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Assassinat de Thomas Sankara : l’heure du procès
Le procès des assassins présumés de Thomas Sankara s’ouvrira lundi 11 octobre, devant le tribunal militaire de Ouagadougou. Mais si Blaise Compaoré, Gilbert Diendéré et Hyacinthe Kafando en sont les principaux accusés, seul l’ancien chef d’état-major particulier de Compaoré, qui dirigeait son redouté régiment de sécurité présidentielle (RSP), sera présent dans la salle des banquets de Ouaga 2000.
Blaise Compaoré
Il sera le grand absent du procès. Réfugié en Côte d’Ivoire depuis son renversement en 2014, Blaise Compaoré n’a aucune intention de se présenter le 11 octobre devant les juges burkinabè pour répondre de son rôle dans l’assassinat de Sankara. « Il ne se rendra pas à ce procès politique organisé à son encontre devant ce tribunal militaire qui est une juridiction d’exception. Il n’a jamais été convoqué par le juge d’instruction pour un interrogatoire et on ne lui a notifié aucun acte sinon sa convocation finale devant le tribunal. Je rappelle également qu’il bénéficie d’une immunité, prévue par la Constitution, en tant qu’ancien chef de l’État », estime son avocat, Me Pierre-Olivier Sur.
Visé par un mandat d’arrêt, l’ancien président coule des jours paisibles à Abidjan, où il bénéficie de la protection et de la bienveillance de son vieil ami Alassane Ouattara. Avec son épouse (ivoirienne) Chantal, il réside dans une grande villa du quartier chic de Cocody-Ambassades. Il y reçoit ses amis de passage sur les bords de la lagune Ébrié, ses partisans burkinabè, ou encore des cadres de son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), dont il est toujours le président d’honneur. Il lui arrive aussi de passer des week-ends dans la station balnéaire huppée d’Assinie ou des vacances à l’étranger, comme au Maroc ou au Sénégal.
Début 2021, il est aussi allé se faire soigner au Qatar. À 70 ans, le « beau Blaise » n’est plus aussi fringuant, et nombre de ses visiteurs le disent amoindri, voire malade. Il souhaite surtout finir sa vie chez lui et ne cache pas son envie de rentrer au Burkina Faso. Mais en coulisses, les tractations entre Abidjan et Ouaga sont dans une impasse. Même s’il a fait de la réconciliation nationale une priorité de son second mandat, Roch Marc Christian Kaboré entend que justice se fasse, sur le dossier Sankara comme sur d’autres. De son côté, Blaise Compaoré ne compte pas revenir tant qu’une menace judiciaire pèse sur lui.

De gauche à droite : les capitaines Blaise Compaoré et Thomas Sankara, avec le commandant Lingani, au lendemain du coup d’État du 4 août 1983. © Archives Jeune Afrique
Le 11 octobre, nul doute que le président déchu suivra avec attention l’ouverture de ce procès historique dont il sera le principal accusé, jugé par contumace pour atteinte à la sûreté de l’État, complicité d’assassinat et recel de cadavres. Si des centaines d’enquêtes et de témoignages ont pointé, au fil des décennies, sa responsabilité directe dans l’assassinat de son « frère » Thomas Sankara, le taiseux Blaise Compaoré n’a que très peu évoqué son rôle dans cette affaire. Quant à ceux qui espéraient enfin l’entendre répondre aux questions des juges, ils devront encore attendre.
Dans les trois jours qui suivent la tuerie, Blaise Compaoré est invisible
Selon la version officielle, Blaise Compaoré était chez lui, souffrant, quand Sankara et ses douze compagnons ont été tués au Conseil de l’Entente, le 15 octobre 1987, vers 16h30. Plusieurs sources, dont un ancien aide de camp de Sankara, Moussa Diallo, ont indiqué qu’il était bien chez lui à ce moment-là. Des témoins rapportent également que le petit groupe de para-commandos qui a tué Sankara et ses compagnons, dirigé par l’adjudant-chef Hyacinthe Kafando, était parti à bord de plusieurs véhicules du domicile de l’ancien chef de l’État. Selon Alouna Traoré, seul collaborateur de Sankara à avoir survécu à la tuerie du 15 octobre, Hamidou Maïga, le chauffeur et garde du corps personnel de Compaoré, en faisait partie.
Dans les trois jours qui suivent, Blaise Compaoré est invisible. Le 15 octobre au soir, la proclamation du Front populaire, qui consacre le coup d’État, est pourtant faite en son nom. « Il est très fatigué et doit se reposer, mais c’est bien lui qui dirige le Front populaire », affirment, le lendemain, le commandant Lingani et le capitaine Zongo à des diplomates étrangers basés à Ouagadougou.
