Dans le paysage médiatique français, il détonne. Jean-Michel Aphatie, journaliste politique chevronné, n’a pas la langue dans sa poche. Et ses analyses politiques au cordeau passent rarement inaperçues. Lors de la remise du rapport de Benjamin Stora sur la question mémorielle entre la France et l’Algérie, le 20 janvier 2021, l’éditorialiste s’était fendu d’un éditorial sur une chaîne du service public.
Jean-Michel Aphatie avait alors déclaré que la France devait des excuses à l’Algérie compte tenu de la violence de « la conquête, de l’exploitation et de la guerre ». Ce souci constant de l’honnêteté intellectuelle se retrouve dans son nouveau livre, Les Amateurs (éditions Flammarion). Il y livre une analyse implacable de la Macronie, essentielle pour bien comprendre ce qui va se jouer à l’approche de la présidentielle.
Dans cette enquête fouillée et enlevée, le journaliste politique dévoile « les coulisses du quinquennat », où l’amateurisme tutoie les ambitions mal contenues, et nous plonge dans la mécanique du pouvoir de la Start-up Nation, à neuf mois de la présidentielle.
À travers une série d’anecdotes savoureuses, l’ouvrage de Jean-Michel Aphatie relate ce qui s’est joué au sommet de l’État depuis 2017 et le début de ce quinquennat inédit, tant par les conditions de l’élection d’Emmanuel Macron que par la succession de crises qui l’ont marqué.
Surtout, l’enquête raconte le crépuscule d’un quinquennat jamais vraiment entré dans un nouveau jour. Entre maladresses, burn out et scandales, Les Amateurs ont fait tanguer le sommet de l’Etat. Plus que l’amateurisme, ce récit journalistique explore les failles d’un mandat qui tranche avec la flamboyance de l’élection du printemps 2017.
Ironiquement, l’amateurisme revendiqué par Emmanuel Macron explique en partie le rejet dont il fait l’objet aujourd’hui au sein d’une fraction de la société française. L’amateurisme a laissé des traces et aiguisé les appétits aux extrêmes, à commencer par celui d’Éric Zemmour. Après la décision des autorités françaises de réduire de 50 % le nombre de visas accordés aux pays maghrébins, l’élection semble en effet se jouer sur les sujets imposés par le polémiste.
Sur l’Algérie, Emmanuel Macron est dans le registre de l’émotion.
Jeune Afrique : Le 20 septembre dernier, Emmanuel Macron a fait des annonces fortes en faveur des harkis et de leurs descendants. Il a fait de la question de la mémoire de la guerre d’Algérie un chantier du quinquennat. Comment jugez-vous son action dans ce domaine ?
Jean-Michel Aphatie : Sur ce sujet sensible entre tous, Emmanuel Macron a parlé de « crimes contre l’humanité » à propos de certaines exactions françaises en Algérie. La formule n’était pas pertinente. Elle a créé une telle tension que depuis le président n’est pas vraiment revenu sur le sujet. Sa décision concernant les harkis est la bienvenue. Fera-t-il d’autres gestes à l’approche des soixante ans des accords d’Evian [le 18 mars 2022, NDLR] ? Nous mesurerons alors, non pas son amateurisme ou son professionnalisme, mais sa lucidité et son courage.
Il est déjà allé assez loin sur la question de la mémoire de la guerre d’Algérie avec la reconnaissance du rôle de l’État dans la mort d’Ali Boumendjel. La mémoire de la guerre d’Algérie sera-t-elle un thème de campagne ?
C’est un sujet dont les Français n’ont pas vraiment envie de parler. Nous sommes convaincus que les Algériens ont été ingrats avec nous. Je ne suis pas sûr que le sujet émergera pendant la campagne. Emmanuel Macron est dans le registre de l’émotion.
Quand il parle, en février 2017, « de crime contre l’humanité » à propos de la colonisation, c’est parce qu’il sait ce qu’a fait la France en Algérie. Il fait une déclaration émotionnelle, pas politique. Il met la barre trop haut. Les crimes contre l’humanité renvoient à Nuremberg. Forcément, cela créée la polémique.
Éric Zemmour, dans son dernier livre, « La France n’a pas dit son dernier mot », évoque une conversation entre lui et le président suite à l’agression du polémiste. Macron aurait été intéressé par ses idées sur l’immigration. Discuter, voire travailler avec tout le monde, est-ce cela la marque de l’amateurisme en politique ?
La démocratie, c’est parler avec tout le monde. Voilà la théorie. Pratiquement, demander une note sur l’immigration à une personne condamnée par la justice pour incitation à la haine religieuse ou raciale est curieux, voire étrange. Plutôt que de l’amateurisme, on peut y voir une maladresse, et c’est un euphémisme.
Cette idée d’écrire sur le quinquennat vous est-elle venue au cours du mandat d’Emmanuel Macron ou est-ce sa candidature hors-norme en 2017 qui l’explique ?
C’est venu pendant le quinquennat. J’ai été marqué pendant la crise des Gilets jaunes par la détestation dont faisait l’objet Emmanuel Macron. Cela m’a renvoyé à toutes les phrases violentes et maladroites qu’il a pu prononcer.
Par exemple, « les gens qui ne sont rien ». Ces éléments m’ont fait dire que, sans doute, il y avait un espace d’enquête sur le quinquennat. Lorsqu’il a lancé à ses troupes « soyez fiers d’être des amateurs », je me suis dit que c’était la clé du sujet. Avec ce livre, j’ai voulu décrypter les « amateurs ».
