Cameroun : que va faire le régime de Paul Biya de ses opposants ?

Un an après la répression des manifestations du 22 septembre 2020, les procédures à l’encontre des militants incarcérés piétinent. Lenteur judiciaire dans une affaire politique houleuse ou volonté de décapiter l’opposition ? La question agite l’opinion.

Maurice Kamto lors d’un meeting à Yaoundé, le 30 septembre 2018. © MARCO LONGARI/AFP

Maurice Kamto lors d’un meeting à Yaoundé, le 30 septembre 2018. © MARCO LONGARI/AFP

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 24 septembre 2021 Lecture : 3 minutes.

Étrange anniversaire que celui que les 43 militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) détenus à la prison centrale de Kondengui ont célébré ce 22 septembre. Autour d’un généreux ndolé et d’un gâteau préparés pour l’occasion, quelques cadres du parti sont venus leur apporter un message d’encouragement de Maurice Kamto. Avant que les agents pénitentiaires ne mettent un terme aux « réjouissances ».

Comme ceux de Yaoundé, 124 autres personnes arrêtées en marge des manifestations du 22 septembre 2020 ont commémoré leur douzième mois de détention. Et dans les prisons de Mfou, Bafoussam et Douala, le triste souvenir des évènements de cette folle journée a refait surface.

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Entraves à la justice

Il y a un an, des partis d’opposition et des organisations de la société civile avaient appelé à descendre dans les rues pacifiquement pour protester contre la décision du gouvernement d’organiser des élections régionales sans modifier le code électoral, contre la crise anglophone et pour demander davantage de transparence dans la gestion des fonds alloués à l’organisation de la CAN. La réaction des forces de sécurité ne s’était pas faite attendre : elles avaient fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau et arrêté près de 550 sympathisants de partis d’opposition. Parmi eux, Olivier Bibou Nissack et Alain Fogue, deux piliers de la machine politique du MRC.

Leurs avocats dénoncent l’absence d’indépendance des juges et un refus manifeste d’appliquer la loi

Les personnes interpellées auront connu diverses fortunes devant les tribunaux. La majorité d’entre elles a depuis été libérée, mais 116 ont comparu devant des tribunaux militaires pour répondre de chefs d’accusation liés à leur participation à ces manifestations ou à leur activisme. Et si à Douala et à Bafoussam, l’heure est désormais aux procès, les dossiers des détenus de Yaoundé en sont encore à la phase d’instruction. Par ailleurs, huit autres accusés ont été condamnées par un tribunal civil pour des accusations similaires et purgent actuellement des peines de deux ans de prison.

Pour les avocats de ces opposants réunis au sein du collectif Me Sylvain Souop, ces procédures sont « iniques et inacceptables ». Le 9 septembre dernier, ils ont décidé de déposer leurs robes pour protester contre ce qu’ils qualifient d’entraves à la justice. « Nous ne pouvons nous associer à l’arbitraire et à l’illégalité », s’est justifié Me Hippolyte Meli dans une déclaration publique, évoquant entre autres « l’impossible accès à une justice équitable », « l’absence d’indépendance et d’équité des juges civils ou militaires en charge desdites affaires » et « le refus manifeste d’appliquer la loi ».

Au sein du MRC, beaucoup sont persuadés que l’on cherche à museler le parti. « La justice refuse de dire le droit à cause de la rancœur de ceux qui en ont contre le MRC, explique l’un de ses responsables. Notre parti est solidement implanté et son niveau d’organisation fait peur au régime de Yaoundé, qui utilise des raccourcis antidémocratiques pour essayer de briser son élan. » Notre interlocuteur en veut pour preuve le fait que Maurice Kamto a passé trois mois en résidence surveillée, dans le sillage des mêmes manifestations, sans jamais recevoir la moindre explication.

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« Hostilité contre la patrie »

Depuis septembre 2020, les autorités camerounaises ont peu communiqué sur le sort des militants emprisonnés. En décembre dernier, le porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi, a insisté sur le caractère « insurrectionnel » des manifestations et indiqué que « les procédures judiciaires engagées contre les meneurs et les organisateurs […] se poursuivront ». « Plusieurs personnes arrêtées dans le cadre de ce mouvement insurrectionnel ont d’ores et déjà été relâchées. D’autres le seront au fur et à mesure de l’évolution des procédures judiciaires et en considération de leur degré d’implication et de la menace qu’ils représentent pour la société », écrivait-il dans un communiqué.

On parle d’insurrection, pas d’un petit larcin de quartier

Dans les coulisses du pouvoir, on affirme que la justice est indépendante et qu’elle doit faire son travail « avec minutie ». « Il faut savoir que les faits qui sont reprochés à ces individus sont suffisamment graves pour que la justice prenne le temps de bien enquêter dessus. Lorsqu’on parle d’hostilité contre la patrie ou d’insurrection, il ne s’agit pas d’un petit larcin de quartier », explique un cadre d’administration.

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Les organisations de défense des droits humains ont, elles, commencé à s’inquiéter de la situation. « Les autorités devraient remettre en liberté, immédiatement et sans conditions, toutes les personnes arrêtées pour avoir exprimé leur point de vue politique ou pour avoir exercé leur droit à la liberté de réunion pacifique, et mettre fin à la campagne de répression contre les manifestants pacifiques et les détracteurs du gouvernement », ont insisté les ONG Amnesty international et Human Rights Watch en marge du premier anniversaire des manifestations du 22 septembre 2020.

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