réactions sont pour le moins dubitatives.
« Démarche personnelle »
Sur la forme, d’abord. « Si Thomas Boni Yayi est allé rencontrer Patrice Talon en tant qu’ancien président, c’est une bonne chose. S’il y est allé en tant que représentant d’une force politique, en tant que porte-parole des Démocrates, c’est qu’il a capitulé », tranche ainsi Iréné Agossa, patron du parti Restaurer la confiance et candidat malheureux à la vice-présidence lors du scrutin d’avril dernier.
Boni Yayi a voulu tenter de se remettre au centre du jeu
Même son de cloche du côté de la Résistance nationale, à la tête de laquelle se trouve Candide Azannaï. Évoquant une « démarche personnelle » de l’ancien président, la coalition d’opposition radicale – qui boycotte les scrutins depuis les législatives de 2019 – martèle que « le conflit entre Thomas Boni Yayi et Patrice Talon est totalement différent de la crise politique ». La rencontre serait même, à en croire cette frange de l’opposition, contre-productive et ne relèverait en fait que d’une « instrumentalisation de l’intérêt général par des calculs à courte vue ».
La démarche n’a pas recueilli plus d’adhésion du côté de la majorité présidentielle. « La manière dont Thomas Boni Yayi s’est exprimé, avec des déclarations tapageuses, à la sortie de l’entretien, cela relève du coup politique, regrette Abdoulaye Gounou, qui préside le groupe parlementaire Bloc républicain (BR, majorité présidentielle). Je ne crois pas à sa sincérité, je crois qu’il a voulu tenter de se remettre au centre du jeu. »
Paul Hounkpè, chef de file de l’opposition, est l’un des rares à saluer l’initiative. Pour lui, « la crise politique que traverse le Bénin est aussi due à la dégradation des relations personnelles entre l’ancien et l’actuel chef de l’État ». Leader de la frange « légaliste » des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), qui défendait le principe de la participation aux élections et de l’ouverture d’un dialogue avec le pouvoir, Hounkpè voit dans cette rencontre une validation a posteriori de sa stratégie. Posture qui avait conduit Thomas Boni Yayi à claquer la porte des FCBE. « La rencontre aurait dû intervenir plus tôt. Cela aurait peut-être contribué à éviter des morts », ajoute-t-il.
« Non négociable »
Sur le fond, Paul Hounkpè se montre cependant critique des exigences portées par l’ancien chef de l’État. S’il estime « justes » les demandes portant sur la libération des « détenus politiques », il considère, avec les législatives de 2023 en ligne de mire, que la priorité, « c’est de discuter pour que les élections qui viennent soient vraiment inclusives, transparentes et équitables. » « Il faut dépasser ces histoires anciennes, considère en écho Iréné Agossa. Il est urgent de renverser le rapport de force politique à travers les urnes. »
« Il ne s’agit pas de personnaliser, mais bien d’évoquer, avec des personnalités emblématiques, les problèmes qui se posent depuis l’avènement de la supposée « rupture ». Il s’agit des symboles du mal-être béninois actuel », rétorque Léhady Soglo.
Le cas du fils de l’ancien président Nicéphore Soglo, qui vit actuellement en France et a été condamné à dix ans de prison par la Cour de répression de l’enrichissement illicite et du terrorisme (Criet), a été l’un des sujets abordés lors de l’entretien, à l’instar de ceux de Sébastien Ajavon, Valentin Djenontin, Komi Koutché ou encore Lionel Zinsou. Thomas Boni Yayi avait notamment demandé à Patrice Talon de faciliter le voyage de Léhady Soglo à Accra, au Ghana, où il devait se rendre pour la crémation de sa mère, Rosine Soglo, décédée le 25 juillet dernier. Déplacement qu’il a effectivement pu faire, fin septembre, pour assister à la cérémonie à laquelle était également présent Sébastien Ajavon. « Grâce au soutien de certains de mes amis, j’ai pu faire le déplacement, et ainsi commencé le travail de deuil », glisse le fils de l’ancien président.
S’il salue la « charge symbolique réelle qui participe absolument à la décrispation », Orden Alladatin, président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale et cadre au sein de l’Union progressiste (UP, majorité), émet lui aussi de sérieux doutes sur la suite qui sera donnée aux demandes de Boni Yayi. La libération de Joël Aïvo et de Reckya Madougou ? Demander l’ingérence du président de la République dans des procédures judiciaires ? « C’est non négociable », tranche le député. « Il ne faudra pas espérer une amnistie du président de la République, seul le Parlement peut le faire », ajoute-t-il, soulignant qu’« aucun des deux n’a pour l’heure été jugé et [que] la justice peut très bien les déclarer non coupable ». Si l’amnistie doit passer par le Parlement, une éventuelle mesure de grâce présidentielle pourrait survenir. Mais là encore, celle-ci ne peut s’exercer qu’une fois le jugement prononcé.
« Demander de libérer les détenus qu’il qualifie de « politiques », exiger le retour des exilés… Ce n’est pas raisonnable. Certains parmi eux ont des vraies difficultés avec la justice, certains ont siphonné les fonds publics et il y a des preuves de cela », tempête Abdoulaye Gounou. Quant à l’ouverture d’un éventuel dialogue politique, le député du BR n’en veut tout simplement pas. « Mettre en place un dialogue, qui serait d’ailleurs plus social que politique, pourquoi pas. Mais si l’idée est de faire un dialogue politique pour demander de refaire telle ou telle élection ou pour abroger telle ou telle loi, c’est hors de question. »
Beaucoup de laudateurs, tapis dans l’ombre, font de cette crise leur fonds de commerce
Gérard Gbenonchi, député UP, se montre moins catégorique, jugeant l’organisation d’un nouveau dialogue politique « toujours possible ». Il n’en émet pas moins des doutes quant à la capacité de Thomas Boni Yayi à convaincre de sa pertinence au sein de son propre camp. « On a pu observer que beaucoup de laudateurs, tapis dans l’ombre, font de cette crise leur fonds de commerce », glisse-t-il.
Quelle que soit la suite, elle passera, avant toute concrétisation, par « d’autres rencontres entre Patrice Talon et Boni Yayi », assure un proche du chef de l’État. « Il faut évaluer si Thomas Boni Yayi est prêt à passer des paroles aux actes. Connaissant son caractère émotif et facilement influençable, cela ne permet pas vraiment d’être optimiste quant aux suites possibles. »