Avant d’entrer dans les coulisses de ce quinquennat, évoquons l’affaire Nicolas Hulot [une plainte pour viol a été déposée en 2008 par Pascale Mitterrand contre l’ancien ministre]. Votre livre apporte des éléments nouveaux. On apprend que la figure écologiste aurait demandé à Goksin Sipahioglu, fondateur de l’agence Sipa Press, de faire venir la jeune photographe Pascale Mitterrand dans sa maison en Corse pour une mascarade de reportage…
Je suis surpris, moi aussi, par l’absence d’intérêt de la presse pour ce sujet. Selon les témoignages que j’ai recueillis, Nicolas Hulot organise la venue, seule, chez lui, de cette jeune photographe. Tout de son côté semble préparé, réfléchi.
Quand elle rentre à Paris après son reportage, elle quitte l’agence, et dix ans plus tard, elle porte plainte pour viol. Il y a dans ces attitudes une souffrance sur laquelle la presse devrait se pencher. Quant à Nicolas Hulot, il ne veut plus répondre aux questions, renvoyant à une interview donnée à Jean-Jacques Bourdin pour évacuer les accusations.
Au début de votre livre, vous écrivez : « Le macronisme n’est pas une idéologie. Il est l’assemblage des ambitions auquel s’est jointe la chance ». Tout repose donc sur la figure d’Emmanuel Macron…
Évidemment. Je raconte au début du livre qu’Emmanuel Macron ne pense pas du tout être président de la République. Il est candidat pour satisfaire une envie personnelle, celle d’être au centre de la scène. Quand François Hollande le nomme ministre, c’est parce qu’il n’a personne d’autre. C’est un choix par défaut. Tout est un assemblage de hasards, lui-même nourri par la chance.
Tous les obstacles s’évanouissent devant le candidat et puis finalement, il arrive à l’Élysée. C’est une histoire incroyable. Il n’a jamais pensé qu’il pourrait être président de la République. C’est important de le préciser car ce cheminement exclut l’idée que l’action ait été pensée.
Emmanuel Macron ne s’est jamais vécu comme un homme de pouvoir mais comme un homme de culture.
Dans votre enquête, où vous racontez l’amateurisme de la Macronie, vous revenez sur la figure d’Édouard Philippe [Premier ministre jusqu’en juillet 2020] dont on pourrait penser qu’il est plus rodé à la chose politique car plusieurs fois élu…
Ce n’est pas le même amateurisme. Emmanuel Macron n’a pas été un élu local. Il n’a dirigé aucune collectivité territoriale. C’est un amateur. Édouard Philippe, c’est un peu différent. Il est dans l’appareil de l’UMP [aujourd’hui LR, NDLR] depuis vingt ans.
Il a toujours fait de la politique. Il a dirigé Le Havre. Mais, psychologiquement, il n’est pas du tout prêt pour diriger le gouvernement. Exercer le pouvoir au sommet de l’État, c’est très particulier. Si Alain Juppé avait été élu, Édouard Philippe aurait été secrétaire d’État au budget. Tout d’un coup, il devient le patron de la machine. Lui non plus n’est pas prêt.
Un amateurisme qui plombe l’exécutif…
La preuve de l’amateurisme des deux, même s’il est différent, ce sont les réunions du lundi. Non pas à deux mais à quatre ! [Emmanuel Macron, Alexis Kohler, Édouard Philippe et Benoit Ribadeau-Dumas, NDLR]. C’est une méconnaissance profonde à la fois de la mécanique humaine et de la mécanique étatique. La marque de l’amateurisme est qu’il engendre un désordre permanent à la tête de l’État.
L’amateurisme est un terme péjoratif mais, pour sa défense, Macron a tenté d’incarner l’anti-professionnel de la politique.
Oui, Emmanuel Macron, c’est la fraîcheur. Dans l’amateurisme, il y a l’idée que l’on est sincèrement au service d’une cause.
Il est souvent qualifié de « président des riches », ce qui renvoie à ses soutiens financiers et à ses réseaux. Est-ce justifié ?
Selon moi, ce qui s’est ouvert, c’est un contexte. François Fillon qui disparaît, les réseaux n’y sont pour rien. Puis, François Bayrou le rallie. À ce moment-là, fin février 2017, Emmanuel Macron peut sérieusement espérer accéder au second tour. Avant le soutien de Bayrou, il n’y est pas. Mais ce n’est pas un réseau François Bayrou qui l’a porté au pouvoir, mais un vieux courant de pensée dans la société française qui se donne tantôt à la droite, tantôt à la gauche. Président des riches, c’est un classique en France. Nicolas Sarkozy était le président des riches également.
Si tout s’écroulait et que le pouvoir s’offrait à lui, sans doute Zemmour en serait-il effrayé.
D’Emmanuel Macron, il se dit souvent qu’il est plus intellectuel que président. Qu’il est mal entouré du fait « de son intelligence supérieure ».
Un homme politique n’est jamais seul. Est-ce que ceux qui sont autour de lui sont brillants ? Oui, il y en a forcément. Le poussent-ils à prendre de mauvaises décisions ? À la fin, c’est le président qui décide. Son arrivée à l’Élysée est le fruit une succession de hasards. Et puis, Emmanuel Macron ne s’est jamais vécu comme un homme de pouvoir mais comme un homme de culture.
Il veut exister, voire chercher la diversion… un peu comme Éric Zemmour, à qui vous consacrez le dernier chapitre ?
Oui, c’est vrai. Il veut troubler le jeu. Emmanuel Macron veut bousculer. Il ne veut pas gouverner. La perspective se présente, donc il la saisit. Si l’on poursuit l’analogie avec Zemmour, si tout s’écroulait et que le pouvoir s’offrait à lui, sans doute Zemmour en serait-il effrayé. Emmanuel Macron ne s’en est pas effrayé. Il a assumé. Le 7 mai 2017, dans la cour du Louvre. Il endosse le costume. Cela ne lui fait pas peur.