Compaoré fait finalement sa première apparition publique le 18 octobre, pour une réunion avec les secrétaires généraux des ministères destinée à remettre l’administration publique en marche. Le 19 octobre, il décide de s’adresser enfin à ses compatriotes. Livide, stressé, il lui faudra deux heures pour enregistrer son message à la nation. Pour tenter de justifier la mort de Sankara et de ses douze compagnons, il développe la thèse d’un complot, selon laquelle l’ancienprésident et sa garde rapprochée projetaient de l’arrêter avec ses proches le soir du 15 octobre, à 20h. « Informés à temps, les révolutionnaires sincères se sont insurgés, déjouant à temps le complot de 20h et évitant ainsi à notre peuple une tragédie sanglante, un bain de sang inutile. Ce dénouement brutal nous choque tous, et moi plus que quiconque pour avoir été son compagnon d’armes, mieux son ami. Aussi, pour nous, il reste un camarade révolutionnaire qui s’est trompé. »
Quelques jours après l’assassinat, Blaise Compaoré s’explique encore devant quelques journalistes étrangers présents à Ouagadougou, dont Philippe Demenet, de l’hebdomadaire La Vie : « Quand ça a commencé à tirer, je suis descendu dans la rue avec mon arme. Je croyais que c’était ma maison qu’on attaquait. Je suis arrivé au Conseil de l’Entente vers 18h. Je me suis mis en colère contre les hommes responsables du carnage. Mais ils avaient des preuves qu’un complot contre mes camarades et moi-même se préparait pour 20h. Si je n’avais pas eu ces éléments de preuve, j’aurais réagi de façon brutale contre ceux qui avaient commis un tel acte et jamais je ne serais resté à la tête de l’État. »
Gilbert Diendéré
Quand il a été arrêté après sa tentative de coup d’État contre les autorités de transition, en 2015, beaucoup ont immédiatement pensé qu’il allait enfin rendre des comptes pour l’assassinat de Sankara. À raison. Incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction des armées (Maca) depuis six ans, le général Gilbert Diendéré, déjà condamné à vingt ans de prison pour son putsch manqué, sera au centre de toutes les attentions à partir du 11 octobre.
Car en l’absence de son ancien patron, Diendéré fera figure de principal accusé à la barre. L’ancien chef d’état-major particulier de Compaoré, qui dirigeait son redouté régiment de sécurité présidentielle (RSP), est poursuivi pour atteinte à la sûreté de l’État, complicité d’assassinat, recel de cadavres et subornation de témoins dans le dossier Sankara.

Le général Gilbert Diendéré, le 10 décembre 2011 à Ouagadougou. © AHMED OUOBA/AFP
Nul doute qu’il sera longuement interrogé durant le procès, tant cet homme secret, véritable boîte noire du régime Compaoré, est présumé au cœur des événements du 15 octobre 1987. En trois décennies, Gilbert Diendéré ne les a presque jamais évoqués. À l’époque, il était le commandant adjoint des para-commandos de Pô et faisait déjà office de bras droit de Compaoré. Ce sont ses hommes qui ont tiré sur Sankara et ses douze camarades. D’après certains témoins, c’est lui qui leur aurait donné l’ordre de passer à l’action en ces termes : « S’ils résistent, anéantissez-les ! »
Dans un entretien à JA lors d’une rencontre à la Maca, en 2017, le général avait nié toute implication. « Je n’étais pas au courant d’une quelconque opération contre Sankara. J’ai été informé après les événements, comme Blaise, qui était malade, chez lui, quand cela est arrivé. » Il jurait aussi n’avoir donné « aucun ordre » à Hyacinthe Kafando, qui jouissait même, affirmait-il, d’une « certaine autonomie ».
Auparavant, Gilbert Diendéré s’était aussi confié au Belge Ludo Martens, qui avait retranscrit ses propos dans son livre Sankara, Compaoré et la révolution burkinabè, livrant une version bien différente. « [Nous avons été prévenus] que Compaoré, Lingani et Zongo seraient arrêtés ce soir. Notre réaction a été qu’il fallait arrêter Sankara avant que l’irréparable ne se produise. Sankara tenait comme toujours son arme, un pistolet automatique, à la main. Il a immédiatement tiré et tué un des nôtres. À ce moment, tous les hommes se sont déchaînés. »
Hyacinthe Kafando
Depuis que le juge d’instruction François Yaméogo l’a convoqué pour l’entendre sur l’assassinat de Sankara, fin 2015, Hyacinthe Kafando s’est volatilisé. L’ancien para-commando, devenu chef de la sécurité rapprochée de Blaise Compaoré quand celui-ci est arrivé au pouvoir, aurait été signalé au Bénin et au Togo. Mais selon plusieurs sources, c’est surtout en Côte d’Ivoire qu’il se cache depuis six ans. Il y bénéficierait, à l’instar de Compaoré, de la bienveillance des autorités ivoiriennes.
Désigné par de nombreux témoins comme le chef du commando, Kafando, est l’une des clés de l’affaire
Visé par un mandat d’arrêt, l’ex-adjudant-chef demeure introuvable. Il sera lui aussi absent du procès Sankara, dans lequel il est accusé d’atteinte à la sûreté de l’État et d’assassinat. Kafando est pourtant l’une des clés de cette affaire. Alors sous les ordres de Gilbert Diendéré, il est désigné par de nombreux témoins comme le chef du commando qui a criblé de balles Sankara et ses compagnons au Conseil de l’Entente.
Reste à savoir s’il a agi sur ordre de ses supérieurs ou de sa propre initiative, comme l’assure Gilbert Diendéré. L’intéressé n’a jamais parlé et ne le fera malheureusement pas tant qu’il n’aura pas été retrouvé.